w iw M . H '^^v ^*l s - ji^^ >7 K 4 ^Lm^^f "^ 'fh^^i^ ''• '■ '*« ''^w • >.>-, ,>v ^ LES CHEF'U ŒUVRES DRAMATIQUES D E MESSIEURS CORNEILLE, TOME PREMIER. LES CHEF-DXEUVRES D R A MA TI(l UES D E MESSIEURS CORNEILLE, AVEC LE JUGEMENT DES SÇAVANS A la fuite de chaque Pisce» NOUVELLE ÉDITION. ffl^====g >^^^;]fk:^ ==^^ TOME PREMIER, Q^^ i^ ^rv-tu^T"^ =r^ u4 R O U E N ^ Chez PiiRRE Machuel , Libraire, rui Gaïuerie , Hôtel de S. Wandrille. M. Dec. LXXX. AVEC PERMISSION, ru NOV s 1965 î"H939 AVERTISSEMENT. |î* '^jÎT' *^ N fi plaint fouvent , & quelque^ ; I I ç yc;i5 on fi dégoûte défis Editions s\ ^ \T ^^^'^^P^^^^^ a un même Ouvrage , ^,— rr^r^i; ^^^ enchériffent fiir les premières ^'^ ♦^ '^^ 6* A'i /ô/zr tomber en difcrêdit, V envie de fatisfaire le Public a déterminé l'Editeur des Chef-d'CEuvres Dramatiques de MM. Corneille à en donner une nouvelle réimprejjion ; la crainte de tromper fa con-^ fiance ne lui a pas permis d'y faire aucuns changements ni aucunes additions. Il efi aifé de s^appercevoir que les jugemens critiques de ces Poèmes ne partent pas de la même main. Les premiers font Us leçons d'un grand Maître qui trace les règles de fon art , & qui en découvre les ficrets aux Auteurs 6* aux Connoiffeurs : dans ceux oit V examen de P, Corneille a manqué ^ on a tâché defup- pléer aux préceptes utiles par quelques Anec- dotes de Théâtre , qui intérefjcnt également les Sçavans & les curieux. Ce Recueil étoit defiiné plus particulière- ment pour les jeunes perfcnnes dont on veut former le goût & les Centime nts, Quoique bien des gens de Lettres leur aient envié l'avantage, 6 AVERTISSEMENT. ic réunir en deux Volumes les Tragédies les plus c(lîmécs de nos deux Auteurs Dramati- ques , il n\ft point à craindre quon oublie la coiution complette de leurs Ouvrages : elle mé- rite fans doute d^étrc confervée précicufcment ^ & perfonne ne contefiera quilfe trouve prcf- que dans toutes les Pièces omijes des traits de génie auffl fub limes qu^ inimitables , s'ils nétoicntfurpajjés par leurs Chef-d'(S>uvres, ^Mik fîw^ sMSifc^: =W3 TABLE DES PIECES Contenues dans ce premier Volume. -^•=5!jfe:^: ^ TRAGÉDIES DE P. CORNEILLE. Lje cid. HORACE. CINNA. POLYEUCTE. LA MORT DE POMPÉE. Entrevue de SERTORIUS & de POMPÉE, tirée du troijîeme Aile de la Tragédie de S e rt o ri ir s. LE CID^ i E C I D TRAGÉDIE. Tome I^ ACTEURS. D. FERNAND , premier Roi de Caftille. D. URRAQUE , Infante de Caflille. D. DIEGUE , Père de D. Rodrigue. D. GOMES , Comte de Gormas , père de Chimene. D. RODRIGUE , Amant de Chimene. D. SANCHE , Amoureux de Chimene. D. ARIAS , ) Gentilshommes Caftil- D. ALONSE , b ^^'^^• CHIMENE , Fille de D. Gomés. LEONOR , Gouvernante de l'Infante, ELVIRE , Gouvernante de Chimene. UN PAGE de rinfar*te. La Scène ejt à Sivillc^ il LE C ï D, TRAGÉDIE. ACTE PREMIER. SCENE PREMIERE. c H I M E N E , E L V I R E, C H I M E N E. ?ï^^^^ Lvire , m'as-tu fait un rapport bien mtiè^jX iinccrc ? ri 5 ^i'T ^^ cléguifcs-tu rien de ce qu'a dit mou i;.;==^>-.,4 ^ E L y I R E. Tous mes fens à moi-même en font encor charmés i Il cftime Rodrigue autant que vous l'aimez : Et C\ je ne m'abufe , à lire dans (on ame , ÎJ vous commandera de répondre à fa flamme. C H I M E N E. Dis- moi donc , je te prie , une féconde fois , . Ce qui te fait juger qu'il approuve mon choix ; Apprends -moi de nouveau, quel efpoir j'cii dois prendre ; tJn fî charmant difcours ne fe peut trop entendre , Tu ne peux trop promettre aux feux de notre amour : Xa douce liberté de fe montrer au jour. Aij 4 L E C I D, <2jc t'n-t-il rcponcUi kir la fccrctc brijC;uc (^Lic font auprès de toi 1). Sanche &: D. Rodiigueî N'ns tu point trop faic voir tjucl'c iiu'«^alitc Entre CCS deux an^a':s me penche d'un coté ? E 1. V I R E. Non, j'ai peint votre cœur dans une indifférence Qui n'enfle d'aucun d'cur , ni détruit rcfpérnncc 5 Et fans les voir d!un oeil trop féverc , ou trop doux,' Attend l'ordre d'un père à clioifir un époux. Ce rcl'pcci l'a ravi , fa bouche ÔL (on xïfagc jM'cn ont donné llir l'heure un cii2,ne témoignage; Hx, puifqa'il faut cncor vous en faire un récit , Voici d'eux ^: de vous ce cju'en lilite il m'a dit. £//^ eji dans le devoir , tous deux font di^ne d'elle l Tous deux formes d'unjang^ noble , vaillant ^ fidèle , Jeune ; mais qui font lire aifément dans leurs yeux L't-^-latante venu de leurs braves aïeux. Don Rodrigue fur- tout , n'a t-raU en j'on vifige ^ii a un homme de coeur nejcit la haute imi.ge y h: frt d'une maifonfif^:onde en guerriers , Qu'ils y prennent naijfance au milieu des lauriers ; l.a valeur de fon péri en fun temps /ans pareille , Tant qu'a duré fa force , a pûjfé pour merveille y Szs rides fur fon front ont gravé jes exploits y Et nous difent euor ce qu il fur. autrefois. Ji me promets du fils ce que j'ai vu du père y Et ma fille , en un mot , peut l'aimer 6' me plaire, II allait au Confcil , dont l'heure qui prc^foit A tranché ce difcours qu'à peine il commençoic j Mais , à ce peu de mots , je crois que fa pcnfée Entre vos deux amans n'eftpas fort balancée. Le Roi doit a fon fils élire un Gouverneur 3 Et c'cft lui que i-egardc un tel dégié d'honneur; Ce choix n'ert pas douteux ; &: fa larc vaillance Ne peut foulfrir qu'on craigne aucune concurrence f Comme Tes hauts exploits le rendent fans égal , Difli im efpoir fi julleil fera faas rival j TRAGÉDIE. <; tt puir^uc D. Rod:if;ue a rcToIu Ton pcre , Au (brrirdu Ccnfcii a propofer l'affaire , Je vous laifT.: à juger s'il prendra bien fon lemps-. Et fi tous vos dclirs feront bientôt contCuS. C H I M E N E. II Cemhh toutefois que mon ariie troublc'c Refufc cette joie , &. s'en trouve accab!ct\ Un moment donne au fort des vifages divers ; "El dans ce grand bonheur je crains an grand revers- E L V I R E. Vous verrez cetrc crainre heurcufcment dcçje. C H I M E N E. Allons , quoi qu'il ea fbir , en attendre l'ilTic. i*f=ij?2=±:î^ SCENE IL L'INEANTE , LEONOR, UN PAGE. L' I N F A N T E, Jl Age , aîlez avertir Cbiraene de ma part , Qu'aujourd'hui pour me voir elle attend un peu rardj Et que mon amitié fe plainr de fa parefTeo. ;^*^^;>=:^=^— .. ' ==> SCENE III. L' I N I A N T E , L E O N O R. LEONOR. M Adame , chaque jour même defîr vousprcfTc 5 Et dans fon entre:ien je vous vois chaque jour Demander en quel point fe trouve fon amour, A iij Ç L E C I D , r I N F A N T E. Ce n*cfl: pas fans fujcr. Je l'ai prcfcjiie forcée A recevoir les itr.its «iont fou ame eft bleflce ; Elle nime D. Rodria;uc , & le tient de in.i main > Et par moi D. Hodrigue a vaincu Ton dcclnin. Ainfi de ces amans , ayant forme les chaînes . Je dois picndic intérêt à voir finir leurs peines. L E O N O R. Madame , toutefois parmi leurs bons fucccs Vous montrez un chagrin qui va jufqu'à l'excès. Cet amour , qui tous deux les comble d'alégrelfe, Pait-il de ce grand coeur la profonde tiifleffe 2 Et ce grand intérêt que vous pienez pour eux , Yousrend-til malheureule alors qu'ils fontheurcux? Mais je vais trop avant , & deviens indifcrctce. L' I N F A N T E. Ma trifteffe redouble à la tenir fecrette. Ecoute , écoute enfin , comme j'ai combattu j Ecoute quels aifauts brave encorma vertu. L'amour cft un tyran qui n'épargne pcrfonnc 3 Ce jeimc cavalier , cet amant que je donne. Je l'aime. L E O N O R. Vous l'aimez l L' I N F A N T E. Mets la main Cnr inon cccur. Et vois comme il fe trouble au nom de fon vainqueur. Comme il le reconnoîr. L E O N O R. Pardonnez -moi , Madame , Si je fors du refpcâ: pour blâmer cette flamme. Une grande Princclfc à ce point s'oublier , Que .'admettre en fon cœur un fimp'c cavalier l Et que diioit le Roi ) Que diroit la Caftille ? Vous fouvient-il cncor de qui vous êtes fille l TRAGÉDIE. 7 L* I N F A N T E. Il m'en fouvicnc Ci bien , c]ue j'cpandrai mon fairg. Avant que je m'abaiile à démentir mon lang. Je te rcpondrois bien que dans les belle', âmes Le fcul mérite a droit de produire des flammes } £t il mapaflîon cherchoic às'excufer,. Mille exemples fameux pourroient l'aiitorifcr 5 Mais je n'en veux point fnivrc où ma gloire s'en- jîa'^c. La furprife des fens n'abat point mon courage ) Et je me dis toujours , qu'étant fille de Roi , Tout autre qu'un Monarque c(ï indij^ne de moi. Quand je vis que mon co:ur ne (e pouvoic défen"- dre , Moi-même je donnai ce que je n'ofois prendre ; Je mis au lieu de moi Chimcnc en Tes liens , , Et j'allumai leurs feux pour éteindre les niiLiis, Ke t'étoimc donc plus II mon ame gênée Avec impatience attend leur hyménée : Tu vois que m.on repos en dépend aujourd'hui } Si l'amour vit d'erpoir , il périt avec lui. Ceft un feu qui s'éteint faute de nourriture 5 Et, malgré la rigueur de ma trifte aventure j^ 5i Chimene a jamais Rodrigue pour mnri , Mon efpérance eft morte , & mon efprit guéri. Je fouffire cependant un tourment incroyable , Jufques à cet hymen Rodrigue m'efl: aimable ; Je travaille à le perdre , & le perds à regret ', Et delà prend fon cours mon déplaifir fecret. Je vois avec chagrin que l'amour me contraigne A poufîer des foupirs pour ce que je dédaigne , Je fens en deux partis mon efprit divifé , Si mon courage cd: haut , mon coeur eft embrafe^, Cet hymen m'eft fatal , je le crains , & fouhaite , Je n'ofe en efpérer qu'une joie imparfaite j Ma gloire 5c mon amour ont pour moi tant d'appas , Que je meurs s'il s'achève , ou ne s'acli-2ve pas, A iy ? L E C I D; L E O N O R. Macîamc , après cela je n'ai rien à vous dire ; Sinon que de vos maux avec vous je foupire ; Je vous bl.îmois tantôt , je vous plains à prcfenr, Mais puifque dans un mal Ci doux & fî cuifanc. Votre vertu combat , & fon chnrmc , & fa force ^ En repoufTe l'allaut , en rejette l'amorce, 'Elle rendra le catme à vos c(prits flottans, Efpércz donc tout d'elle , & du fecours du temps 5 Efpércz tout du Ciel , il a trop de jufhice Pour laiiTcr la vertu dans un fi long fupplicc. r I N F A N T E. Ma plus douce efpérance efl; de perdre l'efpoir. ^'"■■4 ; ■.■*- ■ i>ii=i^;^! SCENE IV. riNFANTE, LEONOR, UN PAGE. LE PAGE. Jl Ar vos commandemens Chimcnc vous vient voir» L' I N F A N T E d Léonor, Allez l'entretenir en cette galerie. L E O N O R. Voulez- vous demeurer dedans la rêverie 2 L' I N F A N T E. Non , je veux feulement , malgré mon dcplaifîr , Remettre mon vifagc un peu plus à loifir : 3e vous fuis. TRAGÉDIE- i=^^C^"- SCENE V. L' I N F A N T E fiule, J Ufle Ciel , d'où j'nttenJs mon rcmcJc l Mets enfin q'jclc]uc borne au mal qui me pollcde^ AjTuie mon repos , aflure mon honneur , Dans le boniieur H'autrui je cherche mon bonheur , Cet hymcnée à trois également importe 3 Rends Ton elfct plus prompt , ou mon ame plus forte ; D'un Hcn conjugal joindre ces deux amans , C'eft brifer tous mes fers , & finir mes tourmcns. Mais je tarde un peu trop , allons trouver ChimenC;,. £t par Ton entretien foulager notre peine. SCENE VI. LE G O M T E, D. D I E G U E^- LE C O M T E. E N'fin vous remportez , Si la faveur du Roi • Vous élevé en un rang qui n'éroit dû qu'à moi ; li vous fait Gouverneur du Prince de Caftille, D. D I E G U E. Cette marque d'honneur qu'il met dans ma famille , Montre à tous qu'il eft jufle, & fait connoître afl'ea' Qu'il fçait récompenfer les fervices palfés. LE COMTE. Pour grands que foienc les Rois , ils font ce que nous fomnits , ils peiiYCût Ti crginpcr comme les aaçres hommes ^ , A V- 10 LE C I D , Er ce choix fcrt de preuve à tous les courtifariS, Qu'ils f^'avcnr mal pnycr les fcrvices préfcns. D. D I E G U E. Ne parlons plus d'un choix dont votre efpiks'iriitc^ La faveur l'a pu faire autant que le mcrirc ; IVlais on doit ce rcTpccl au pouvoir abfolu , De n'examiner rien , c]uai^.d un Roi l'a voulu. A l'honneur qu'il m'a fait , ajoutez-en un autre y Joignons d'un facrc noeud ma maifon à la vôtre j Vous n'avez qu'une fille , &: moi je n'ai (]u'un fils ,' Leur hymen nous peut rendre à jamais plus qu'a» mis 5 Taitcs-nous cette grâce , & Tacceptez pour gendre. LE COMTE. A des partis plus hauts ce beau fils doit prétendre. Et le nouvel éclat de votre dignité Lui doit enfler le cœur d'un autre vanité. Exercez-la , Monfieur , Se gouvernez le Prince 5- Montrez-lui comme il faut régir une Province j Eaire trembler par-tout les peuples fous fa loi 5 Remplir les bons d'amour, & les méchans d'effroi. Joignez à ces vertus celles d'un Capitaine} ^lontrez lui comme il faut s'endurcir à la peine. Dans le métier de Mars (c rendre fans égal , Pafer les jours entiers & les nuits à cheval, Hcpofer tout armé , forcer une muraille , Et ne devoir qu'à foi le gain d'une bataille, Inftruifez-le d'exemple , & rendez- le parfait ^ Expliquant à fes yeux vos leçons par l'efFcr, D. D I E G U E. Pour s'inftruire d'exemple , en dépit de l'envie, 11 lira feulement l'hiiloire de ma vie. Là , dans un long tilfu de belles adlions , 11 verra comme ii faut domtcr des nations , Attaquer une place, ordonner une armée > îtfui de Ljiands exploits bàcir fa renommée* TRAGÉDIE. Il LE COMTE. Xes exemples vivans fonc d'un autre pouvoir ; Un Prince dans un livre apprend mal Ton devoir, Et <]u'a fait après tout ce i^rand nombre d'années , Que ne puilTe égaler une de mes journées ? Si vous fûtes vaillant , je le fais aujourd'hui ; Et ce bras du Hoyaume eft le plus ferme appui. Grenade 5c l'Arragon tremblent quand ce fer brille ,' Mon nom fert de rempart à toute la Caftillc : Sans moi vous pafTericz bientôt fous d'autres loix , Et vous auriez bientôt vos ennemis pour Rois. Chaque jour , chaque inftant , pour rehauiler ir.^ ^ gloire. Met lauriers fur lauriers , vi<5loirc fur vidoire. Le Prince à mes côtés feroit dans les combats L'cfTai de fon courage à l'ombre de mon bras ; Il apprendroit à vaincre en me regardant faire .; Et pour répondre en hâte à Ton grand caradlcre;^ 11 verroit D. D I E G U E. Je le fçais , vous fervez bien le Roi , Je vous ai vu combattre , & commander fous moi. Quand l'âge dans mes nerfs a fait couler fa glace» Votre rare valeur a bien rempli ma place j Enfin , pour épargner des difcours fuperfîus. Vous êtes aujourd'ui ce qu'autrefois je fus. Vous voyez toutefois , qu'en cette concurrence Uu Monarque entre nous met quelque différence» LE COMTE. Ce que je méritois vous l'avez emporté, D. D I E G U E. Qui l'a gagné fur vous l'avoit mieux mérité. I LE COMTE. Qui peu: mieux l'exercer en eft bien le plus dignes D. D I E G U E Bû ctre-tefufé u'eii eft £as un bon Cgne. A vj. Il L E C I D, LE C O M T E. Vous l'avez eu par brigue étant vieux couiiifan. D. D I E G U E. L'cdac de mes hauts faits fut mon feul partifan, LE COMTE, rarlons-en mieux , le Roi fait honneur à votre âge; D. D I E G U E. Le Roi, quand il en fait, le nicfurc au courage. L E C O M T E. Et par-là cet honneur n'cLoit dCicjua mon bras, D. D I E G U E. Qui n'a pu l'obtenir ne le mcritoit pas. LE COMTE. Ne le méritoit pas l moi ? D. D 1 E G U E. Vous. LE COMTE. Ton impudence -^ Tcmcrairc vieillard, aura fa rccompenfc.. ( Il lui donne ynfouffltt. ) D. D I E G U E mettant l'épcc a la main. Achève , & prends ma vie après un tel affront. Le premier dont ma race ait vu rougir Ton front, LE COMTE. £t cjuc penfes-tu faire avec tant de ibiblcrTe t D. D I E G U E après que Jon épée ejl tombie-» O Dieu l ma force ufce en ce bcfoin me laifTc l LE COMTE. Ton épce eft à moi , mais tu ferois trop vain , Si ce honteux trophée avoit chargé ma main. Adieu. Fais lire au Prince, en dépit de l'cnyicj Pour fon inftru(ftion i hiftoire de ta vie ; D'un infolent difcours ce juûe chatimsut Ne lui fetvira gas d'un peut ornement. T ?v A G È D lE. i^ o SCENE VIL D. D I E G U E feiiL Raçrc 1 ô dcferpoir l o vicillcfTe ennemie l N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie? Et ne fiiis-jc blanchi dans les travaux guerrier.? ,_, Que pour voircn uii^jmu" ilétriu- tant de lauriers ? Mon bras qu'avec rcfpcdl: toute l'Efpagnc admire y Mon bras qui tant de fois a fauve cet Empire, Tant de fois afixrmi le trône de fon Roi , Trahit donc ma querells-, 8é ne fait rien pour moi 1 O crut-l fouvenir de ma gloire pa'Tie l CEuvrc de tant de jours en un jour effacée l' Nouvelle dignité fatale à mon bonheur l Précipice élevé d'où tombe mon honneur l Eaut-jl de votre cclat voir triompher le Comte , Et mourir fans vengeance , ou vivre dans la honte "i Comte , fois de mon Prince à prcfcnt Gouverneur-, Ce hnjt rang n'admet point un homme fans honneur j Et ton jaloux orgueil par cet affront indgne , Malgré le choix du Roi , m'en a fçu rciidre indigne. Et :oi, àç. mes exploits glorieux inftrument, Miis d'un corps tout de glace inutile ornement , Eft , jadis tant à craindre, & qui dans cette offenfc. M'a fervi de parade , & non pas de dcfenfc , Va , quinc déformais le dernier des humains , Pajfc pour me venger en de meilleures mains,. 14 L E C I D, SCENE VIII. D. D I E G U E , D. Pv O D R I G U E, D. D I E G U E. R OJriguc as- tu du coeur ? D. RODRIGUE. Tout autre que mon peiû L'cprouveroit fur l'heure. D. D I E Ç U E. Agrcabic colère t Digne rcfTemimcnt à ma douîeur bien doux 1 Je rcconnois mon fang à ce noble courroux ; Ma jcunefl'e revit en cette ardeur fi prompte. Viens ^ mon , fils 3 viens , mon fang , viens réparci? ma honte , Viens me venger. D. RODRIGUE. De c]Uoi ? D. D I E G U E. D'un affront Ci cruel i. Qu'à l'honneur de tous deux il porte un coup mortel ^^ D'un foufRet. L'infolcnt en eût perdu la vie j Mais mon âge a trompe ma généreufc envie; Et ce fer que mon bras ne peut plus foutenir ^ Je le remets au lien pour venger & punir. Va contre un arrogant éprouver ton courage , Ce n'cft que dans le fang cu'ou lave un tel outrage. Meurs ou tue. Au furplus, pour ne te point flatter^ Je te 'o'ine a. combattre un liomme a redouter. Je l'ai vu tout couvert de fang & de pou/lierez Poucx par- tout l'efiloi daûs une armée entière.. TRAGÉDIE. rç J'ai vu par fa valeur cent efcadrons rompus ; Ec pour t'en dire cncor quelque choie de plus , Plus que brave foldat, plus que grand Capitaine^ C"eft .... D. R O D P. I G U E. De grâce achevez. D. D I E G U E. Le perc de Chimen-e. D. RODRIGUE. le . . ^ . D. D I E G U E. Ne réplique point , je connois ton amcur} Mais qui peut vivre infâme cft indigne du jour. Plus l'olFenfeur eft cher , & plus grande eft i'olfcnfe. Enfin tu fçais l'alFront , Si tu tiens la vengeance: Je ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi. Montre-toi digne fils d'un père tel que moi j Accablé des malheurs où le dcftin me range. Je vais les déplorer. Va, cours, voie, &nous vengç> fi - ^^llj^' iA^-^'^'*7^UÙ4 SCENE IX. D. RODRIGUE fcui. j7 Ercé jufqu'au fond (îu cœur D'une atteinte imprévue aulfi-bien que mortellcp. Miférabie vengeur d'une jufte querelle , Et malheureux objet d'une injufte rigueur,. 3e .demeure immobile, & mon ame abattue Cède au coup qui me tue. Si près de voir mon feu récompenfé l O Dieu 1 l'étrange peine 1 En cet affront mon père eft l'oiFenfé j^ £c l'oâsûfcur k perc ds Chimcae l i6 L E C TD, Que je Cens de rudes combats î' Contre mon propre honneur mon nmoiir s'intcrefîc ,, Il faut venger un pcrc , & perdre une maîtrclle j L'un m'nnimc le coeur, l'autre retient mon bras. Réduit nu triftc choix , ci de trahir ma flamme,. Ou de vivre en infâme , Des deux côtés mon mal eft iufini. O Dieux l l'ctrane^c peine! Faur-il laillcr un auront imputii ? Faut-il punir le père de Chimenc?' n,., Vre , ninîtrclTe , honneur , aniour. Noble 5: dure contrainte , aimable tyrannie , TcBs mes plaifirs font morts , ou ma gloire ternie : L'uu me rend malheureux , l'autre indigne du jour. Cher & cruel efpoir d'une amc géncrcufs. Mais cnfemble amoureufe , Digne ennemi de mon plus grand bonheur,. Fer , c]ui caufc ma peine. M'es- tu donné pour venger mon honneur ? M'es-tu donne pour perdre ma Ciiimene? Il vaut mieux courir an trépas ; J-C dois à ma maîtrelfc aufTi-bicn c] j'à mon père 5 J'attire en me vengeant fa haine &: fa colère -j. J'attire Tes mépris en ne me vengeant pas. A mon plus doux efpoir l'un me rend infidèle. Et l'autre , indigne d'elle. Mon mal augmente à le vouloir guérir i" Tout redouble ma peine. /Mons , mon ame , & puifqu'il faut mourir^ Mourons du moins fans ofFcnfcr Chimenc, Mourir fans tirer ma raifon \ Rechercher un trépas fi mortel à ma gloire ! Endurer c|ue l'Efpagne impute à ma mémoire D'avoir aial foutcau l'honneur de raa muifon \ TRAGÉDIE. 17 lSLcC£c£icr un amour Jonc mon ame égarée Voit la perte afTurce l N'écoutons plus ce pcnfer fiibomeur ^ Qui ne ferc qu'à ma peiire. Allons , mon bras , fauvons du moins l'Iicn- neur , Puifcju'après tout il faut perdre Chimcnc. Oui , mon efprit s'étoit déçu , 7e dois tout à mon père avant qu'à ma maître ffc 5 Que je meure au combat , ou meure de triftclTc , Je rendrai mon fang pur , comme je l'ai reçu. Je m'accufe déjà de trop de négligence ^ Courons à la vengeance} Et tout honteux d'avoir tant balancé , Ne foyons plus en peine , Puifqu'aujourd'hui mon père eft l'offenfé , Si l'ofFenfcur cil: pcre de Chimenc^ Fin du premier Acîe. ^^ ^ iS L E C I D, gffl^ !J-^-=^gfe^ r=r=r^^ ACTE IL SCENE P II E M I E R E. D. A R I A S , L E COMTE. L E C O M T E. J E l'avoue entre nous, mon fane; un peu tropcliatid S cil trop ému d'un mot , & l'a porte trop haut 3 }»lais puift^uc c'en cft fait , le coup eft fans remède. D. ARIAS. Qa'aux volontés du Roi ce grand courage cède , 11 y prend grande part , & Ton cœur irrité Ac^ira contre vous de pleine autorité. Aiilll vous n'avez point de valable défcnfe ; Le rang de l'otFcnfé , la grandeur de I oHenfe, Demandent des devoirs U des foumifiions Qui pairent le comm.un des fansfadions, LE C O M T E. Le Roi peut à Ton gré difpofer de ma vie. D. ARIAS. De trop d'emportement votre faute eft fuivie. Le Roi vous aime encore , appaifez Ton courroux j II a dit : Je U v^ux. Défobéircz vous t L E C O M T E. Monfîcur , pour confèrvcr tout ce cjue ;*ai d'cflimc, Défobéir un peu n'efl pas 'm fi grand crime 5 Et, c]uelc|'JC c ."«■•.i cj'i'ii (oit , mes fcrviccs prcfenj ■Po. r î ! f.i;: : ..'. .li;- , font plus que luffifans. D. ARIA S. <;^joi ■jUon iy:;- d'illuflc dc de confîdérable , Jjrnai<; à lo-i f-ij^-: un Roi n'eft redevable : Yous vous flattez beaucoup , ôc vous devez f^avoir^ TRAGÉDIE. îr, Que qui fcrc bien fou Roi ne fait que Ton devoir. Vous vous perdiez , Monfîcur, fur cette connance. LE COMTE. Je ne vous en croirai qu'après l'expérience. D. ARIAS. Vous devez redouter la puiiTance d'un Roi. LE COMTE. Un jour fcul ne perd pas un homme tel que moi. Que toute (a grandeur s'arme pour mon fupplicc. Tout l'état périra , s'il faut que je périfle, D. ARIAS. Quoi î Vous craignez G. peu le pouvoir fouverain. L E C O M T E. D'un fceptre qui fans moi tomberoit de fa main, îl a trop d'intérêt lui-même en ma perfonne ; Et ma tête eu tombant feroitchcoir fa couronne, D. ARIAS. Souffrez que la raifon remette vos efprits. Prenez un bon confeil. LE C O M T E. Le confeil en eft pris, D. ARIAS. Que lui diral-jc eniin? Je lui dois rendre compte, LE C O M T E. Que je ne puis du tout confcntir à ma honte. D. ARIAS. Mais fongez que les Rois veulent être absolus. L E C O M T E. Le fore en efl jette, Monfieur , n'en parlons plus," D. ARIAS. Adieu donc, puifqu en vain je tâche à vous réfoudre, A\QC tous vos lauriers craiç^nez encor la foudie, L E C o'aI t e. Je l'attendrai faus peur. iy L E C I D , D. ARIAS. Mai'î non pas fans cffcr. LE C O M T E. Kous verrons doue par- là Don Dicgue (àcisfait. Qui ne craint point la more , ne craint point ks m^ naccs i J'ai le coeur au-dclTus des plus fîcrcs difgraces , Et l'on peut me réduire à vivre fans bcniieur, Alais non pas me réfoudre à vivre fans honneur. •■C ^^-^2^^ SCENE II. D. RODRIGUE, LE COMTE. D. RODRIGUE. A moi , Conuc , deux rrot<^. LE COMTE. Parle. D. RODRIGUE. Otc moi d'un doute, Connoistu bien don Dicgue ? L E C 6 M T E. Oui. D. RODRIGUE. Parlons bas j écoute, Sçr.is-tu 2JUC ce vieillard fut la mcme vertu, La vaillance & Thonneur de fon temps? Le fçais tu î LE COMTE. rcur-é:rc. D. RODRIGUE. Cette ardeur c]ue dans les yeux je porte ^ 5cais-tu eue c'efi: (on fanp; ? Le fçais-tu? LE COMTE. Que m'importe ? T Pv A G È D I E. 21 D. RODRIGUE. A quatre pas d'ici je te le fais fçavoir, L E C O M T E. y^unc prcfomprueuj:. DT. RODRIGUE. Parle fans t'émouvoîr. Je fais jeune , il eft vrai j mais aux âmes bien neôs La valeur n'attend pas le non:bre des années, LE COMTE. Te incfurer à moi l qui t'a rendu il vain? Toi , qu'on n'a jamais vu les armc.> à la main ? D. RODRIGUE. Mes pareils à deux fois ne fe font point connoîrrc , Et pour Jeur coup d'clfai veulent des coups de maître, LE COMTE. Sçais-tu bien qui je f.iis r D. RODRIGUE. Oui , tout autre que moi Au fcul bruit de ton nom pourroi: trembler d'effroi. Les palmes dont je vois ta tête fi couverte. Semblent porter écrit le deRin de ma perte 3 J'attaque en téméraire un bras toujours vainqueur j Mais j'aurai trop de force ayant alTez de cœur, A qui venge fon perc , il n'eft rien d'impoflible ; ToR bi-as eft invaincu , mais non pas invincible. L E C O M T E. Ce grand cœur, qui paroît aux difcours que tu riens,' Par tes yeux chaque jour fe découvroit aux miens 3 Et croyant voir en toi l'honneur de la Cafiille , Mon ame avec plaifîr te deftinoit ma fille. Je fçais ta padlon , & f.iis ravi de voir Queta-ts fes m.ouvcmens cèdent à ton devoir. Qu'ils n'ont point afîoibli cette ardeur magnanime ^ Que ta haute vertu répond à mon eflimci Et qu£ voulant pour gendre un Cavalier parfait , Je ne me trampois point au choix i^ue j'avois faiu il L E C I D, Mais je fcns que pour toi ma pitié s'iiu(?rcfl> , J'admire ton courage , & je plains ta jcuncirc. Ne cherche point à faire un coup cJ'eflai fatal , Difpcnfc ma valeur d"un combat inégal j Trop peu d'honneur pour moi fuivroit cette vidoirc j A vaincre fans péril , on triomphe fans gloire ; On te croiroic toujours abattu fans efforts Et j'aurois feulement le regret de ta mort, D. RODRIGUE. D'un indigne pitié ton aud.-îce efl: fuivie : Qui m'ofv." ôter i'honneur craint de m'ôtcr la vie ? LE COMTE. Rctirc-toi d'ici. D. R O D Pv I G U E. Marchons fans difcourir. LE COMTE. Es-tu Cl las de vivre ? D. RODRIGUE. As-ru peur de mourir ? LE COMTE. Viens , tu fais ton devoir ; ci le fils dégénère Qui furvit un moment à 1 honneur de fon père. ^-^^— M^— i— _ iMaMi— ^M^Ai*- ^r C ' '2^!^^^" SCENE III. L' I N' F A N T E , c H I M E N E , L E O N O R. L" I N F A N T E. Ppaife , ma Chimenc , appaifc ta douleur , Fais agir ta confiance en ce coup de malheur. Tu rcvcrrns le calme après ce foibic orage. Ton bonJicur n'eft couvert que d'un peu de uuagej ht tu n'as ricii perdu pour le voir diiféicr. TRAGÉDIE. 23 C H I M E N E. Mon cœur outré d'ennuis n'ofe rien cfpérer. Un ora^c fî prompc, cjui trouble une bonacc. D'un naufrage certain nous porte la menace ; Je n'en fçaurois douter, je péris dans le port. J'aimois , j'étois aimée , & nos percs d'accord. Et je vous en ccnrois la pi'cmicre nouvelle Au malheureux moment que naiffoit leur querelle , Dont le récit fatal , fi-rôt qu^on vous l'a fait , D'une Cl douce attente a ruiné l'effet. Maudite ambition , détcftable manie , Dont les plus généreux fbuffrcnt la tyrannie. Honneur impitoyable à mes plus cliers dcfirs , Que tu me vas coûter de pleurs & de foupirs l L' I N F A N T E. Tu n'as dans leur querelle aucun fujct de craindre. Un moment l'a fait n'aître , un moment va rétcindre. Elle a fait trop de bruit pour ne pas s'accorder , Puifque déjà le Roi les veut accommoder 5 Et tu fçais que mon ame à tes ennuis fcnfibîc , Pour en tarir la fource , y fera î'impoflîblc, C H I M E N E. Les accoinmodemens ne font rien en ce point , De Cl mortels affronts ne fe réparent point. En vain on fait agir la force ou la prudence. Si l'on guérit le mal , ce n'eft: qu'en apparence ; La haine que les cœurs confervent au-dcdans Nourrit des feux cachés , mais d'autant plus ardens, L' I N F A N T E. Le faint nœud qui joindra Don Rodrigue Se Chimene, Des pères ennemis di/llpcra la haine , Et nous verrons bientôt votre amour le plus fort Par un heureux hymen étouffer ce difcord. ^ C H I M E N E. Je le fouhaite ainfi plus que je ne refpcre; Don Diegue eil trop alcier , & je connois mon perc* a# L E C I D , Je Icrs co'jiwT des pleurs c]iic je veut retenir , Lcpail'é me tourracine , & je crains l'avenir, L' 1 N F A N T E. -Que crains-tur D'un vieillard l'impuinantcfaibîc/Tc? C H I M E N E. Rodrigue a du courage, . L' I N F A X T E. II a trop de jcuncfrc. C H I M E X E. Les hommes valeureux le font du premier coup. L' I >; F A X T E. Ta ne dois pas pourront !c redouter beaucoup , II eft trop amoureux pour te vouloir déplaire j £: deux mots de ta bouche arrétenc Ca. colère. C H I M E X E. S il ne m'obcir point, cuel comble a -mon ennui I E: s'il peu: m'obéir , que dira-t-oi:: de lui î Etant aé ce qu'il cft, fouffrir un te! o.itragc l Soit ou'ii ccic ou réiîfte au feu qui me l'ei^crairc , Mon cfp-it ne peut c]u'c:re , ou honteux , ou conKis , De Ton trop de refpcci, ou d'un jultc refus, L' I X F A X T E. Cliimcnc a l'amer haute , Se quoiv]u'intcrclTcc, Elle ne peut fouffrir une bafic pcnfee : Mais , (î jufqucs au jour de raccommodcmcut Je fais mon prifonnier de ce parfait amant. Et q.ic j'crapcchc ainfi l'ctfct de Con courage , Ton cfpric amoureux n'aura-til point d'ombr:5gc ? C H I M E X E. Ah \ MadaiLc ! En ce cas je n'ai plus de foucL ÇCENE IV. TRAGÉDIE. 15 SCENE IV. L* I N F AN T E , C H I M E X E , L E O N O R 4 U N P A G E. L' I N F A N T E. JL Age, cherchez Rodrigue , 8c l'amenez ici» LE PAGE, Le Comte de Gormas & lui ... . C H I M E N E. Bon Dieu 1 je trembici r I N F A N T E. Parlez. L E P A G E. De ce Palais ils font fortis enrembîc, C H I M E N E. Stulsî LE PAGE. Seuls , & qui fembloient tout bas Te quereller. C H I M E N E. Sans doute ils font aux mains , il n'en faut plus parJer. Madame , pardonnez à cette promptitude. KSSS ^:i=^a=V^ H SCENE V. L- I N F A N T E , L E O N O R. L' I N F A N T E. £'as l que dans l'efprir je fcns d'inquie'tadc l Je pleure fes malheurs , (on amant me ravit , l^lon repos m'^bâûdoûfle , & ma flamme revit, i6 L E C I D , Ce qui va fcparer Rodrigue de Chimcnc Fait rcn.iîcrc à la fois mon cfpoir 5c ma peine > Et leur divilion c]ue je vois à regret. Dans nîoncfpiit charme jette un plaifir fecier, L E O N O R. Cette haute vertu oui règne dans votre amc Se rcnd-cllc fit-tot à cette lâche flamme 3 L" I N F A N T E. Ne la nomme point lâche , à préfent cjiic chez moî Pomp^ufe &: triomphante elle me fait la loi. Porte-lui du refpeâ:, puifqu'eile m'eft Ci cherc , Ma vertu la combat 5 mais malgré moi j'erpctci Et d'un fi foi e'poirmon cœur mal défendu Volt après un amant que Chimene a perdu. L E O N O R. Vous laiiTez chcoir ainfi ce glorieux courage; Et la raifoiî clîcz vou»; perd ainfî Ton ufagc î L' I X F A N T E. Ah 1 cju'avec peu d'effet on entend la raifon , Quand le CGCureft atteint d'un fi charmant poifon \ ht lorfque le malade aime fa maladie, Qj'il a peine à fouffrir que l'on y remédie l L E O N O R. Votre cfpoir vous féduit , votre mal vous cfi: doux } Mais enfin ce Rodrigue efl indigne de vous. L' I N F A N T E. Je ne le fais que trop ; mais fi ma vertu cq^c , Apprends comme l'amour flatte un coeur qu'il poflcdc. Si Rodrigue une fois fort vainqueur du combat , Si defious fa valeur ce grand guerrier s'abat , Je puis en faire cas , je puis l'aimer fans honte: Que ne fera-t-il point , s'il peut vaincre le Comte ? J ofc m'imaginer qu'à fcs moindres exploits Le-. Royaumes entiers tomberont fous fcs loix ; Et mon amour flatteur déjà me perfuade Que js k vois affis au tiône de Grenade, TRAGÉDIE. iy Les Mores fubjugtiés trembler en l'adorant > L'Arragon recevoir ce nouveau conquérant, LcPorcugal fc rendre , & Tes nobles journées Porter delà les mers les hautes deftinées , Du fang des Africains arrofer Tes lauriers ; Enfin tout ce qu'on dit des plus fameux guerriers," Je l'attends de Rodrigue après cette victoire , Et fais de Ton amour un fujet de ma gloire. L E O N O R. Mais , Madame , voyez où vous portez Ton bras ,' Enfuite d'un combat qui peut-être n'eil pas. L' I N F A N T E. Rodrigue eft olfenfé , le Comte a fait l'outrage , Ils font fortis cnfcmble , en faut -il davantage î L E O N O R. Hé bien , ils fe battront , puifque vous le voulez 5 Mais Rodrigue ira- 1- il fi loin que vous allez î L' I N F A N T E. Que veux- tu r Je fuis folle , & mon esprit s'égare ; Tu vois par-là quels maux cet amour me préparc, Vien dans mon cabinet confolermes ennuis. Et ne me quitte point dans le trouble où je fuis. s^^Sà^ SCENE V I. D. FERNAND,D. ARIAS; D. SANCHE,D. ALONSE. L D. F E R N A N D. E Comte eft donc fi vain & fi peu raifonnabic I Olè-t-il croire encore Ton crime pardonnable i D. A R I A S. Je l'ai de votre part long-temps entretenu ; ^'ai fait mou pouvoir , Sire , & n'ai rien obtenaî It L E C I D , D. F E R N A N D. Jufles Ciciix 1 Ainfi donc un fujct tcmunirc A il peu de rcfpcd &: de foin de me plaire'. II ofRnfc D. Dic£;uc , & méprifc Ton Roi l Au milieu de ma Cour il me donne la loi l Qu'il foit brave guerrier , qu'il foie grand capitaine ^ Je f^auraibicn rabattre une humeur li hautaine -, rùt-il la valeur même , & le Dieu des combats , Il verra ce que c'cft que de n'obéir pas. Quoi qu'ait pu mériter une telle infolence , Je l'ai voulu d'abord traiter fans violence : ( a D. Alonfe, ) Mais , puirqu'il en abufe , allez des aujourd'hui. Soie qu'il réllllic , ou non , vous aflurer de lui. =^i*^=^,?^=tf^ ■ ■! fît SCENE VII. t). lERNAND , D. SANCHE , D. ARIAS, D. S A N C H E. jT Eut -être un peu de temps le rendroit moin"* rebelle , On l'a pris tout bouillant encore de fa querelle. Sire , dans la chaleur d'un premier mouvement Un ca-ur H généreux (z rend mal aifémcnc; Il voie bien qu'il a tort , mais une amc fi haute N'cft pas li-tôt réduite à confcrTcr fa faute. D. P E R N A N D. Don Saiichc, taifez-vousj & foyez averti Qu'on fc rend criminel à prendre fon parti. D. S A N C H E. J'obéis , & me tais : mais de grâce cncor, Sire^ Deux niots ea fa dvfcofe» TRAGÉDIE- ^ D, r E R N A N D. Et que pourrez- voOS dire î D. S A N C H E. «Qu'une aftic accoutumée aux grandes adionî Kc fe peut abailTcr à des foumiffions. Elle n'en conçoit point qui s'explique fans honte J Et c'eft à ce mot fcul qu'a rcfiflc le Comte, il trouve en Ton devoir un peu trop de rigueur 5 Et vous obciroit , s'il avoit moins de cœur. Commandez que fon bras , nourri dans lesalarme?^ Repare cette injure à la pointe des armes ; 11 (âtisfera , Sire , Se vienne qui voudra , Attendant qu'il l'ait fçu , voici qui répondra. D. r E R N A N D, Vous perdez le refpecfl ; mais je pardonne à l'agc j Et j'eicufe rardcur en un jeune courage. Un Roi, dont la prudence a de meilleurs objets, Eft meilleur ménager du Tang de Tes fujets; Je veille pour les miens , mes foucis les confervenc , Comme le chef a foin des membres qui le fervenu Ainfi votre raifon n'eft pas raifon pour moi , Vous parlez en foldat, je dois agir en Roi: Et quoiqu'on veuille dire, & quc5iqu'il ofe croire. Le Comte à m'obéir ne peut perdre fa gloire. D'ailleurs , l'aiïront me touche ; il a perdu d'hoii* neur Celui que de mon fils j'ai fait le gouverneur. S'attaquera mon choix, c'cftfe prendre à raoi-memc^ Et faire un attentat fur le pouvoir fuprême. N'en parlons plus. Au refte , on a vu dix vaiiTeaui De nos vieux ennemis arborer les drapeaux , Vers la bouche du fleuve ils ont ofé paroître. D. ARIAS. Les Mores ont appris par force à vous connoître^ De tant de fois vaincus , ils ont perdu le corur Pc fc plus hafardçr contre lui fi grand vainqueur» 30 L E C I D , D. F E R N A N D. Ils ne verront jamais , fans quelque jalouse , Mon fccpcrc en dcpit d'eux régir l'Andaloufic j Et ce pays H beau qu'ils ont trop poirédc. Avec un cril d'envie cft: toujours regardé. C'cft l'unique raifon qui m'a fait dans Sévillc Placer depuis dix ans le trône de Caftille , Pour les voir de plus près , & d'un ordre plus promue Renvcrfer aufli tut ce qu'ils entreprendront. D. ARIAS. Ilsfçavcnt aux dépens de leurs plus dignes tétcs^ Combien votre préfence alfurc vos conquêtes ; Vous n'avez rien à craindre. D. F E R N A N D. Et rien à négliger : jLe trop de confiance attire le danger. Et vous n'ignorez pas qu'avec foit peu de peine Un flux de pleine mer jufqu'ici les amené. Toutefois j'aurois tore de jetter dans les cœurs. L'avis étant mal sûr, de paniques terreurs. L'effroi que produiroit cette alarme inutile, Dans la nuit qui furvient troub!croir trop la ville. Faites dçublcr la garde aux murs & fur le porc, C'eft affcz pour ce foir. SCENE VIII. p. FERNAND,D. SANCHE^i D. ARIAS, D. ALONSE. D. ALONSE. i^ Ire , le Compte efl: mort. D. Dicgue par Ton fils a vengé Ton offcnfc. TRAGÉDIE. '5ft D. F E R N A N D, Des que j'ai feu l'afBont , j'ai prévu ia vengeance 5 Bc j'ai voulu dès-lors prévenir ce malheur. D. A L O N S E. Chimene à vos genoux apporte fa douleur , Elle vient tout en pleurs vous demander juftice^ D. F E R N A N D. Bien qu'à Tes déplai(îrs mon amecompatitfe, . Ce que le Comte a fait , femble. avoir mérité Ce digne châtiment de fa témérité. Quelque jurte pourtant que puilFc être fa peinc^ Je ne puis fans regret perdre un tej Capitaine. Après un long fervice à mon état rendu , Apres fen (ang pour moi mille fois répandu , A quelques fentimens que fon orgueil m'oblige^ Sa perte m'afFoiblic, de fou trépas m'alHige^ SCENE IX. p. FERNAND,D. DIEGUE C H I xM E N E , 1). S A N C H E , D. A R I A S , D. A L O N S E. CHIMENE. O Ire , Sire , juftice. D. DIEGUE. Ah l Sire , écoutez-nous> CHIMENE. 7e nie jette à vos pieds. D. DIEGUE. J'embrafTe vos genoUîî- CHIMENE. Jç demande juflice. D. DIEGUE. Eiuendez ma qc^qhCc^ B iv IX Le C I d, C H I M E N E. D'un jeune audacieux punilfcz rinfolcncc j Il a de votre Iceprre abattu le foutieu , Il a tue mon peie. D. D I E G U E. Il a venge le fîcn. C H I M E N E. Au fang de Tes fujcts un Roi doit h juflicc. D. D I E G U E. Pour la jufle vengeance il nVll: point de Tupplice, D. F E R N A N D. Levez-vous l'un & l'autre , Se parlez à loifir, Chimene, je prends part à votre dcplaifîr , D'une égale douleur je fcns mon amc atteinte» ( à D. Diegue. ) Vous parlerez après , ne troublez pas fa plainte, CHIMENE. Sire, mon père efi: mort : mes yeux ont vu (on fan» Couler à gros bouillons defbn gcncrcux flanc 5 Ce fang qui tant de fois garantit vos murailles , Ce fang <]ui tant de fois vous gagna des batailles. Ce fang qui , tout forti , fume encore de courroua De fe voir répandu pour d'autres cjue pour vous , Qu'au milieu des liafards n'ofoit vcrfer la guerre, Rodrigue en votre Cour vient à'tïi couvrir la terxf» J'ai couru fur le lieu fans force &: fans couleur , Je l'ai trouvé fans vie. Excufez ma douleur , Sire , la voix me manque à ce récit funcfte , Mes pkurs & mes foupirs vous diront mieux le redcî D. F E R N A N D. Prends courage , ma fiîle , & fçache qu'aujourd'hui ||;.., Ton Roi te veut fervir de pcre au lieu de lui. CHIMENE. Sire, 'de trop d'honneur ma mifere cft fuivîe. Je vous l'ai déjà dit , je l'ai trouve fans vie , Son flanc étoit ouvert , & pour mieux m'émouvoir ^^ Son fang £ujr la pouICçrc éciiyoit mon devoir. TRAGÉDIE. 35 Ou plutôt fa valc jr cii cet ctat réduite Me parloit par ia plaie, & hâtoic ma pourfuite j Et poui- fe faire ciuendie au plus jufle des Rois, Par cette trifte bouche ç!Ie empruntoit ma voix. Sire, ne loufFrcz pas que fous votre puiflaact Hegnc dcvar.t vos yeux une telie licence , Que les plus valeureux avec impunité Soient expofcs aux coups de la témérité , Qu'un jeune audacieux triomphe de leur gloire^ Se baigne dans leur lang ,"& brave leur mémoire; Un il vaillant guerrier , qu'on vient de vous ravir ^ Eceinc , s'il n'cll vengé , l'ardeur de vous fervir, Enfîji , mon perc cft mort, j'en demande vengeance g Plus pour votre intérêt que pour mon allégeance. Vous perdez en la more d'un homme de ion rang , Venge2-là par une autre, & le fang par le Tang. Immolez , non à moi , mais à votre couronne , Mais à votre grandeur , mais à votre perfonne j limmolez , dis-je , Sire , au bien de tout l'état , Tout ce qu'enorgueillit un (1 haut attentat. D. F E R N A N D. Dot3iDiegue, répondez. D. D I E G U E. Qu'on efu digne cî^cnvis Lorfqu'en perdant la force on perd aulîi la vie 5 Et qu'un long âge apprête aux hommes généreux Au bout de leur carrierjc un dcftin malheureux! Moi , dont les longs trayaus ont acquis tant de gloire ^■ Moi , que jadis par-touc a fuivi la vidloire » Je me vois aujourd'hui, pour avoir trop vécu , Recevoir iin affront , & demeurer vaincu. Ce que n'a pu jamais combat , fiegc , erabufcade | Ce que n'a pu jamais Arragon , ni Grenade , Ni tous vos ennemis , ni tous mes envieux , Le Comte en votre cour l'a fait prefqu'à vos yeiix| Jaloux de votre choix, & fier de l'avantage Que luidoiinoi: far moi r.imPuiûTance de iâgc». 34 L E C I D , Sire , ain(î ces cheveux blanchis fous le hornois J Ce fang pour vous (crvir prodigue tant de fois , Ce bras , jadis l'effroi d'une armcc ennemie, Defcendoicnt au tombeau tous chargés d'infamie ^ Si je ii'eufie produit un fils di^^ne de moi. Digne de Ton pays , &: digne de Ton Roi» Il m'a prêté iz main , il a tué le Comte , Il m'a rendu l'honneur , il a lavé m.a honfe. Si montrer du courage & du reiTentiment, Si venger un foufflet mérite un châtiment , Sur moi fcui doit tomber l'éclat de la tempête: Quand le bras a failli , l'on en punit la tête. Qu'on nomme crime , ou non , ce qui fait nos débats ;^ Sire , j'en fuis la tête , il n'en cfl que le bras; Si Chimcne fc plaint qu'il a tué Ton pcrc ,. Il ne l'eût jamais fait , fi je l'eufTe pu faire.. Immolez donc ce chef que les ans vont ravir. Et coufervez pour vous le bras qui peut fervir^ Aux dépens de mon fang fatisfaites Chimene, Je n'y réfifte point , je confens à ma peine j Et , loin de murmurer d'un rigoureux décret , Mourajit fans déshonneur , je mourrai fans regrcr| D. F E R N A N D. L'affaire efl: d'importance , & bien confidérce Mérite en plein Confeil d'être délibérée. Don Sanche, remettez Chimene sn fa maifon ^ ï)ou Dicgue aura ma Cour & fa foi pour prifon. ( a Don Arias. ) Qu'on me cherche fon fils. Je vous ferai juftîce, CHIMENE. îleftjuftc , grand Roi , qu'un meurtrier périfTe* D. f E R N A N D. îrends du repos , ma fille , 6r calme tes douleurs». CHIMENE. 14'ordonner du repos ,. c'eft croître mes malheurs^ JFi/i dujuoni Aâct TRAGÉDIE. 35 ACTE I I L SCENE PREMIERE, D. RODRIGUE, ELVIRE. E L V I R E. XV O Jrigue , qu'as- tu fait : Oiî viens-tu, miférabl': ? D. RODRIGUE. Suivre le trifie cours de mon fort déplorable. ELVIRE. Ou prends-tu cette audace & ce nouvel orgueil , De paroître en des lieux que tu remplis de deuil ? Quoi l viens- tu jufquici braver l'ombre du Comcc^ Ne l'as tu pas tué ? D. R O D R I G U E. Sa vie étoit ma hontc ^ Mon honneur de ma main a voulu cet eiFoIt, ELVIRE. Mais chercher ton afyle en la maifon du mort! Jamais un meurtrier en fit-il Ton refuge? D. R O D R I G U E. Et je n'y viens auflî que m'ofFiir à mon juge. Ne n^t regaide plus d'un vifage étonné , Je cherche le trépas après l'avoir donné. Mon juge eft mon amour , mon juge efl ma Chi*' mené , ' Je mérite la mort de mériter fa haine-5 Et j'en viens recevoir , comme un bien fouverain j £t l'arrêt de fa bouche , &c le coup de fa main. ELVIRE, ïuis plutôt de fcs yeux , fuis de fa violence ^ éri^^ premiers cianfpprts dérobe ta préfence y 36 L E C I D , Va , ne t'cxpofc point aux premiers mouvemens Que poulll-ra l'ardeur de Tes rellentimens. D. R O D PL I G U E. Kon , non , ce cher objet à qui j'ai pu déplaire, Kc peut pour mon fupplice avoir trop de colcrc j Et j'évite cent morts qui me vont accabler, 5i pour mourir plutôt je puis la redoubler. E L V I R K. diimene efl an Palais de pleurs toute bîfgne'e ^ Ec n'en reviendra point que bien accompagnde. Rodrigue , fuis de grâce , ôte-moi de Co\xci , Que ne dira-t-on point fi l'on le voit ici ?• Veux-tu qu'un mcdilant , pour comble à fa miferc ,'' L'accufc d'y fouftiir raffanin de Ton père "i Elle va revenir , elle vient , je la voi j Du moins, pour Ton iionneur , Rodrigue, cache- toi, Jlf' ft=— ^'^ îg? "' =- :g; SCENE IL t>. S A N c H E , c H I M E N E^' E L V I R E. o D. S A N C H E. Ui, Madame, il vous faut de fanglantes vi(flimçsj Votre colère eft jufte 3c vos pleurs légitimes > £t je n'entreprends pas , à force de parler » Ki de vous adoucir , ni de vous confolcr, îrlais fî de vous fcrvir je puis être capable , ^Employez mon épée à punir le coupable j Employez mon amour à venger cette mort ; Sous vos commande mens mon bras fçra tfop for(î C H I M E N 3. èdalheureufe I TRAGÉDIE, 37 D. s A N C H E. De grâce , acceptez mon fcrvice. C H I M E N E. T'ofFcnfèrois le Roi qui m'a promrs j'jfticc. D. S A N C H E. Vous fçavcz qu'elle marche avec tant de langueur j Qa'afTcz fouvenc le crime échappe à fa longueur , Son cours lent & douteux fait trop perdre de larmes ^ Souffrez qu'un cavalier vous venge par les armes > La voie en eft plus sûre , & plus prompte à punir:. C H I M E N E. C'cfl le Aîrnler remcde , Se s'il y faut venir, Ec que de mes malheurs cette pitié vous durs ,' Vous ferez libre alors de venger mon injure, D. S A N C H E. C'efl l'unique bonheur où mon ame prétend 5 Et pouvant l'efpérer , je m'en vais trop content. y^-^f?(è^' -^ ' ■ 1» E SCENE I I L CHIMENE, ELVIRE. C H I M E N Eo Nfîn je me vois libre , & je puis fans contrainte J De mes vives douleurs te faire voir l'atteinte. Je puis donner paflage à mes tiiftes foupirs , Je puis t'ouvrir mon ame & tous mes déplai/îrj. Mon pcre eR mort , Elvire , & la première épée Dont s'eiî: armé Rodrigue a fa trame coupée. Pleurez, pleurez, mes yeux, & fondez- vous en eau , La moitié de ma vie a mis l'autre au torabeaaj Et m'oblige à. venger , après ce coup f jnefte ^ SiCiiie quç je u'ai plus fw cçjilç gui cjç içflc. 3? L E C I D ,. E L V I R E. Kcpofcz-vous , Madame. C H I M E N E. Ah l que maNà-propos l Dans un malheur fi grand , tu parle de repos L Par où fera jamais ma douleur appaifée , Si je ne puis haïr la main qui l'a caufée ; Et que dois-je efpcrer qu'un tourment éternel ^ Si je pourfuis un crime aimant le criminel l E L V I R E. II vous prive d'un pcre , & vous l'aimez encore,'. C H I M E N E. C'cfi peu de dire aimer , Elvire , je l'adore^- Ma paflîon s'oppofe à mon rcfTentiment , Dedans mon ennemi je trouve mon amant j Et je fens , qu'en dépit de toute ma colère , Rodrigue dans mon cœur combat cncor mon pcrc ^. Il l'attaque , il le prefTe , il ccdc , il Ce défend , Tantôt fort, tantôt fciblc, & tanrôt triomphant:: Mais en ce dur comoac de colère & de flamme. Il déchire mon cœur fans partager mon ame : Et quoique mon amour ait fur moi de pouvoir ,. Je ne confulte point pour fuivre mon devoir : Je cours fans balancer où mon honneur m'oblige 5 Rodrigue m'cfi: bien cher , Ton intérêt m'afflige , Mon cœur prend fon parti 5 mais , malgré Ton cfTorr ^ Je fçais ce que je fuis , & que mon père eft mort^ ELVIRE. Pcnfêz-vous le pourfuivre "i C H I M E N E. Ah ! cruelle penfc^c ^ Et cruelle pourfuite où je me vois forcée l Je demande fa tête , & crains de l'obtenir; Ma mort fuivrala fienne , & je le veux punir.- ELVIRE. Quittez , quittez. Madame , un deffcin fî tragique J, We vous ippofçz point dç loi ù. tyraiiui'^uç. TRAGÉDIE. jgr. C H I M E N E. Qiîormonperc cran t more, ScpreCqu'entre mes bras,_ Son fang criera vengeance , & je ne l'aurai pas l Mon cœur honrcufcmcnc furpris par d'autres charmeS;^ Croira ne lui devoir que d'impuiifant^s larmes l Et je pourrai foutfrir qu'un amour fiiborncur Sous un Jàche fllence écoulTe mon honneur l. E L V I R E. Madame , croyez- moi , vous ferez excufabîe D'avoir moins de chaleur contre un objet aimable 5 Contre un amant fi cher, vous avez alTez fait , Vous avez vu le Roi , n'en prefTez point l'effet , Ne vous obftincz point en cette humeur cirange,' C H I M E N E. Il y va de ma gloire , il faut que je me venge s Et de quoi que nous flatte un defir amoureux , Toute excufe eil honteufe aux efprits généreux, E L V I R E. Mais vous aimez Rodrigue , il ne vous pciu déplaire» C H i M E N E. le l'avoue. E L V I R E. Après tout , que penfez-vous donc faire » C H I M E N E. Pour confèrver ma gloire & finir mon ennui. Le pourfuivre , le perdre , & mourir après lui. 40 L E C I D , SCENE IV. D. RODRIGUE,CHIMENEî E L V I R E. H D. RODRIGUE. , J: E bien , fans vous Jonncr la peine de pourfiiivrc;^ Ail jtez-vous l'honneur de m'cinpéclicr de vivre. C H I M E N E. Elvirc , ou {ommcs-nous ? Ec qu'cft-ce que je voi ^ Rodrigue en ma maifon l Rodrigue devant moil D. RODRIGUE. N'épargnez point mon fang , goiiccz fans réfiftanc*^ La douceur de ma perte & de votre vengeance,. C H I M E N E. Hcias ! D. RODRIGUE.. Ecoute-moi. C H I M E N E. Je me meurs. D. RODRIGUE. Un momcntv C H I M E N E. Ya, lai/Tc-moi mourir. D. R O D R r G U E. Quatre mots feulement >• Après ne me reponds qu'avec cette cpcc. C H I M E ^J E. Quoi l du fang de mon père encore toute trempée l D. RODRIGUE. Ma CliimcûÇ» TRAGÉDIE; "41 C H I M E N E. Ote-moi cet objet odieux ^ ^ai l'Cprochc ton crime & ta vie à mes yeux. D. RODRIGUE. Regarde-le plutôt pour exciter ta haine , î>our croître ta colère , & pour hâter ma peine: C H I M E N E. Il cfl: teint He mon fan g. D. RODRIGUE. Plonge- le dans le mien J l^t fais-lui perdre ainfi la teinture du tien. C H I M E N E. Ah 1 quelle cruauté , qui tout en un jour tue Le père par le fer , la fille par la vue I Ote moi cet objet , je ne le puis fouffrir 5 Tu veux que je t'ccoute , & tu me fais mourir ï D. RODRIGUE. Je fais ce que tu veux , mais fans quitter Tenvlê De finir par tes mains ma déplorable vie 3 Car enfin , n'attends pas de mon affc^^ioii Un lâche repentir d'une bonne aAion. L'irréparable effet d'une chaleur trop prompte Déshonoroit mon pcre , & me couvroic de honte. Tu fçais comme un foufflct touche un homme dr coeur , J'avois part à l'affront, j'en ai cherché l'auteur. Je l'ai vu , j'ai vengé mon honneur &; mon père , Je le ferois encor , fi j'avois à le faire. Ce n'eft pas qu'en effet contre mon pcre & moi Ala flamme affez long-temps n'ait combattu pour toi j; Juge de fbn pouvoir. Dans une telle offenfe J'ai pu délibérer fi j'en prendrois vengeance , Réduit à te déplaire , ou fouffrir un affront , J'ai penfé qu'à fon tour mon bras étoit trop prompt,' Je me fuis accufé de trop de violence 5 Et ta beauté fans doute cmportoit la balance , A moins que d'oppofer à tes plus forts appas 41 L E C I D , Qu'un homme fans honneur ne te nicricoit pas y Que maigre cette parc que j'nvois en ton aiiic , Qui m'aima généreux , me haïroic infâme j Qu'écouter ton amour, obéir à fa voix , C'étoit m'en renJrc indigne , & diffamer ton choisi Je te le dis encore ; & quoique j'en foupirc , Jufqu'au dernier foupir je veux bien le redire , Je t'ai fait une olfcnlc , & j'ai dû m'y porter. Pour effacer ma honte & pour te mériter. Mais quitte envers l'honneur, & quitte envers morl pcre, C'efl maintenant à toi que je viens fatisfaire ', C'cft pour t'offrir mon fang qu'en ce lieu tu mo vois j J'ai fait ce que j'ai dii , je fais ce que je dois. Je fçais qu'un père mort t'arme contre mon crime. Je ne t'ai pas v'bulu dérober ta viélime ; Immole avec courage au fang qu'il a perdu Celui qui mec fa gioire à l'avoir répandu. C H I MENE. Ah , Rodrigue 1 II efl vrai , quoique ton cnnCr mie , Je ne puis te blâmer d'avoir fui l'infamie ; Lt de quelque façon qu'éclatent mes douleurs , Je ne t'accufe point , je pleure mes malheurs. Je fçais ce que l'honneur , après un tel outrage , Demandoit à l'ardeur d'un généreux courage : Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien f Mais auH] , le faifant , tu m'as appris le mien. Ta funcfte valeur m'inflrnit par ta vi(floire , Elle a vengé ton père & foutenu ta gloire j Même foin me regarde, & j'ai pour m'affliger^ Ma gloire à foutcnir , & mon perc à venger. Hélas l ton intérêt ici me défcfpcrc : Si quclqu'autrc malheur m'avoit ravi mon pcre ^ Mon amc auroit trouvé dans le bien de te voir,, L'uniq^uc aîlcgerocnt qu'elle eût pu recevoir ^ TRAGÉDIE. 4f Tt contre ma douleur j'aurois fenti des charmes , Qaand une main l\ chère eut efTuyé mes larmes. Mais il me faut te perdre après l'avoir perdu , Cet effort fur ma flamme à mon honneur eft dû j Et cet affreux devoir , dont l'ordre m'alTaffine , Me force à travailler moi-même à ta ruine. Car enfin , n'attends pas de mon affcdioa De lâches fentimens pour ta punition : De quoi qu'en ta faveur notre amour m'entretienne ;J Ma î^énérofitc doit répondre à la tienne 5 Tu t'es en m'ofTenfant montre dicrne de moi , Je me dois par ta mort montrer digne de toi. D. RODRIGUE. Ne diffère donc plus ce que l'honneur t'ordonne^ II demande ma tête, & je te l'abandonne , î'ais-en un facrifîce à ce noble intércc. Le coup m'en fera doux aufli-bien que l'arrêt. Attendre après mon crime une lente juftice ^ C'cll: reculer ta gloire autant que mon fuppiicc; Je mourrai trop heureux , mourant d'un coup û beau. G H I M E N E. Va , je fuis ta partie, & non pas ton bourreau. Si tu m'offres ta tête , eft-ce à moi de la prendre ? Je ia dois attaquer , mais tu la dois défendre , CcffcTun autre que toi qu'il me faut l'obtenir 5 Et je dois te pourfuivrc , & non pas te punir. D. RODRIGUE. Dequoî qu'en ma faveur notre amour t'entretienne,' Ta générofitc doit repondre à la mienne ; Et pour venger un pcre emprunter d'autres bras , Ma Chimene , crois-moi , c'eft n'y répondre pas. Ma main feule du mien a fçu venger l'offenfe j Ta main feule du tien doit prendre la vengeance, CHIMENE. Cruel , à quel propos fur ce point t'obftiner ? Tu t'es vengé fans aide , & w m'en veux donner > ■44 L E C I D ; Je fuivr.ii ton exemple j &: j'ai trop de coiir.iî^C Pour fouft^'iir qu'avec toi ma gloire fe partage. Mon pcre & mon honneur ne veulent rien devoir Aux traits de ton amour ni de ton défcfpoir. D. RODRIGUE. Rigoureux point d'honneur l hélas l quoique }4 fa lie , Ne pouriai-jc à la fin obtenir ccnc grâce ? Au nom d'un père mort , ou de notre amitié , Punis - moi par vengeance , ou du moins pai pitié ; Ton malheureux amant aura bien moins de pcii\c A mourir par ta main qu'à vivre avec ta haine. C H I M E N E. Va , je ne te hais point. D. RODRIGUE. Tu le dois, C H I M E N E. Je ne puis. D. RODRIGUE. Et d'une belle ardeur ta jeunefle animée Par cette grande épreuve atteint ma renommée. Appui de ma vieilleffe , & comble de mon heur. Touche c^s cheveux blancs à qui tu rends riion-; neur 5 Viens baifer cette joue , & reconnois la place Où fut empreint l'afFront que ton courage efface, D, RODRIGUE. L'honneur vous en eft dû , je ne pouvois pas moins l Etant fbrti de vous , & nourri par vos foins 5 Je m'en tiens trop heureux , & mon ame eft raviç- li^ue mon coup d'eifai plaife à qui je dois la vie ; 48 L E C I D , Mais parmi vos plaifirs , ne foyez point jaloux , Si je m'ofc à mon tour (iuisfairc après vous. Soiiftrcz qu'en liberté mon défefpoir éclate , Aflcz & trop long-temps votre dilcours le flatte : Je ne me repens point àc vous avoir fcrvi 3 Mais rendez-moi le bien que ce coup m'a ravi. Mon bras pour vous venger armé contre ma flamme , Par ce coup glorieux m'a prive de mon ame ; Ne me dites plus rien, pour vous j'ai tout perdu > Ce que je vous dcvois , je vous l'ai bien rendu. D. D I E G U E. Porte , porte plus haut le fruit de ta vidoîre. Je t'ai donné la vie , & tu me rends ma gloire : ft d'autant que l'honneur m'cft plus cher que le jour , D'autant plus maintenant je te dois de retour. Mais d'un cœur magnanime éloigne ces foibleflcs , Nous n'avons qu'un honneur , il cft tant de maî- tre Ifes : L'amour n'efl: qu'un plaifîr , l'honneur eft un devoir, D. RODRIGUE. Ah l que me dites-vous ? D. D I E G U E. Ce que tu dois Tçavoir. D. RODRIGUE. Mon honneur ofi'cnfé fur moi-même fe venge» lit vous m'ofcz poulfer à la honte du change l L'infamie cfl pareille , Se fuit également Le guerrier fans courage , & le perfide amant. A ma fidélité ne faites point d'injure , Souffrez-moi généreux fans me rendre parjure ; Mes liens font trop forrs pour être ainfi rompus, îla foi m'engage cncor , (î je n'cfpere plus 5 Er ne pouvant quitter , ni polféder Chimcnc , ' c trépas que je cherche cft ma plus douce peine. 0, DIEGUE^ TRAGÉDIE. S[g D. D I E G U E. ïl lAO: pas temps encor de chercher le trépas , Ton Prince , &z ton Pays ont befoin de ton bra$, L<\ Flotte qu'on craignoit dans ce grand fleuve entrée^' Croit furprendre la Ville , Se piller la contrée ; Les Mores vont defcendrc , & le flux & la nuic Dans une lieuie à nos murs les amènent fans bruif, La Cour eft en défordrc , Si le peuple en alarmes , On n'entend que des cris , on ne voit que des larmes; Dans ce malheur public m.on boniicur a permis Que j'ai trouve chez moi cinq cens de mes amis. Qui Cachant mon aflront, poulies d'un même zcle^' Se vcnoient tous offrir à venger ma querelle ; Tu tes as prévenus i mais leurs vaillantes mains- Se tremperont bien mieux au fang des Africains. Va marcher à leur tcte , où l'honneur te demande ;* Ceft toi que veut pour chc;f leur généreufe bande» De ces vieux ennemis va (butenir l'abord. Là , fi tu veux mourir, trouve une belle mort ; Prends-en l'occafion, puifqu'elle t'cfl: offerte. Fais devoir à ton Roi Ton falut à ta perte ; jMais reviens-en plutôt les palmes fur le front > Ne borne pas ta gloire à venger un aflFront} Porte-la plus avant , force par ta vaillance Ce Monarque au pardon, &: Chimenc au filencCi Si t'j l'aimes , apprends que revenir vainqueur C'eft l'uniqive moyen de regagner fon cœur. Mais le temps cft trop cher pour le perdie en paroles j Je t'arrête en difcours , & je veux que tu voles. Viens , fuis-moi , va combattre, & montrer à ton Roi, Qus ce qu'il perd au Comte , il le recouvre en toi. Fin du troijismc Acte* Tome L 50 L F. C I D , ACTE IV. SCENE PRE M 1ER £• C H I M E N E , E L V I R E, C H I M E N E. N 'Eft-ce point un faux bruit ? Le fçais-tu bien ^ Elvire ? E L V I R E. "Vous ne croiriez jamais comme chacun l'admire , Et porte jufc]u'au Ciel d'une commune voix , De ce jeune Héros les glorieux exploits. Les Mores dcvar.t lui n'ont paru c]u'à leur honte , Leur abord fu: bien prompt, leur fuite encore plus prompte ; Trois heures de combat laifTcnt à nos gucrrî(.'rs Une vidoire entière , & deux Rois prifonnicrs : La valeur de leur Clicfne trouvoit point d'obftacics. C H I M E N E. Et la main de Rodrigue a fait tous ces miracles ? ELVIRE. De Tirs nobles efforts ces deux Rois font le prix : Sa main les a vaincus , & fa main les a pris. C H I M E N E. De oïl peux-tu fçavoir ces nouvelles étranges ? ELVIRE. Dj peuple, qui par-tout fait fonncr fcs louanges. Le nomme de fa joie Se l'objet & l'auteur , Son Ange tutclaire, & fon libérateur. C H I M E N E. Et le Roi , de cjucl ail voit-il tant de vaillance ? ELVIRE. Rodrigue u'ofe encor paroitrc en fa préfcucc j; I TRAGÉDIE. 51 Mais Don Dicc^uc r.ivi lui prcfcntc cncîiaîncs. Au nom de ce vainqueur , ces captifs couronnés , Et demande pour grâce à ce généreux Prince, Qu'il daigne voir la main qui fauve la Province. C H I M E N E. Mais n'eft-il point bleflc? E L V I R E. Je n'en ai rien appris^ Vous cKanget de couleur l Reprenez vos efprits. C H I M E N E. Repicnoiis donc auiTi ma colère aH-oiblie. Pour avoir ibin de lui , faut-il que je m'oublie ? On le vante , on le loue , & mon cœur y confent î Mon honneur cil muet, mon devoir impuilfant l Silence, mon amour, laillc agir ma colère; S'il a vaincu deux Rois , il a rué mon père. Ces trilles vctcmens où je lis mon malheur. Sont les premiers effets qu'ait produit fa valeur ; Et quoiqu'on dife ailleurs d'un cœur H magnanime^ Ici tous les objets me parlent de fon crime. Vous qui rendez la force à mes relTcntimens, Voiles , ciî'pes , habits , lugubres ornemens. Pompe que me prefcrit fa première viéloire , Contre ma paflion foutenez bien ma gloire 5 Et lorfque mon amour prendra trop de pouvoir , Parlez à mon efpric de mon trifte devoir ; Attaquez fans lien craindre une main triomphante^ E L V I R E. Modérez ces tranfports , voici venir l'Infante. '^j^ c| ii L E C I D , SCENE IL L' I N F A N T E , C H I M E N E . LEONOR, ELVIRE. L' I N F A N T E. J E ne viens pas ici confolcr tes douleurs , Je viens plutoc mclcr mes foupiis à tes pleurs. C H I M E N E. Prenez bien plutoc parc à la commune joie , Xt c;oûtez le bonheur que le Ciel vous envoie. Madame , autre cjue moi n'a droit de foupiier 5 Le péril dont Rodrigue a fçu nous retirer. Et le fa'iut public que vous rendent Tes armes , A moi feule aujourd'hui fouffrcnt encor les larmes. II a fauve la Ville , il a fervi fon Roi , Et Ton bras valeureux n'eft funefte qu'à moi, L' I N F A N T E. Ma Chimcnc , il eft vrai qu'il a fait des merveilles, C H I M E N E. Déjà ce bruit fâcheux a frappe mes oreilles ; Et je l'entends par-tout publier hautement, Aufli brave guerrier que malheureux amant. L' 1 N F A N T E. Qu'a de fâcheux pour toi ce difcours populaire ? Ce jeune Mars qu'il loue a fçu jadis te plaire , 11 pofTédoit ton ame , il vivoit fous tes loixj Er vanter fa valeur, c'cH: honorer ton choix. C H I M E N E. Chacun peut la vanter avec quelque juftice ; Mais pour moi fa louange eft un nouveau fupplice j On aigrit ma douleur en l'élevant fi haut 3 Je vois ce quç je perds , quand je vois ce qu'il vaiïC, TRAGÉDIE. 1} Ail , crueîs déplaifîrs à l'efpric d'une amante ! Plus j'apprends Ton mérite , & plus mon fea s'aug- mente : Cependant mon devoir clT: toujours le plus fort. Et malgré mon amour , va pourfuivre fa mort. L' I N F A N T E. Hier ce devoir te mit en une haute eftime , L'effort que tu te fis parut il mao;nanime , Si die^ne d'un grand cœur, que chacun à la Couif admuoit ton courage , & pbigiwit ton amour. Mais croirois-cu lavis d'une amitié fidcllc l C H I M E N E. Ne vous obéir pas me rendroit criminelle. U I N F A N T E. Ce qui fut jufte alors ne l'eft plus aujourd'huî. Rodrigue maintenant eft notre unique appui , L'efpérance &c l'amour d'un peuple qui l'adore j Le fouticn de Caftille , & la terreur du More i Le Roi même cfl: d'accord de cette vérité. Que ton père en lui feul fe voit relfufcité : Et il tu veux enfin qu'en deux mots je m'explique^ Tu pourfuis en fa mort la ruine publique. Quoi ! pour venger un père efc-il jamais pertes De livrer fa Patrie aux mains des ennemis ^ Contre nous ta pourfuite eft-elle légitime "i Et pour être punis avons-nous part au crime î Ce u'efl pas qu'après tout tu doives époufer Celui qu'un père mort t'obligeoit d'accufer; Je te voudrois moi-même en arracher l'envie ; Orc-iui ton amour , mais lailfe-nous fa vie. C H I M E N E. Ah l ce n'eft pas à moi d'avoir tant de bonté , Le devoir qui m'aigrit n'a rien de limité. Quoique pour ce vainqueur mon amour s'intéreilè , Quoiqu'un peuple l'adore , & qu'un Roi le carelfe , Qu'il fbit environné des plus vaillans guerriers» J'irai faus mes cyprès accabler Ces lauriers, € iij f 4 L E C I ÎD , L* I N F A N T E. Ccft g<5n(?ro(îtc, quand pour venger un perc Notre devoir attaque une tête fi cherc : Mais c'en efl une cncor d'un plus illurtre rang , Quand on donne au public les intérêts du Tang. Non, crois- moi, c'cft aiTcz que d'éteindre taflaminc. Il fera trop puni s'il n'efl: plus dans ton ame. Que le bien du pays t'impofe cette loi -, Aullî-bicn que crois -tu que t'accorde le Roi? C H I M E N E. II peut me refufer, mais je ne puis me taire. L' I N F A N T E. Penfe bien , ma Chimcne , à ce que tu veux faire : Adieu. Tu pourras feule y pcnfcr à loiHr. C H I M E N E. Après mon père mort , je n'ai point à choifir. SCENE III. D. D I E G U E ^ l O D R I G u E î D. F E R N A N D , D. ARIAS, D. D. S A N C H E. D. F E R N A N D. V-J Encreux héritier d'une illuflre famifle , Qui fut toujours la gloire & l'appui de Caftille , Race de tant d'aïeux en valeur fignalcs , Que l'efTai de la tienne a fi-tôt égalés. Pour te récompcnfer ma force eli trop petite : Et j'ai moins de pouvoir que tu n'as de mérite. Le pays délivré d'un fi rude ennemi , Mon fceptre dans ma main par la tienne affermi;, Et le ^lores défaits , avant qu'en ces alarmes J'cuffc pu donner ordic à rcpoufTtr leurs armes. TRAGÉDIE. î5 Ne Tont point des exploits qui laiflcnt à ton Roi Le moyen , ni rcfpoir de s'aco^uitter vers toi. Mais ècax Rois tes captifs feront ta récompen{è r Ils t'ont nomme tous deux leur Cid en ma piéfence i Puiftjue Cid en leur langue ell autant que Seigneur, Je ne t'envierai pas ce beau titre d'Iionneur. Sois déformais le Cid', qu'à ce grand nom tout ccdc , Qu'il comble d'épouvante & Grenade Se Tolcde ; Er qu'il marque à tous ceux qui vivent fous mes lois , Et ce que tu me vaux , & ce que je te dois» D. RODRIGUE, Que votre Majefté , Sire , épargne ma lionre^. D'un II foible fèrvice elle fait trop de compte , Ec me force à rougir devant un fî grand Roi , De mériter fi peu l'honneur que j'en reçoi. Je fçais tro.p que je dois au bien de votre empire j. Et le (ang qui m'anime, & l'air que je refpires Et quand je les perdrai pour un fi digne objet , Je ferai feulement le devoir d'un fujet. D=. F E R N A N D: Tous ceux que ce devoir à mon fervicc enga^^e Ne s'en acquittent pas avec même courage j Et lorfque la valeur ne va point dans l'excès ^ Elle ne produit point de fi rares fiiccès. Souffre donc qu'on te loue , & de cqizq viélo-ire Apprends-moi plus au long la véritable hiftoirc. D. R O D R I G U E. Sire , vous avez fçu qu'en ce danger prelfant Qui jetca dans la Ville un effroi ii paillant , Une troupe d'amis chez mon pcre aHcmblée Sollicita mon ame encor toute troublée. . . • Mais , Sire , pardonnez à ma téméiiré , Si j'ofai l'employer (ans votre autorité ; Le péril approchoit , leur brigade étoic prête , Me montrant à la. Cour je hafardois ma tète , C iv ?5 L E C I D , Ec s*il la falloit perdre , il m'étoic bien plus doift De forcir de I.i vie en combattant pour vous. D. F E R N A N D. Tcxcufc ta chaleur à Tenger ton ofFenfe j Et l'Etat défendu me parle en ta défenfe. Crois cjTJe dorénavant Cbimcne a beau parler. Je ne l'écoute plus cjue pour la confolcr. *fAâis pcurfuis. D. RODRIGUE. Sous moi donc cette troupe s'avance, ^t porte fur le front une mâle affurance. Nous partîmes cinq cens j mais par un prompt rcr^- fort , î^ous nous vîmes trois mille en arrivant a-i port , Tant à nous voir marcher avec un tel vi(V.2e 1.CS plus épouvantés rcprcnoicnt de courage. J'en cache les deux tiers auffi-iot qti'arrivés ï)ans le fond des vailTeaux qui lors fjrent trouvés 5 "Le refte , dont le nombre augmentoit à toute heure, "Brillant d'impatience autour de moi demeure , Se couche contre terre , & fans faire aucun bruir , PaiTe une bonne part d'une fi belle nuit ; Par mon commandement la garde en fait de même. Et Ce tenant cachée aide à mon ftratagém.e j jEc je feins hardiment d'avoir reçu de vous IL'ordre qu'on me voit fuivrc , & que je donne à tous. Cette obfcure clarté qui tombe des étoiles Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles ; L'onde s'enfle delfous , & d'un commun effoi t Les Mores & la mer montent jufques au port ; On les laide pairv;r, tout leur paroît tranquille : I^oint de foldats au port , point aux murs de la Ville , Notre profond fiience abufanc leurs efprits , Ils n'ofcnt plus douter de nous avoir furpris : Ils abordent fans peur, ils ancrent, ils defccndenr, Ec cojreat fe livrer aux mauis qui les atrcndcju. TRAGÉDIE. ^7 Nous no'JS levons alors j & tous en même-teraps Pouffons jufti'jcs au Ciel mille cris éclacans. Les nôtres à ces cris de nos vaiffeaux répondent , Ils parcllfen: armés , les Mores fe confondent. L'épouvante les prend à demi-defcendus , Avant que de combattre ils s'cftimcn: perdus. Ils couroienc au pillage , & rencontrent la guerre. Nous les prelTons fur l'eau , nous les prefTons fur terre , "Et nous fûifons courir des ruilfcaux de leur fang , Avant qu'aucun ré fifte, ou reprenne fon rang. Mais bientôt, malgré nous, leurs Princes les ra'îlfcnr^ Leur courage renaît , & leurs terreurs s'oublisnt > La honte de mourir fans avoir combattit Arrête leur défordre , & leur rend" leur vertu. Contre nous de pied ferme ils tirent leurs épées ^ Des plus braves foidats les trames foot coupées , Et la terre & le fleuve & leur flotte & le port. Sont des champs de carnage où triomphe la mort. Q combien d'ad:;ons , combien d'exploits célèbres Sont demeurés uns gloire au milieu des ténèbres^ Où chacun feul témoin des grands coups c^Xû do&» noit , Ne pouvoit difcerner où le fort inclinoit I J'allois de tous côtés encourager les nôtres. Paire avancer les uns , Se foutenir les autres 5 Ranger ceux qui venoient les pouffer à leur tour y Et ne l'ai pu fçavoir jufques au point du jour. Mais enfin fa clarté montre notre avantage , Le More voit fa perte , & perd foudain courage à £t vo)'rtr,t un renfort qui nous vient fecourir , L'ardeur de vaincre cède à la peur de mourir, îls gagnent leurs vaiffcaux , ils en coupent les cable: , Pouffent jufques aux Cis'jx des cris épouvantables i Xont retraite en tumulte , & fans confîdérer Si leurs Rois avec eux peuvent (è retirer. Pour fouflîir ce devoir leur frayeur efk trop forte -. i£.âiut les a^pona^k reflux les remporte j C H. 58 L E C I D , Cependant que leurs Rois engagés parmi nouj, Ec quelque peu des leurs tout percés de nos coups ^' Difputcnt vaillamment , & vendent bien leur vie i A le rendre moi-même en vain je les convie , Xo cimeterre au poing ils ne m'ccoutcnt pas. ^lais voyant à leurs pieds tomber tous leurs foldats^ Et que fculs déformais en vain ils fe défendent , lis demandent le Chef, je me nomme, ils fe rendcn:. Je vous les envoyai tous deux en méme-tcmps 3 Et le combat cefl'a faute de combattans. C'ell: de cette façon c>uc pour vonc fervrce. . . . ^Jfe^ SCENE IV. D. FERNAND, D. DIEGUEi D. RODRIGUE, D. ARIAS^ D. ALONSE, D. SANCH E. D. ALONSE. Û Ire , Chimcne vient vous demander jufti^ç» D. FERNAND. Ea facheufc nouvelle , & l'importun devoir l Va , je ne la veux pas obliger à te voir j Pour tous remerciemens il faut que je te chafTe ', Mais ^ avant qus fortir , viens que ton Roi t'embraiïç^ ( D. Rodrigue rentre, ) D. D I E G U E. CLiinenc le pourfuit , & voudroit le (àuver. D. FERNAND. Oq m'a dit qu'elle l'aime , & jç vais l'éprouv^Ti ^^airu UA «eil plus uillc. TRAGÉDIE. 59 ^ J ^r^gfet^ SCENE V. I>. FER N AND, D. DIEGUE, D. ARIAS, D. SANCHE, D. ALONSE, CHIMENE, E L Y I R E. I>. F E R N A N D. E iNfîn foycz contente , Chimene , le fuccès répond à votre attente 5 Si de nos ennemis Rodrigue a le defl'us , Il efl; mort à nos yeux des coups qu'il a reçus 3 Rendez grâce au Ciel qui vous en a vengée. ( a D. DUgue. ) Voyez comme déjà fa couleur cft changée. D. DIEGUE. Mais voyez qu'elle pâme, & d'un amour parfait Dans cette pamoifon , Sire , admirez l'cfFet, Sa douleur a trahi les fecrets de fon ame , ît ne vous permet plus de douter de fa. flamme^ CHIMENE.. Quoi } Rodrigue eft donc mort "i D. F E R N A N D. Non , non , il voit le jcUi :>, Tt te conferve encore un immuable amour ; Calpie cette douleur qui pour lui s'intérefl'e. CHIMENE, Sire , on pâme de joie ainfl que de trifteiTe ; Un excès de plailîr nous rend tous languiil.ins ; Et quand il farprend l'ame , il accable les fens. D. ? E R N A N D. Tu veux qu'en ta faveur nous croyions l'impcflible y. Çhim&px ta douleur a paru trop vifiblé; 6o L E C î D , C H I M E N E. Hc bien , Sire , ajoutez ce comble à mon malÎKur ^ Nommez ma pâmoifon l'effet de ma douleur , Vn juPte dcplaKîr à ce point m'a icduitej Son trépas déroboit la tcte à ma pourfuite. S'il meurt des coups reçus pour le bien du Pays , Ma vengeance eO" perdue , & mes deflcins trahis» Une fî belle fin m'en, trop injurieufe; Je demande la mort , mais non pas gloricufè , Non pas dans un éclat qui l'cîeve fî haut , Non pas au lit dhonneur , mais fur un cchafFaud. Qu'il meure pour mon père , & non pour la patrie 3 Que fou nom foit taché, fa mémoire flétrie j Mourir pour le pays n'eft: pas un trille fort , C'eft s'imraortaliler par une belle mort. J'aime donc fa vidoire , & je le puis fans crime. Elle alTure l'Etat , & me rend ma vidime , Mais noble, mais famcufe entre tous les guerriers , Le chef au lieu de fleurs couronné de lauriers 5 Et pour dire en un mot ce que j'en confidere ,, Digne d'être im.molé aux raancs de mon père. Hélas l à quel efpoir me laiflai-je emporter l. Rodrigue de m.a part n'a rien à redouter. Que pourroient contre lui des. larmes qu'on méprife ^ Pour lui tout votre empire efl un lieu de francJiite ; Là fous votre pouvoir tout lui devient permis , ]1 triomphe de moi comme des ennemis ; Dans leur fâng répandu la juftice étouffée Au crime du vainqueur fert d'un nouveau trophée. Nous en croiflbns la pompe , & le mépris des loix Nous fait Cuivre Ton char au milieu de deux Rois; D. E E R N A N D. Ma fille, ces tranfports ont trop de violence ,. Quand on rend la ju.i\ice , on met tout en balaucç» On a tué ton perc , il étoit ragreffeur ^ £c ÏA même éf^mté m'oidonne la douceur. TRAGÉDIE. 6i Avant que d'accufer ce que j'en fais paroître, Confaîtc bien ton cœur, Rodrigue en cft le maître , Et ta flamme en fecret rend grâces à ton Roi , Dont ia faveur conferve un tel amant pour toi, C H I M E N E. Pour moi '. mon ennemi l l'objet de ma colère l L'auteur de mes malheurs l l'alTaflin de mon père l De ma jufte pourfuire on fait fi peu de cas , Qu'on me croit obliger en ne m'ccoutant pas l Puifque vous refufez la juftice à mes larmes,. Sire , permettez- moi de recourir aux armes ; C'cft par-là feulement qu'il a fçu m'ourrr^ger j Et c'eft aulli par- là que je me dois venger. A tous vos cavaliers je demande fa tète , Oui , qu'un d'eux me l'apporte, & je fuis faconquét^îj» Qu'ils le combattent , Sire , & le combat fini , J'époufe le vainqueur , fi Rodrigue cii: puni. Sous votre autorité foutfrez qu'on le publie. D. F E R N A N D. Cette vieille coutume en ces lieux établie ,. Sous couleur de punir un injufte attentat , Des meilleurs combattans afFoiblit un état^ Souvent de cet abus le fjccès déplorable Opprime l'innocent , & foutient le coupable ; J'en difpenfe Rodrigue , il m'efl précieux Pour Texpofer aux coups d'un fort trop capricieux t Etquoiqu'ait pu commettre un cœur fi magnanime 3, Les Mca:es en fuyant ont emporté fon crime,. D. D I E G U E. Quoil Sire, pour lui feul vous renvcrfez deï loi% Qu'a vu toute la Cour obferver tant de fois l Que croira votre peuple , & que dira l'envie , Si fous votre défenfe il miénags fa vie , Et s'en fait un prétexte à ne paroître pas Qà EOiis ks gens d'hoûnçtu: chercheat u» beau trépa$î «î L E C I D ^ De pareilles fiveiirs tcrniroicnc trop fi gloire,' Qu'il goûte fans rougir les fruit de fa vi(ftoire y Le Comte eut de l'audace , il l'en a fçu punir , Il Ta fait en brave homme , & le doit maintenir. D. F E R N A N D. Puifque vous le voulez , j'accorde qu'il le faHe ; Mais d'un guerrier vaincu mille prendroient la place 5, Et le prix que Cliimene au vainqueur a promis 3^ De tous mes cavaliers fcroit fcs ennemis. L'oppofer fcul à tous feroit trop d'injuflice y Il fuffit qu'une fois il entre dans la lice. "Choifis qui tu voudras , Cliimene , Se choifîs bien y Mais après ce combat ne demande plus rien. D. D I E G U E. N'cxcufcz point par-là ceux que fon bras étonne , Lailfcz ua champ ouvert où n'entrera perfonne. Apres ce que Rodrigue a fait voir aujourd'hui , Quel courage nlfez vain s'oferoit prendre à lui l Qui fe hafarderoit contre un tel adverfaire ? Qui feroit ce vaillant , ou bien ce téméraire ?; D. S A N C H E. Taitcs ouvrir le champ, vous voyez rafTaiilant, Je fuis ce téméraire , ou plutôt ce vaillant. ( à Ckimene. ) Accordez cette grâce à l'ardeur qui me prcfTc , Madame , vous fçavez quelle eft votre promeiTe,. D. F E R N A N D. Chimcnc j remcts-tu ta querelle en fa main ^ C H I M E N E. Çirc, je l'ai promis. D. F E R N A N D. Soyez prêt àdcmaini IT. D I E G U E. Mon , Sire , il ne faut pas différer davantage , |>û efl toujours trop prêt c^uand on a du couiagç. TRAGÉDIE, 63 D. F E R N A N D. Sortir d'une bataille, & combattre àrinftant? D. D I E G U E. Rodrigue a pris haleine en vous la racontant. D. F E R N A N D. Du moins une heure ou deux je veux qu'il fe déla/Te.. Mais de peur qu'en exemple un tel combat ne palTca Pour témoigner à tous qu'à regret je permets Un fanglanc procédé qui ne me plut jamais , De moi ni de ma Cour il n'aura la préfence, ( à D. Arias, ) Vous (èul des combattans jugerez la vaillance ; Ayez foin que tous deux falTent en gens de cœur ;. Et le combat fini , m'amenez le vainqueur^ Quel qu'il foit , même prix eil acquis à fa peine 5 . Je le veux de ma main prifentcr à Chimene ^ Ec que , pour récompcnfe , il reçoive fa foi» CHIMENE. Quoi , Sire , m'impofer une (i dure loi l D. F E R N A N D. Tu t'en plains , mais ton feu loin d'avouer raplamtc y Si R.odrigue eft vainqueur , l'accepte fans contrainte» Ce/Te de murmurer contre un arrêt /î doux , Qui que ce foit des deux, j'en ferai toc époux, jF/'/j du quatrième ASh^ 64 L E C I D , ACTE V, SCENE PREMIERE; D. RODRIGUE, CHIMENE. C H I M E N E. V^/ Uoi , Rodrigue , en plein jour ! D'où te vicni ccctc audace ? Va, tu me perds d'honneur, retiie-roi , de grâce. D. RODRIGUE. Je vais mourir , Madame , & vous viens en ce Ireir, Avant le coup mortel , dire un dernier adieu. Cet immuable amour tjui (bus vos loix m'engage , N'ofe accepter ma mort fans vous en faite hommage* C H I M E N E. Tu vas mourir l D. RODRIGUE. Je cours à ces heureux momCDS^ Qui votn livrer ma vie à vos rclTcntimens. C H I M E N E. Tu vas mourir! D. Sanche eft-il (î redoutable^ Qu'il donne l'épouvante à ce cœur mdomtable^ Qui t'a rendu fi foible , & qui le rend fî fore ? Rodrigue va combattre , & fe croit déjà mort î Celui qui n'a pas craint ki Mores ni mon pere^ Va combattre D, Sanche ^& déjà défcfpere l Aind donc au befoin ton courage s'abat ? D. RODRIGUE. Te cours à mon fupplicc , & non pas au combat^. Et ma fidcllc ardeur f^ait bien m'ôter l'envie , Quand vous cbçicbez ma more > de défendre ma vie*. TRAGÉDIE. 6^ J'ai toujours même cccur j mais je n'ai point de bras , Quand il faut confcrver ce qui ne vous plaît pas i Et déjà cette nuit m'auroit été mortelle. Si j'euirc combactu pour ma feule querelle. Alais défendant mon Roi , fon peuple & mon pays, A me défendre mal , je les aurois trahis. Mon efpric généreux ne liait pas tant la vie Qu'il en veuille forrir par une perfidie. Maintenant qu'il s'agit de mon feul intérêt. Vous demanndez ma mort, j'en accepte l'arrêt J Votre rcifcntiment choifit la main d'un autre , Je ne méritois pas de mourir de la vôtre. On ne me verra point en repoulTer les coups , Je dois plus de refpe*5l à qui combat pour vous i Et ravi de penfer que c'ell: de vous qu'ils viennent , Puifque c'cft votre honneur que fes armes fau- tiennent. Je vais lui préfenter mon eflomac ouvert , Adorant en fa main la vôtre qui me perd. C H I M E N E. Si d'un triftc devoir la jufte violence , Qui me fait malgré moi pourfuivre ta vaillance , Prefcrit à ton amour une fi forte loi , Qu'il te rend fans dcfenfe à qui combat pour moij En cet aveuglement ne perds pas la mémoire , Qu'ainfi que de ta vie , il y va de ta gloire ; Et que dans quelqu'éclat que Rodrigue ait vécu , Quand on le fçaura mort , on le croira vaincu. Ton honneur t'eft plus cher que je ne te fuis chère ,. Puifqu'il trempe tes mains dans le fang de mon pcrc. Et te fait renoncer, malgré ta paflion , A l'efpoir le plus doux de ma polfcirion. Je t'en vois cependant faire fi peu de compte , Que fans rendre combat tu veux qu'on te fur- monte l Quelle inégalité ravale ta vertu ? Pourquoi ne l'as- tu plus, ou pourquoi l'avois-tu } €6 L E C I D ^ Quoi ! n cs-m gcncrcux que pour me faire otltratnc } S'il ne faut m'oifcnfcr , n'as-tu point de coura^^c ? Et traiccs-tu mon pcre avec tant de rigueur , Qu'après l'avoir vaincu tu foulfics un vainqueur ? Va, fans vouloir mourir , lailFe-moi tcpourfuivre; Et défends ton honneur, fi tu ne veux plus vivre» D. RODRIGUE. Après la mort du Comte , & les Mores défaits , Eaadroit-il à ma gloire cncor d'autres effets ? Ei'c peut dédaigner le foin de me défendre , On fçait que mon courage ofe tout entreprendre ^ Que ma valeur peut tout, & que deffous les cieux Auprès de mon honneur rien ne mcft précieux. Non , non , en ce combat , quoique vous veuilles croire , Rodrigue peut mourir fans hafardcr fa gloire , Sans qu'on l'ofc accufer d'avoir manqué de ccrur. Sans palfer pour vaincu , fans foufFrir un vainq^jeur. On dira feulement ; // adorou Ckimene , li n'a pas voulu vivre y & mériter Ju haine y Il a ctac lui -mente a la rigueur du fort Qui for f oit fa maztrejfc a pourfuivre fa mort ; Llle voulait fa tête , ^ fon cœur magnanime , S'il l'en eût réfufce , eût penfé faire un crime, Four venger fon honneur il perdit fon amow , Tour venger fa maitrejfe il a quitté le jour , f référant quelque efpoir qu tùi fon ame ajfervie ^ Son honneur a Chimene , 6' Chimcne à fa vie. Ainfî donc vous verrez ma mort en ce comhar ^, Loin d'obfcurcir ma gloire , en rehauffer l'éclat ; Et cet honneur fuivra mon trépas volontaire , Que tout autre que moi n'eût pu vous fatisfaire^ CHIMENE. Puifque pour t'tmpccher de courir au trépas , Ta vie & ton honneur font de foibles appas. Si jamais je t'aimai , cher Rodrigue en revanche ^ Défends- toi maintenant pour m'ôtcr a D. Santbç. TRAGÉDIE. ^7 Combats pour m'afFranchir d'une condition Qui me donne à l'objet de mon averfion. Te dirai-je encor plus ? Va, fonge à ta défenfe , Pour forcer mon devoir , pour m'impofèr filcnce : Et fi tu fens pour moi ton cœur encore cpris , Sors vainqueur d'un combat dont Chimeneeftîc prix» Adieu, Cet mot lâché me fait rougir de honre. D. RODRIGUE feuL Eft-il quciqu'ennemi qu'à prcfent je ne domte "i Paroiffez Navarrois , Mores & Caftillans , Et tout ce que l'Efpagnc a nourri de vaillans , Unllfcz-vous enfcmble , & faites une armée Pour combattre une main de la forte animée ^ Joignez tous vos efforts contre un efpoir fi doux , Pour en venir a bout c'efl trop peu que de vous. :*!>èieâ>Sfe:^ ■ y . _r» T SCENE II. U I N F A N T E feuU^ 'Ecouterai-Je encor, refpe(5^ de ma naiffance^ Qui fait un crime de mes feux ? T'écouterai-je amour , dont la douce pui fiance Contre ce fier tyran fait révolter mes vœuxî^ Pauvre Princefli auquel des deux dois-tu prêter obéiiTance 1 Rodrigue , ta valeur te rend digne de moi , Mais pour être vaillant , tu n'es pas fils de Roi. Impitoyable fort , dont la rigueur fépar e Ma gloire d'avec mes defirs 1 Eft-il dit que !e choix d'^^jne vertu fi rare Coûte à ma pafiTion de fi grands déplaifirs l «8 L E C I D , O Cieux ! à combien de foupîr? Fa lit- il que mon cœur fe prépare , Si jamsis il n'obtient fur un fi long tourment. Ni d'éteindre l'amour, ni d'accepter l'amant î Maisc'cft trop de fcrupule , & ma raifon s'ctonnç Du mépris d'un Ci digne choix j Bien qu'aux Monarques feuls manailTancemedonne, Rodrigue , avec honneur je vivrai fous tes loix 5 Après avoir vaincu deux Rois , Pourrois-tu manquer de couronne? Et ce grand nom de Cid que tu viens de gagner ^ Ne fait-il pas trop voir fur qui tu dois régner l II eft digne de moi , mais il efi: à Chimene , Le don que j'en ai fait me nuit ; într'eux la mort d'un père a (î peu mis de haine. Que le devoir du fang à regret le pourfuit : Ainfi n'efpérons aucun fruit De Ton crime ni de ma peine, Puifquc pour me punir le deftin a permis Que l'amour dure même entre deux ennemis. tîMI^^^^:'^^ ■ a ■ Ij^ SCENE I I L L' INFANTE, LEONOR.. L' I N F A N T E. O U viens-tu , Léonor ? LEONOR. Vous applaudir , Madame } Sur le repos qu'enfin a retrouvé votre arae» TRAGÉDIE. 69 L' I N F A N T E. D'où viencîroic ce repos dans un comble d'ennui î L E O N O R. Si l'amour vit d'cfpoir , & s'il meurt avec lui , Rodrigue ne peut plus charmer votre courage •, Vous Içavez le combat où Chimenc l'engage, ruifqu'il faut qu'il y meure , ou qu'il Toit fon mari ; Votre clpérance cft moite , & votre efprit guéri. L* I N F A N T E. Ah l qu'il s'en faut encor l L E O N O R. Que pouvez -vous prétendre J L' I N F A N T E. Mais plutôt quel efpoir me pourrois-tu défendre ? Si Rodrigue combat fous ces conditions. Pour en rompre l'effet j'ai trop d'inventions. L'amour , ce doux auteur de mes cruels fuppiices , Aux esprits des amans appi'end trop d'artifices. L E O N O R. Pourrez-vous quelque chofe après qu'un père mort N'a pu dans leurs efprits allumer de difcord "i Car Chimene aifément montre par fa conduite Que la haine aujourd'hui ne fait pas fa pourfuite. Elle obtient un combat, 5c pour Ton combattant C'eft le premier offert qu'elle accepte à l'inCtant. Elle n'a point recours à ces mains géncreufes Que tant d'exploits fameux rendent fi glorieufes ; Don Sanche lui fuffit & mérite Ton choix , Parce qu'il va s'armer pour la première fois. Elle aime en ce duel Ton peu d'expérience , Comme il eft fans renom, elle eft fans défiance; Et. fa facilité vous doit bien faire voir Qu'elle cherche un combat qui force fon devoir j^ Qui livre à fon Rodrigue une victoire aifée, ^t l'autorife enfin à paroître appaifée» 70 L E C I D , L* I N F A N T E. Je le remarque afTcz , & toutefois mon coeur A l'cnvi de Chimene adore ce vainqueur. A quoi me relbudrai-je , amante infortunée ? L E O N O R. A vous mieux fouvcnir de qui vous êtes ncc. Le Ciel vous doit un Roi , vous aimez un fujcc. L' I N F A N T E. Mon inclinarion a bien change d'objet. Je n'aime plus Rodrigue, un iîmplc Gentilliommc ^ Non , ce n'cft plus ainli que mon amour le nomme, ■ Si j'aime , c'eft l'auteur de tant de beaux exploits , C'eft le valeureux Cid , le maîne de deux Rois. Je me vaincrai pourtant , non de peur d'aucun blâme ^ Mais pour ne troubler pas une fi belle flamme j Et quand pour m'obligcr on l'auroit couronné. Je ne veux point reprendre un bien que j'ai donne, PuifqQ~cn un tel combat fa vidoiic ell certaine , Allons encore un coup le donner à Chimene ; Et toi , qui vois les traits dont mon cœur eft percé , Viens me voir achever CGm«ne j'ai commencé. ^^^t^^jj^:^- . =» SCENE IV. CHIMENE, E L V I R E. CHIMENE. Je i Lvire , que je fouffre , & que je fuis à plaindre l Je ne fçais qu'clpérer , & je vois tout à craindre. Aucun vœu ne m'échappe où j'oie confentir , Je ne fouhaite rien fans un prompt repentir ; A deux rivaux pour moi je fais prendre les armes , Le pl'js heureux fucccs me coûtera des larmes 5 Et quoi qu'en ma faveur ca ordonne le fort , Mon pcre eft fans vengcaucc , ou mon amant cfi morÇt TRAGÉDIE. 71, E L V I R E. D'un & d'autre côté je vous vois foulagée , Ou vous avez Rodrigue , ou vous éccs vengée ; Et quoique ledeftin puiife ordonner de vous , II ibucient votre gloire , & vous donne un époux, C H î M E N E, Quoi 1 l'objet de ma haine , ou bien de ma colère , L'allallin de kodrigue , ou celui de mon perel De tous les deux cotés on me donne un mari , Encor tout teint du fang que j'ai le plus chéri. De tous les deux côtés mon ame fe rebelle , Je crains p!as qu€ la raort la fin de ma querelle. Allez , vengeance , amour , qui troublez mes efprirs ^ Vous n'avez point pour moi de douceur à ce prix. Et toi , puitlant moteur du deftin qui m'outrage , Termine ce combat fans aucun avantage , Sans faire aucun des deux ni vaincu, ni vainqueur. E L V I R E. Ce feroit vous traiter avec trop de rigueur. Ce combat pour votre ame eft un nouveau lupplice jr S'il vous lailie obligée à demander juftice , A témoigner toujours ce haut relîèntiment , Et pouriuivrc toujours la mort de votre amant , Madame , il vaut bien mieux que fa rare vaillance Lui couronnant le front , vous impofe filence j Que la loi du combat étouffe vos foupirs ; Et que le Roi vous force à fuivre vos de(irs, C H I M E N E. Quand il fera vainqueur , crois-tu que je me rende î Mon devoir eft trop fort , & ma pci le trop grande 3 Et ce n'eft pas affez pour leur faire la loi , Que celle du combat 8: le vouloir du Roi. I! peut vaincre D. Sanche avec fort peu de peine. Mais non pas avec lui la gloire de Cliimene ; Er quoi qu'à fa vidoire un Monarque ait promis^' Mon honaeuc lui fera mille autres euaç;»is» 7i L E C I D , E L V I R E. Gansez , pour vous punir Hc ccc orgueil crrnnGîC, Que îc Ciel à la fin ne foulfic cju'on vous venge. Quoi! vous voulez cncor rcfuier Je bonheur t)c pouvoir maintenant vous rairc avec honneur ? Que prétend ce devoir, & qu'cft-ce qu'il efpcre ? La mort de votre amant vous reudra-t-elle un pcrc ? Eft-ce trop peu pour vous que d'un coup de malheur , Faut-il perte fur perte , & douleur fur douleur ? Allez dans le caprice où votre humeur s'obftinc , Vous ne méritez pas l'aman r qu'on vous deftine 5 Et nous verrons du Ciel l'équitable courroux Vous laiirer par fa mort D. Sanche pour époux. C H I M E N E. Eivire , c'efl: aflcz des peines c]uc j'endure , Ne les redouble point par ce rancftc augure. Je Tcux , fi je le puis , les éviter tous deux , Sinon en ce combat Rodrigue a tous mes vccux. Non qu'une folle ardeur de fon côté me panchc : ?*lais s'il éîoit vaincu , je fcrois à D. Sanche j Cette apprchcnfion fait naître mon fouhair , Que vois je I malhcurcufe i Eivire, c'en eft fait. ^=5Î?2 /ttt SCENE V. D. SANCHE, CHI MENE, ELVIRE. D. SANCHE. o Bligé d'apporter à vos pieds cette cpée. .. . C H I M E N E. Quoi f du fang de Rodrigue cncor toute trempée ?_ Perfide , ofes-tu bien te montrer à mes yeux , /près m'avoir ôté ce que j'aimois le mieux t Eclate^' TRAGÉDIE. 73 Eclate , mon amour, tu n'as plus rien à crainJrc , Mon pcie eft fatisfait , celTc de te contraindre ; Un même coup a mis ma gloire en sûreté , Mon arae au défclpoir , ma flamme eu libenc. D. S A N C H E. D'un efprit plus ralTis ... C H I M E N E. Tu me parles encore j Jpxécrable afTaflîn d'un héros que j'adore ? Va , tu l'as pris en traître i un guerrier fi vaillaac "'N'eût jamais fuccombé fous un tel airaillant. N'efpcre rien de moi , tu ne m'as point fcrvie. Eu croyant me venger tu m'as ôtc la vie. D. S A N C H E. Etrange impreflion , qui loin de m'écoutcr. » , , C H I M E N E. Vcux-tu que de fa mort je t'écouce vanter ? Que j'entende à Ioi(ir avec quelle infolence Tupeindras Ton malheur, mon crime, Se ta vaillance ? SCENE VI. D. FERNAND, D. DIEGUE, D. ARIAS; •. D. SANCHE, D. ALON SE, CHIMENE, ELVIilE. S C H I.M E N E. Ire , il n'eft plus besoin de vous diflimulcr Ce que tous mes efforts ne vous ont pu celer : J'aimois , vous l'avez fçu j mais pour venger mon perCf J'ai bien voulu profcrire une tête fî chcre. Votre Majelli , Sire , elle-même a pu voir Comme j'ai fait céder mon amour au devoir. £uan Rodrigue cil more , & fa mort m'a changée 74 LE Cl D, D'jmplacabic ennemie en amante nftJii^ce; J'ai (lu cctic vengeance à qui m'a mifc au jtuir. Et je dois maintenant ces pleurs à mon amour. Don Sanciic m'a perdiic en prenant ma défcnfc j Et du bras qui me perd je fuis la récompenfc l Sire , fi la pitié peur émouvoir un Roi , De grâce , révoquez une Ci dure loi 5 Pour prix d'une victoire où je perds ce que j'aime. Je lui lailFe mon bien , qu'il me laifTe à moi-même j <^u'en un cloître facré je pleure inccflammenc Jufqu'au dernier foupir mon père & mon amant. D. D I E G U E. Enfin elle aime , Sire , & ne croit plus un crime D'avouer par fa bouche un amour légitime. D. F E R N A N D. Chimcnc, fors d'erreur, ton amant n'eft pas mort,' L: Don Sanche vaincu t'a fait un faux rapport. D. SANCHE. Sire , un peu trop d'ardeur malgré moi l'a déçue 5 Je venois du combat lai raconter l'iflue. Ce généreux guerrier dont fon cœur eft charme , JV^ crains riea , m'a-t-il dit , quand il m'a défarmé , Je Lùjfcrois plutôt la vicioire incertaine , Q^ue de répandre unjang ha far dé pour Chimene ; .Mais jpuijque mon devoir m'appelle auprès du Roi j Va de notre combat l'entretenir pour moi , De lu part du vainqueur lui porter ton épée. Sire , j'y fuis venu , cet objet l'a trompée. Elle m'a cru vainqueur me voyant de retour ; Et foudain fa colère a trahi fon amour Avec tant de iranfport & tant d'impatience , Que je n'ai pu gagner un moment d'audience. ' Pour moi , bieji que vaincu , je me répute heurcusjj Et malgré l'intérêt de mon cœur amoureux , Perdant infiniment , j'aime encor ma défaite, Qui fait le beau fuccès d'une amour û parfaite* TRAGÉDIE. 7^ D. F E R N A N D. Ma nlle , il ne faut point rouç;ir d'un (î beau feu. Ni chercher les moyens d'en faire un défaveu j Une louable honte en vain t'en follicite , Ta gloire eft dégagée , & ton devoir c(ï quitte , Ton père efl: fatisfait , & c'étoit le venger Que mettre tant de fois ton Rodrigue en danger. Tu vois comme le Ciel autrement en difpofe , Ayant tant fait pour lui , fais pour toi quelque chofê 5 Et ne fois point rebelle a mon commandement. Qui te donne un époux aimé fl chèrement. SCENE DERNIERE. D. F E R N A N D , L" I N F A N T E , D. D I E G U E , D. A R I A s' D. RODRIGUE, D. ALONSE* D. SANCHE, CHIMENE, LEONOR* E L V I R E. S L* I N F A N T E. Eche tes pleurs, Chimene, & reçois fans triflclle Ce généreux vainqueur des mains de ta Princcfle. D. RODRIGUE. Ne vous offenfez point , Sire , fi devant vous Un refpecl amoureux me jette à fes genoux. Je ne viens point ici demander ma conquête , Je viens tout de nouveau vous apporter mn tête. Madame , mon amour n'emploira point pour moi Ni la loi du combat , ni le vouloir du Roi. Si tout ce qui s'eft fait eft trop peu pour un perc. Dites par quels moyens il vous faut fatisfaire. Faut-il combattre encor mille & mille rivaux. Aux deux bouts de la terre étendre mes travaux ; 75 L E C I T) , Forcer moi fcul un camp , mettre en fuite une atmtc jj Bcs héros fiibulcux pnircr la renommée } Si mon crim.c par-la Ce peut enfin laver, J'of'c tout entreprendre , & puis tout achever. Mais {î ce fier honneur toujours inexorable Ne fe peut appai^cr fans la mort du coupable , N'armez plus contre moi le pouvoir des humains," Ma tête cft à vos pieds , vengez- vous par vos mains,' Vos mains feules ont droit de vaincre un invincible. Prenez une vengeance à tout autre impofîible : Mais du moins que ma mort fuffife à me punir. Ne me banniflcz point de votre fouvenirj Ia. puifuue mon trépas ccnferve votre gloire. Pour vous en revancher confervcz ma mémoire. Et dites quelTjuefois en déplorant mon fort.: S'il ne m'dxoit cm-iée , // nejeroit pas mort» C H I M E N E. Rclcvc-toi , Rodrigue. Il faut l'avouer , Sire, Je vous en ai trop dit pour m'en pouvoir dédire» 'Kodrigue a des vertus que je ne puis haïr ; Et quand un Roi commande on lui doit obéir, ^lais à quoi que dé]à>vous m'ayez condamnée , Pourrezvous à vos yeux fouffrir cet hyménée? î.t quand de mon devoir vous voulez cet effort. Toute votre jaftice en eri-clle d'accord t Si Rodrigue à l'ttat devient fi nécelfaire , De ce qu'il fait pour vous dois je être le falair£ , Er me livrer moi-mcme au reproche éternel D'avoir trempé mes mains dans le fang paternel ? D. F E R N A N D. Le temps affe? fouvcnt a rendu légitime Ce qui fcmbloit d'abord ne fe pouvoir fans crime. Kodri^TUC t'a gagnée , & tu dois erre à lui : Mais quoique fa valeur t'ait conquife aujourd'hui, I! fa-.idroit que je fulfs ennemi de ta gloire Pour lui donner û-îoc le prijt de fa vi^oirc. I TRAGÉDIE. 77 Cet hymen difFcré ne rompt point une loi , Qui , fans marqucu de temps , lui deftinc ta foi. Prends un an , fî tu v<:ux , pour cffuycr tes larmes» Rodrigue , cependant il faut prendre les armes ; Après avoir vaincu les Mores far nos bords , Rciiverfé leurs dcifcins ,. rcpoulfé leurs efforts s Va jufqa'en leur Pays leur reporter la guerre , Commander mon Armée, (?c ravager leur rerrc^ A ce fc-il nom de Cid ils trembleront d'cfFroi , Ils t'ont nommé Seigneur, & te voudront pourRoL Mais parmi tes hauts faits fois-Iui toujours fidclc. Reviens-en , s'il fc peut , encor plus digne d'elle 5, Et par tes grands exploits fais- toi fî bien prifer,, Qu'il lui foit f;lorieux alors de t'épou(cr. D." RODRIGUE. Pour pofféder Chim.ene , Se pour votre fcrvi'-c. Que peut- on m'ordonner que mon bras n'accom»- pli rfe ? Qjoiqu'abfcnt de fes yeux iî me faille endurer ^ Sire > ce m'cA: trop d'heur de pouvoir efpérer. D. F E R N A N D. Efpere en ton courage , efpere en ma promefie ; Et polfédant déjà le cœur de ta maîtreffc , Pour vaincre un point d'honneur qui combat contre toi, Lailfe faire le temps , ta vaillance & ton Roi. FIN. t)iij 7? Jugement de la Tragédie ^ JUGEMENT DE LA TRAGÉDIE, OU tragi-comédie DU C I D. "T^ Ans toutes Us Pièces Dramatiques que A^ M. Corneille avoit données auparavant cdU' ci , il n avoit cn:ore paru que comme un des pre- miers Poètes du Théâtre François ; & s'il n'avoic point eu de J'upérieurs , du moins s'étoit - /'/ laijjé donmr des égaux, AJjis le Cid l'éltva Ji fort .lu^ dejfus d'eux , qu'il ne leur a pas été pojfî'ùle ni u toute la troupe des Poètes Dramatiques joints en- femble , de l'aiteindrc depuis ce temps-la. L'émulation de ceux qui avaient étéjes cancurrens jufqu alors , Je tourna en une jaloujîe qui donna en- (O'-e un nouvel éclat à l'Ouvrage de M. Corneille j 6' l'inutilité des efforts qu'on fit contre lui y quoique appuyés de toute l'autorité du Minijîere , ne fetvit qu'à l'affermir dans fa nouvelle fupériorité , 6' a lui offurer pour toujours la Principauté du Théâtre, M. VcVûXow dit qu'il nefi pas aifé de s'imaginer avec quelle approbation le Cid fut repu de la Cour & du Public. On ne pouvoit fc laffer de le voir ; on n entendait parler d'autre choje dans les Compagnies ; chacun en f avoit quelque partie par cœur ■ on U f ai [oit apprindre aux en fan s ; & il s'efi fait dans les Provinces du Royaume une ejpece de Proverbe de la manière de dire , beau comme le Cid. Tout le monde ne voulut pas joindre Ja voix par- mi ces bruits 0 ces acclamations , 6* les envieux du ov Tragt- Comédie du Cid". 79 VI d j non confcns de Je taire ^ cherchèrent acs-'lors Us moyens d'impojcr fiUnce au Puhiic. Leur parti fe trouva fortifié par le grand Cardinal àç, Richelieu , qui voulut bien honorer AI. Corncilic de fa jaloujie ; & qui , fans perdre fon caracicre de Miniflre libé- ral , en continuant toujours Jes gratifications à un homme qu il confidéroit comme Poète en général , en* treprit tn qualité d'Auteur & de Bel-Efprit , de lui faire des ajfuircs comme à l'Auteur du Cid , par un pur déplaijîr qu'il avoit de voir toutes tes Piè- ces de Théâtre des autres , 6" fur-tout celles ou il avoit quelque part , entièrement ejfacées par celle-là. Celui qui commenfj , dit M.. Peliifon , fut liî. De Scudery , qui publia fes Obfervacions con." îre le Cid , premièrement pour fe futisf aire lui-mê- me , (^ enfuite pour plaire au Cardinal ^ qui forma de toutes fes Créatures , tant à la Cour qu'a la ^ilU , un puni pour l'oppofer a celui des approbateurs du Cid. Le Cardinal ravi d'avoir trouvé en ScuJeiy un ho-mme qui voulut être partie de Corneille , le porta a foumcttrc fds Obfervutions au jugement de. l' Académie ^ & il obligea cette Ajjemblée , mal' gré toute fa répugnance & toutes fcs raifons , (l'exa- miner juridiquement lu Trûgi-Comédie if les Opj'er-» valions , â* d'en faire une cenfure dans les formes ordinaires. L' Académie ajfembléé le i6 Juin i6]j , nomma Mejfti:urs de Boiirzey , Chapelain 6" Defmarefts pour examiner U Cid & les Obicrvations. La tache de ces trois Commijjaires n'étoit que pour l'examen du corps de l'Ouvrage en gros y 6* quinine jours après on commit quatre autres Académiciens pour celui des vers en particulier. Ces derniers y qui étoient MeJ/ieurs de Cerizy , Gonibaud , Baro , O* l'Etoile, s'acjuitterent de leur Commijfion , de quel- que manière que ce fût : 6* l' Académie ayant déli' héré eri diverfcs conférences ordinaires 6" extruor- D iv ^0 JuGE>fEKT DE LA TraGEDTE ^ dinaires fur leurs remarques , M. Dcfniareds eï{% ordre enfin a* y mettre la dern'r^re main. Mais l'examen de l'Ouvrage en gros ne fut pas une chofe fi facile a ces Mejftcurs. M. Chapelain , l'un des trois CommiJJaires j fit un Corps de jes P\cJîexionSy qui fut pré j enté au Cardinal ^ qui n'en fut pas entièrement Jatisfait , 6' qui y fit des Apojîillcs , par Icfquelles il faijbit connaître qu'il eût fouhaiti qu'on tût déclaré la Pièce du Cid entièrement /'///- gulicre. Il manda néanmoins que la fui)jiance ta étoit bonne , mais qu il falloit y jetter quelques poi- gnées de fleurs. VOuvrage fut donné à polir , par Délibération ae t Académie , a Mejfteurs de Scrizay , Cerizy , Gambaud ^ Siimond. Cérizy le coucha par écrit y & Gombaud fut nommé pour la dernière ré" vijîon du jîyle. Tout fut lu & examiné par la Com^ pagnie en diverfes Afftmblées ordinaires Ù extraor- dinaires y comme s'il eût été qucfiion de la ruine £>u du falut de tEtat , ô' on le mu enfin fous prejfe.. Le Cardinal ayant vu les premières feuilles , n'en fut point co.iient i & fous prétexte que Ai, c/c Cerizy y avoit mis trop de fleurs » il fit arrêter l'imprcjfion, S'étant expliqué enjuite fur la manière dont il vou- lait qu'on écrivît cet Ouvrage , il en donna la char'- ge a M, Sirmond, qui ne le fatisfit point encore. Il Jallut enfin que M. Chapelain reprit tout ce qui avoit été fait tant par lui que par les autres. Il en com- poja le petit Livre que nous avons fous le titre de Sentimens de l'Académie Françoife fur la Tragi- Comcdic du Cid 3 Ouvrage qui coûta cinq mois de travail a l'Académie 6* au Cardinal , fans que du- rant tout ce temps-la y ce Minifire qui avoit toutes les affaires du Royaume fur les bras , 6* toutes celles de l'Europe dans la tête y fe laj/at de ce dejfein y & relâchât rien de fes foins pour cet Ouvrage ^^ corn» me nous l'apprenons de M. Pcliffon, Voici en gros quels Jont Us principaux fentimens ou Tragi- Comédie du Cid. Si 'de l'Académie Jur le Cid. M. de Sciidcry & les au- très adverfaires de M. Corneille , n'ont point eu raifort d'accujer cette Pièce d irrégularité ^ & dédire que le fujet n'en vaut rien ; qu'on n'y trouve ni nœud. ni intrigue y & qu'on en devine la fin Ji- tôt qu'on en a vu le commencement. Ce qu'il y a a dire , c'efl que l'intrigue n'eji pas vraijemblable. Ainfi le Jujet do, Cid efi défectueux , au jugement de cette Ajfimhlée ^ en fa plus ejftntielle partie , parce qu'il manque de l'un & de l'autre vraifemblable , que prefcrit Arijïotc du commun & de l'extraordinaire. L'art lui a man- qué , lorfqu'il a compris tant d'acîions remarquables dans l'efpace de vingt-quatre heures , & pour avoir fait confentir Chimene a époufer Rodrigue le jour même qu'il avoit tué le Comte fon père, L'Académie condamne aujfi Us mœurs attribuées, a Chimene , qui , contre labienféance de fonfexe , pa^ roi: amante trop fcnfble y 6' fille trop dénaturée , 6* elle juge qu'il a mis d'ailleurs trop d'inégaliti dans fcs mœurs. En un mot , elle a remarqué diverjes fautes de jugement dans toute la conduite de l'Ouvrage ; elle s' efi déclarée particulièrement contre toute l' Epi"- fode de l' Infante y elle prétend que le Théâtre efi très mal entendu dans ce Poème , 6* qu'une même Jcene y repréfente plufieurs lieux. Cefi un défaut que l'on trouve dans la plupart de nos Poèmes Dramu" tiques qui avoient paru jufqu alors ; mais l'Auteur du Cid s' étant rejferré fi étroitement pour y faire rencontrer l'unité de jour ^ devoit aujjl s' efforcer ay faire rencontrer l'unité de lieu , dont le défaut ne peut produire dans l'efprit du Spectateur que de la confufion & de L'obfcurité, L' Académie a ceafuré aujfi. plufieurs endroits de. la verfification , qui fervent au moins a nous per- ft^ader qu'il y a ptu d'Ouvrages en vers dont la dic^ don foit parfaitement . corrtcie i mais fur ce qu'on ^ Û y 8i Jugement de la Tragédie , accufoit C Auteur de plujïeurs larcins , elle témot" gne qu'il y a bien peu de chofes imitées ou il [oit demeurai au-dejfous de fon original ; qu'il en a rcu" du quelques 'Unes meilleures quelles n'étaient; 6* qu'il y a ajouté beaucoup de chofes de Jon propre fond , qui ne cèdent en rien a celles du premier Auteur, L' Académie ne fe feroit acquittée que de lu moitié de fcî foncîions i fi après avoir montré les défauts du Cid , elle n'eût découvert en même-temps la caufe & la fource de cette approbation fi extraordinaire , dont le peuple l'avoit prévenu. Il femble même quelle auroit du commencer a ruiner les fondemens de cette approbation avant que d'établir fa cenfure» Quoi qu'il en foie , elle dit « que les pajfions violentes bien 33 exprimées , font fouvent dans ceux qui les voient 33 une partie de l'effet qu'elles font en ceux qui les 33 rejfentent véritablement , qu elles âtent a tous la 33 liberté de l'efprit , 6" font que les uns fe plaifent 33 a voir repréfenter les fautes que les autres fe plai- 33 fent à commettre. Ce font ces puijfans mouvemens , ^^ félon ces Mejfleurs , qui ont tiré des S p éclateur s îo du Cid cette grande approbation > 6* qui doivent 33 aujjt la faire excufer, L Auteur s'ejl facilement 33 rendu maître de leur ame , après y avoir excité le 33 trouble & l'émotion ; leur efprit flatté par quelques 33 endroits agréables , efi devenu aifément flatteur 33 de tout le refle j & les charmes éclatans de quel-- 33 que partie leur ont donné de l'amour pour tout le 33 corps. S'ils eujfent été moins ingénieux , ils eujfent 33 été moins fenfibles ; ils eujfent vu les défauts de 33 cette Pièce , s'ils ne fe fujfent point trop arrêtés 33 à en regarder les beautés. Mais d'un autre côté 33 les Sçavans & les Experts de l'Art doivent fouf" ri^ frir avec quelque indulgence les irrégularités d'un 33 Oxvrage qui n aurait pas eu le bonheur d'agréer fi vi fort au commun , s'il n' avait des grâces qui ne V font pas communes» --^ ou Tragi-Comédie du Cid. 83 Voila quel fut le fend ment de i' Académie fur U Cid y mais fi nous en croyons M. Corneille , ou ce- lui qui prit fon nom , ce ne fut ni celui de ta ville , ni celui du peuple. Ce neji pas qu il ne convînt lui" même de l'équité qui paroà dans une bonne partie de ces cenfures , mais il prétendait avoir remporté le témoignage de l'excellence de fa Pièce par le grand nombre de Jes repréfentations , par lu foule extraordinaire des Speciateurs de tout état & de toute condition , 6' par les acclamations générales quelle ûvoit reçues» Et quoiqu'il ait défié l'Académie en* tierc de donner jamais a fa cenfure autant de repu» tation que Ja Pièce en avoit déjà acquife , il ne laijfoit pas de convenir que ce Poème avoit des dé" fauts ,* mais « qu'il avoit tant d' avantages du coté 33 duj'ujet & des penfées brillantes dont il efi femé, ^■y que la plupart de f es auditeurs n ont pas voulu 33 voir ces défauts , u* ont laiffé enlever leurs fuf- i^ f rages au plaifir que leur a donné fa repréfenta- ^:> tion j quoique ce fait celui de tous fes Ouvrages 33 réguliers , félon lui , où. il fe foit permis le plus 33 de licence j & qu'il pajfoit encore vingt -cinq ou » trente ans après pour le plus beau de fes Ouvrages , S3 auprès de, ceux qui ne s'attachent pas a la féyé^ 03 rite des règles. 33 Cefi dans la mime penfée que M, de Balzac ^. écrivant a M. Scudery , dit que j quelques irrégu^ larités quait commifes M. Corneille dans le Cid , comme fes Cenfeurs avoient prétendu le montrer , cette Pièce ne laijferoit pas d'être admirable » en es quelle avoit reçu les applaudijfemens de fes Speclw teurs & les approbations de toute la France , puif' que la fin. des Pièces de Théâtre n'efi autre que la fatisfaciion des Speciateurs , & qu'ainfi elle avoit triomphe des raifonnemens de fes adverfaires , quoi"» qu'elle eut violé les règles de l'Art , félon l'opinion mime d^ Scnccj^ue , qui dit , que quand il s'agit des D vj ^4 JlJGtMENT DE LA TraGÉDIE , 6>CC. Ouvrai^es qui cblouijfint les yeux d abord , 6* qui préoccupent Us efprits en leur faveur y celui qui a tnUvé l'approbation publique j l'emporte fur celui qui l'a méritée : major ille eli cjui judicium abftulit , ^uàm qui rneruit , quoique dans la fuite une recher* the exade dût y faire voir quelques défauts. Cejl aujfi ce qui a fait dire à M, DcfpriJaux , Satyre ix. vcrf. 2^1. ki fuiy^ En vain contre le Cid un Miniftre fe ligue. Tout Faris pour Chimene a les yeux de Rodrigue ^ L'Académie en corps a beau le cenfurer. Le Public révolté s'obfline à l'admirer. Tant il ejl vrai que le Peuple a fes règles , aujfi- Bien que les Sçavans , pour juger d'un Ouvrage fait pour fon contentement ; qu'un Poète peut impuné' ment pécher contre l'Art & les Maximes ^'Ariftote, /ans manquer au moyen de plaire ; 6* que , quand une Pièce de Théâtre a eu tout le fucces que [on Au- teur pouvoit ejpérer dans la fin qu'il sejl propofée de fatisfaire ceux pour qui elle ejt faite , il importe peu que ce foit régulièrement , ou contre les règles qu'il ait réujfi^ c'eji'à-dire ,fuivant un caprice plu^ lot qu'un autre. HORACE 5 TRAGÉDIE. ACTEURS. TULLE 5 Roi de Rome, Le vieil HORACE , Chevalier Romain,* HORACE , Ton fils. CURIACE , Gentilhomme d'Albe , Amant de Camille, VALEPvE 5 Chevalier Romain , amoureux de Camille. SABINE , femme d'Horace , & fœur de Curiace. CAMILLE , Amante de Curiace , & fœur d'Horace. JULIE 5 Dame Romaine , Confidente de Sabine 8c de Camille. FLAVIAN , Soldat de l'Armée d'Albe. PROCULE , Soldat de l'Armée de Rome* La Scène efl à Rome , dans une Salle de la maïjon d^Horace^ lanBHRnnDaBiaMaBaBaBgBVBBnasaaHBB^ HORACE, TRAGÉDIE. ACTE PREMIER. SCENE PRE iM 1ERE. SABINE, JULIE. SABINE. ^^:^!^ Pprouvez ma foibkfTe, & fouffrcz ma douleur , Elle n'eft que trop jufle en un Ci g!;and KyTVrîS>J _ malheur j Si près de voir fur foi fondre de tels orages , L'ébranlement iîed bien aux plus fermes courages 5 Et l'efprit le plus mâle & le moins abactu ,. Ne fcauroit fans défordre exercer fa vertu. Quoique le mien s'étonne à ces rudes alarmes , Le trouble de mon cœur ne peut rien fur mes larmes ^ Et parmi les foupirs qu'il pouffe vers les cieux , Ma confiance du moins règne encor fur mes yeux. Quand on arrête là les déplaifîrs d'une ame. Si l'on fait moins qu'un homme , on fait plus qu'uûS femme j ^ HORACE; CommanJcr à fcs pleurs en cette cxtrcmitc^ ,' C'cft montrer pour ic Icxc aHez de fermeté. JULIE. C'en efl: pcut-ctrc aflcz pour une ame commune 3^ Qui du moindre pciil fe fait une infortune ; Mais de cette fûiblelTe un grand coeur cft honteux ; Il ofe efpérer tout dans un fuccès douteux. Les deux camps font ranges au pied de nos murailles^ Mais Rome ignore encor comme on perd des ba? ti:illcs5- Loin de trembler pour elle , il lui faut applaudir ; Puifqu'elle va combattre , elle va s'agrandir. Bannilfez , banniiîez une frayeur fi vainc , Ec. concevez des vœux digne d'une Romaine, S A b' I N E. Je fais Romaine , hélas l puifcju'Horace efl: Romain,. J'en ai reçu le titre en recevant fa main j Mais ce nœud me tiendroit en efclave enchaînée. S'il ra'empêchoit de voir eu quels lieux je fuis trie*. Albe, ou j'ai comjnencé de refp.irer le jour, Albe , mon cher pays , & mon premier amour, Lorfqu entre nous & toi je vois la guerre ouverte,. 3t crains notre victoire autant que notre perte.. Rome , fi tu te plains que c'cft là te trahir, îais-toi des ennemis que je puide haïr. Quand je vois de tes murs leur armée & la nôtre. Mes trois frères dans l'une , & mon mari dans l'autre j Puis-je former des voeux , & fans impiété , Importuner le Ciel pour ta fé.'icité? Je fcais que ton Etat encore en fa naiffance , Ne fçauroit fans la guerre affermir fa puifTance ; Je fçais qu'il doit s'accroître , & que tes grands deftinS ■ Ne le borneront pas chez les peuples Latins, Que les Dieux t'ont promis l'Empire de la Terre; Ec que tu n'en peux voir l'effet que par la guerre. Bien loin de m'oppofer à cette noble ardeur Qui fuit l'arrêt des Dieux & coure à ta grandeur,^ TRAGÉDIE. S5 Je voucîrois cîcjà voir tes croupes couronnées, D'un pas vidorieux franchir les Pyrénées. Va jufqu'en l'orient poulTer tes bataillons , Va fur les bords du Rhin planter tes pavillons , Pais trembler Cous tes pas les colonnes d'Hercule, Mais rclpecfte une Ville à qui tu dois Romule. Ingrate, fouviens-toi que du fang de Tes Rois Tu tiens ton nom , tes murs , & tes premières loix 5 Albe eft ton origine , arrête , & confîdere Que tu porte le hr dans le fein de ta mère. Tourne ailleurs les efforts de tes bras triomphans , Sa joie éclatera dans l'heur de Tes enfans j Et fe lailîant ravir à l'amour maternelle , Ses vœux feront pour toi, (î tu n'es plus contr'ellci JULIE. Ce difcours me furprend , vu que depuis le temps Qu'on a contre (on peuple arme nos combattaus , Je vous ai vu pour elle autant d'indifférence Que Cl d'un fang Romain vous aviez pris naifTancc, J'admirois la vertu qui réduifoir en vous Vos plus chers intérêts à ceux de votre époux j Et je vous confolois au milieu de vos plaintes , Comme Ci notre Rome eût fait toutes vos craintes, SABINE. Tant qu'on ne s'eft choqué qu'en de légers combats ,; Trop foibles pour jetter un des partis à bas. Tant qu'un efpoir de paix a pu flatter ma peine , Oui , j'ai fait vanirc d'être toute Romaine. Si j'ai vu Rome heureufe avec quelque regret. Soudain j'ai condamné ce mo ivement fecretj £c Cl j'ai reffenti dans fes deftins contraires , Quelque maligne joie en faveur de mes frères ,' Soudain pour l'étouffer rappellant ma raifon , > J'ûi pleuré quand la gloire entroit dans leur maifoir. Mais aujourd'hui qu'il faut que l'un ou l'autre tombe , Qu Albe devienne efclave , ou que Rome fuccombe ^^ 9^ HORACE, Et qu'après la bataille il ne demeure plus Ni d'obftaclc aux vainqueurs , ni d'cfpoir aux YaîncuS;^ J'ajrois pour mon pays une cruelle haine. Si je pouvois encore être toute Romaine , Ec Cl je demandois votre triomphe aux Dieux , Au prix de tant de fang qui m'eft fi précieux. Je m'attache un peu moins aux intérêts d'un homme '^ Je nefuispoint pour Albe , & ne fuis plus pour Rome 5 Je crains pour l'une & l'autre en ce dernier effort , Et ferai du parti qu'affligera le fort. Egale à tous les deux jufques à la vidoirc , Je prendrai parc aux maux fans en prendre à la gloire > Er je garde , au niilieu de tant d'âpres rigueurs , Mes larmes aux vaincus j &:ma haine auxvainqueur?^ JULIE. Qu'on voît naître fbuvent de pareilles traverses En des efprits divers des paffions divcrfes , Et qu'à nos yeux Camille agit bien autrement l Son frerc cft votre époux , le vôtre eft fon amant j Mais elle voit d'un ail bien diîtéreoc du vôtre , Son fang dans une armée , & fon amour dans l'autre* Lorfque vous confcrviez ua efprit tout Romain, Le fien irréfoKi , le ficn tout incertain , De la moindre mêlée appréhendoit l'orage , De tous les deux partis déteftoit l'avantage , Au malheur des vaincus donnoit toujours fes pleurs J Et nourriffoit ainfi d'éternelles douleurs. Mîis hier quand elle fçut qu'on avoit pris journée ^ Et qu'enfin la bataille ailoit être donnée. Une foudaine joie éclatant fur fon front ..... SABINE. Ah l que je crains , Julie , un chamgement Ci prompt l Hier dans fa belle humeur elle entretint Valeres Pour ce rival fans doute elle quitte mon frcre. Son efprit ébranlé par les objets préfcns , Ne trouve poiat d'abfent aimable après deux ans . , ; TRAGÉDIE, 91 Mais cxcufez l'ardeur d'une amour fraternelle ', Le foin que j'ai de lui me fait craindre tout d'elle > Je forme des ibupçons d'un trop léger fuict ; Près d'un jour li funefte on change peu d'objet. Les âmes rarement font de nouveau blellées 5 Et dans un Ci grand trouble on a d'autres penfées : ^lais on n'a pas aulfi de fi doux entretiens. Ni de contentemens qui foient pareils aux (iens, JULIE. ' Les caufes , comme à vous , m'en fcmblcnt fort obfcures , Je ne me fatisfais d'aucunes conjectures. C'cft allez de confiance en un û grand danger Que de le voir , l'attendre , & ne point s'alBii^er j Mais certes c'en cLi trop d'aller jufqu'à la joie. SABINE. Voyez qu^un bon génie à propos nous l'envoie. Ellaycz fur ce point à la faire parler , Elle vous aime alfcz pour ne vous rien cekr ; Je vous lailfc. 9* H O R A C E , SCENE II. CAMILLE, SABINE, JULIE. SABINE. M.^ ,A fœur , entretenez Julie ^. J'ai honte de montrer tant de mélancolie 3 Et mon cœur accablé de mille déplaifirs , Cherche la rolicude à cacha" Tes foupirs. ^^i^^fh^^ S C E N E I I L C A. M I L L E , J U L I E.. CAMILLE. \^ U'cIIe a tort de vouloir que je vous entretienne V. Croit-cilc ma douleur moins vive que la ficnnei, Et que plus infcnfiblc à de fi grands malheurs , A mes triftes difcours je mcle moins de pleurs ? De pareilles frayeurs mon amc eft alarmée , Comme clic je perdrai dans l'une 8c l'autre armée,. Je verrai mon amant , mon plus unique bien , Mourir pour Ton pays ou dénuire le mien , Et cet objet d'amour devenir pour ma peine Digne de mes foupirs , ou digne de ma haine Héias l JULIE. Elle cfl pourtant plus a. plaindre que vous ,. On peut changer d'amant, mais non changer d'époux. TRAGÉDIE. 9î O.ibîicz Curiacc , & recevez Valcre , Vous ne tremblerez plus pour le parti contraire , "Vous ferez toute nôtre ; & votre efprit remis N'aura plus rien à perdre au camp des ennemis. CAMILLE. Donnez- moi des confeils cjui foienc plus légitimes ; Et pîaii^nez mes malheurs fans m'ordonner des crimes, Quoi'.ju'à peine à mes maux je puifle rédiger , J'aime mieux les foulFrir que de les mériter. JULIE. Quoi? vous appeliez crime un change raifonnabic î CAMILLE. Quoi ? le manque de foi vous femble pardonnable î| JULIE. Envers un ennemi qui peut nous obliger ? CAMILLE. D'un ferment folemnel qui peut nous dégagera JULIE. Vous dcguifez eh vain une chofc trop claire. Je vous vis cncor hier entretenir Valere ; Er l'accueil gracieux qu'il recevoit de vous. Lui permet de nourrir un efpoir afîez doux, CAMILLE. Si je Tentretins hier & lui fis bon vifage. N'en imaginez rien qu'à fon défavantage 5 De mon contentement un autre écoit l'objet} Mais pour fortir d'erreur fçachcz-en le fujet, - Je garde à Curiacc une amitié trop pure , Pour fojlïiir plus long-temps qu'on m'eftimeparjurc* II vous foavient qu'à peine on voyoit de fa fœur Par un heureux hymen mon frère podelleur ; Quand pour comble de joie il obtint de mon pcrc Que de Ces chaftcs feux je ferois le falaire. Ce jour nous fut propice & funeftc à la fois , Unilfaut noî maifons , il déùinic nos Rois , 94 HORACE, Un mcme infiant conclut notre hymen & la guerre ^ Fit naître notre cfpoir & le jctta par terre , Nous ôta tout fi-tôt qu'il nous eut tout promis j Et nous faifant amans il nous fit ennemis. Combien nos déplaifîrs parurent lors extrêmes , Combien contre le Ciel il vomit de blarphcmcsj Et combien de ruilTcaux coulèrent de mes yeux l •Je ne vous le dis point, vous vîtes nos adieux. Vous avez vu depuis les troubles de mon ame , Vous fçavcz pour la paix quels voeux a faits ttiA flamme , Et quels pleurs j'ai vcrfés à chaque événement. Tantôt pour mon pays , tantôt pour mon amanr. Enfin mon dcTefpoir , parmi ces longs obftaclcs. M'a fait avoir recours à la voix des oracles J Ecoutez fi celui qui me fut hier rendu Eut droit de ralîurer mon efprit éperdu. Ce Grec fi renommé qui depuis tant d'années Au pied de l'Aventin prédit nos dcftinces , Lui qu'Apollon jamais n'a fait parler à faux. Me promit par ces vers la fin de mes travaux. Jl/he & Rome demain prendront une autre face ^ Tes vœux font exaucés , e//es auront la paix. Et tu feras unie avec ton Curiace , Sans qu'aucun mauvais fort t'en fépare jamais. Je pris fjr cet oracle une entière alfuiancej Et com.me le fuccès paffoit mon efpcrance , J'abandonnois mon ame à des ravillemens Qui paffoicnt les tranfports des plus heureux amans, Ji]gez de leurs excès. Je rencontrai Valere, Et contre fa coutume il ne put me déplaire -, Il me parla d'amour fans me donner d'ennui , Je ne m'apperçus pas que je parlois à lui j Je ne lui pus montrer de mépris ni de glace , Tout ce que je voyois me fcmbloit Curiace ; Tout ce qu'on me difoit me parloir de fes feux j Tout ce que je difois raiTuioit de mes vaux. TRAGÉDIE. 9î Xe combat gcncial aujourd'hui Ce liafaidc ; J'en feus hier la nouvelle , & je n'y pris pas garde. Mon efpric rejcttoit ces funcftes objets , Charme des doux pcnfers d'hymen & de la paix. La nuit a diflipé des erreurs fi charmantes , Mille fongcs affreux, mille images fanglantes , •'Oli plutôt mille amas de carnage 6c d'horreur M'ont arraché ma joie & rendu ma terreur. J'ai vu du fang des morts , & n'ai rien vu de fuite. Un fpedrc en paioilTant prenoit foudain la fuite j Ils s'cifaçoicnt l'un l'autre , Si. chaque iiludon Rcdoubloit mon effroi par fa confufion. JULIE. C'cft en contraire iens qu'un fongc s'interprète, CAMILLE. Je le dois croire ainf , puifque je le fouhaite ; Mais je me trouve enfin , malgré tous mes fouhaits , Au jour d'une bataille , & non pas d'une paix. JULIE. Par-là finit la guerre , & la paix lui fucccdc. CAMILLE. Dure à jamais le mal s'il y faut ce remède 1 Soit que Rome y fuccombe , ou qu'Albe ait le def- fous , tt me comptç déjà pour un de vos fuje.ts. T R A G È D I £.- ïc^ HORACE. Hoin de trembler pour Albe , il vous faut plaindre Rome , Voyant ceux qu'elle oublie, & les trois qu'elle nora- me j Ccft un aveuglement pour elle bien fatal , D'avoir tant à choifir & de choifir fi mal. Mille de fcs enfans beaucoup plus dignes d'elle Pouvoient bien mieux que nous foutcnir fa querelle j Mais , quoique ce combat me promette un cerciieil;, La gloire de ce choix m'enfle d'un jufte orgueil i. Mon efprit en conçoit une mâle aflurancc , J'ofe efpérer beaucoup de mon peu de vaillance 3 Et du fort envieux qacis que foicnt les projets , Te ne mi con^ipre point pour un de vos f.ijcts,- "Rome a trop cru de moi , mais mon ame ravie Remplira fon attente ou quittera la vie. Qui veut mourir ou vaincre , eH: vaincu rarement,. Ce noble défcfpoir périt mal-aifcment. Roine , quoi qu'il en foit , ne fera point fujcttc ^. Que mes derniers foupirsn'aflurent ma défaite^ G U R î A C E. Hclas 1 c'cft bien ici que je dois être plaint l Ce que veut mon piy; , mon amitié le craint,. Djrcs extrémités , de voir Albe alfervie , Ou fa vicloire au prix d'une fi chcre vie 3. Et que l'unique bien où tendent fes defirs S'achète feulement par vos derniers foupirs l Quels voeux puis -je former , & quel bonheur attcn* dre? De tous les deur côtés j'ai des pleurs à répandre. De tous les deux côtés mes defirs font trahis. HORACE. Quoi ! vous me pleureriez mourant pour mon pays î Pour un cœur généreux ce trépas a des charmes , La gloire qui k fuit ne foufFre point de larmiES5, E ii; 102 H O R A C E, Et je le reccvrois en bénifTant mon fort , Si Rome Se tout l'Etat pcidoicnt moins en ma morh C U R I A C E. A vos amis pourtant permettez de le craindre , Dans un fi beau trépas ils font les feuls à plaindre j. La gloire en ell pour vous , & la perte pour eux , Il vous fait immortel , & les rend malheureux 3 On perd tout quand on perd un ami fi fidèle , Mais Flavian m'apporte ici quelque nouvelle. ■g^ .^^=^ffi=^^: SCENE II. HORACE, CURIACE, FLAVIAN. C U R I A C E. jLjLLbc de trois guerriers a-t-elle fait le choix î E L A V I A N. Je viens pour vous l'apprendre. CURIACE. Hé bien , qui font les trois? FLAVIAN. Vos deux frères 6c vous. CURIACE. Qui? FLAVIAN. Vous 8c vos deux frères. Mais pourquoi ce front trifte & fcs regards fcvcres ? Ce choix vous dcplaît-il ? CURIACE. Non , mais il me furprcnd ; Je m'eAimois trop peu pour un honneur fi grand. TRAGÉDIE, 1^1 F L A V I A N. Dirai-je au Dicî^atcur , dont l'ordre ici m'envoie , Que vous le recevez avec il peu de joie ? Ce morne & froid accueil me furprend à mon tour». C U R I A C E. Dis-lui que l'amitié , l'alliance , & l'amour Ne pourront empêcher que les trois Curiaces Ne fervent leur pays contre les trois Horaces. F L A V I A N. Contre eux ! Ah l c'eft beaucoup me dire en peu de mots. C U R I A C E. Porte-lui ma réponfe , & nous laiife en repos. =i^^^.^;i^ '. "■■L»r f'iyf SCENE I I L HORACE, CURIACE. C U R I A C E. \^\Jc déformais le Ciel , les en/ers , 8c la terre Unilfcnt leurs fureurs à nous faire la guerre y Que les hommes , les Dieux , les démons, & le fofC" Préparent contre nous un général effort 5 Je mets à faire pis , en l'état où nous fommes , Le fort , & les démons , & les Dieux , & les hommes j^ Ce qu'ils ont de cruel , & d'horrible , & d'affreux L'efl bien moins que l'honneur qu'on nous fait à tous deux. HORACE. le (ort qui de l'honneur nous ouvre la barrière Offre à notre confiance une illuflre matière 3 Il épuife fa force à former un malheur , Pour mieux fe mefurer avec notre valeur ; Et comme il voit en nous des âmes peu communes ,' Hors de l'ordre commun il nous fait des fortunes. E iv ^04 HORACE, Combattre un ennemi pour le faluc de tous , Et contre un inconnu s'c.\po(cr fcul aux coups , D'une limplc vertu c'cfl: l'ciRc ordinaire 5 Mille déjà l'ont faic , mille pourroienc le faire» 'î^lourir pour le pays cfi un fi digne fort , Qu'on brigueroit en foule une fi belle mort. Mais vouloir au public immoler ce c]u'on aime. S'attacher au combat contre un autre loi mcmc. Attaquer un parti (]ui prend pour dcfenfcur Le frtre d'une femme & l'amant d'une firur , Et rompant tous ces nœuds s'armer pour la patrie Contre un fang qu'on voudroic racheter de fa vie 5 Une telle vertu n'appartenoit qu'à nous : L'éclat de fon ^rand nom lui fait peu de jaloux 5 Et peu d'hommes au cœur l'ont afiez imprimée , Pour ofet afpircr à tant de renommée, C U R I A C E. 1! eft vrai que nos noms ne fça-iroient plus périr j L'occnfion cft belle , il nous la faut chérir. Nous ferons les miroirs d'une vertu bien rare : Mais votre fermeté tient un peu du barbare. Peu , mcir.c des grands cœurs , tireroient vanité D'aller par ce chemin à l'immortalité. A quelque prix qu'on metrc une telle fumée , L'obfcuiJ:é vaut mieux que tant de renommée: Pour moi je l'ofe dire , & vous l'avez pu voir. Je n'ai point conT-iIté pour fuivre mon devoir : Notre longue amitié, l'amour , ni l'alliance N'ont pu m.ettre un moment mon efprit en balance. Et puifque par ce choix Albe montre en effet Qu'elle m'cftimc autant que Rome vous a fait. Je crois faire pour elle autant que vous pour Rome , J'ai le cœur aulTi bon , mais ei.fin je fuis homme. Je vois que votre honneur demande tout mon fang , Que tout le mien confiAe à vous percer le flanc , Prêt d'époufer la fœur qu'il faut tuer le frcrc , Et que pour mon pays j'ai !e fort fi ccrioaire ; TRAGÉDIE. 105 Encor qu'à mon devoir je coure fans terreur , Mon cœur s'en cfï^irjuchc, & j'en frcmis d'horrcJr j Ta'i pitié de moi-mcme , & jctce un œil d'envie Sur ceux dont notre guerre a confumé la vie. Sans fouljaic toutefois de pouvoir reculer, Gc trifte & fier honneur m'émeut fans m'ébranler ; J'aime ce qu'il me donne , & je plains ce qu'il m'otc 5 Et a Rjme demande une vertu plus haute , Je rends grâces aux Dieux de n'être pas Romain, Pour conlerver cncor quelque cho(e d'humain. HORACE. Si vous n'crcs Romain , foyez digne de l'être. Et fi vous m'égafcz , faites le mieux paroîtrc. La folide vertu dont je fais vanité N^admet point de fûiblelfe avec fa fermeté ; Et c'eft mal de l'honneur entrer dans la cnrrierc. Que dès le premier pas regarder en arrière. Notre malheur eft grand , il cft au plus haut poinr^' Je i'eavifage entier , mais je n'en frémis point. Contre qui que ce foit que mon pays m'emploie > J'accepte aveugléûîent cette gloire avec joie : Celle de recevoir de tels comimandemcns Doit étouffer en nous tous autres fcntimens : ■ Qui prés de le fervir coniidere aurr^ cho(è , A fjirc ce qu'il doit lâchement fe difpofe ; Ce droit faint & facré rompt tout autre lien. Rome a choifi mon bras , je n'examine rien j Avec une alég'.effe aufli pleine & fincere Que j'époufai la foeur, je combattrai le frerc 5 - Et peur trancher enfin ces difcours fuperfius ^• Albe vous a nommé , je ne vous connois plus, - C U R I A C E, Je vous connois encore , & c'eft ce qui me tcc ; Mais cette âpre vertu ne m'étoit pas connue^. Com.me notre malheur cî!c eft au plus haut poiu?^.j Si)uri\'cz que je l'adraice £c ne Tinucc poir.r. io6 HORACE, HORACE. Non , non , n'cmbraflcz pas de vertu par contrainte ^ Et puifquc vous trouvez plus de charme à la plainte , En toute liberté goûtez un bien fi doux ^ Voici venir ma fœur pour fe plaindre avec vous. Je vais revoir la vôtre , & refoudre Ton ame A le bien fouvenir qu'elle efi: toujours ma femme , A vous aimer encor fi je meurs par vos mains , Et prendre en Ton malheur des fentimens Romains. 4.^-05^.^^ =%;<& SCENE IV. HORACE, CURIACE , CAMILLE, HORACE. XjL Vez-vous fçu l'état qu'on fait de Curiace , Ma faur ? , CAMILLE. Hélas 1 mon fort a bien changé de face» HORACE. Armez-vous de confiance , & montrez- vous ma fœur^ Et fi par mon trépas il retourne vainqueur. Ne le recevez point en meurtrier d'un frère, Mais en homme d'honneur qui fait ce qu'il doit faire» Qui fert bien fon pays , & fçait montrer à tous Par fa haute vertu qu'il cft digne de vous. Comme fi je vivois , achevez 1 hymcnée.. Mais fi ce fer aufii tranche fa deftinée, ïaites à ma victoire un pareil traitement. Ne me reprochez point la mort de votre amant. Vos larmes vont couler , & votre cœur fe prefTe , Cocfumcz avec lui toute ccttt foiblciTcj TRAGÉDIE. Î07 Querelle! Ciel & terre , & maudi^Tcz le fort ; Mais apiès le combat ne penfez plus au mort. ( à Curiace ) Je ne vous laiffcrai qu'un moment avec elle. Puis nous irons enfembic où l'honneur nous appelle.' :i^Jii=îîS^î^! ■ .- ^ SCENE V. CURIACE, CAMILLE. CAMILLE. A Ras-ru , Curiace î & ce funefte honneur Te plait-il aux dépens de tout notre bonheur î CURIACE. Hclasl je vois trop bien qu'il faut , quoi que jéfaiï*c^ Mourir ou de douleur , ou de la main d'Horace. Je vais comme au fjpplice à cet illuftre emploi , Je maudis mille fois l'état qu'on fait de moi , Je hais cette valeur qui fait qu'Albe m'cftime , Ma flamme au défefpoir paffc jufques au crime, . Elle fc prend au Ciel & l'ofe quereller; Je vous plains, je me plains , mais il y faut aller*' CAMILLE. Non , je te connois mieux, tu veui que je te priCj» . Et qu'ainfl mon pouvoir t'excufc à ta patrie. Tu n'es que trop fameux par tes autres exploits j A!be a reçu par eux tout ce que tu lui dois , Autre n'as mieux que toi foutenn cette guerre, . Autre de plus de morts n'a couvert notie terre ^ Ton nom ne peur plus croître , il ne lui manque rien j , Souffre qu'un autre ici pcifTe ennoblir le fien. C U R I A C E. Que je fouffreà mes yeux qii'on ceigtieunc autre têtç-^ Dés lauriers immortels que la gloire m'^ipprétSj , io8 HORACE, Ou qnc tout mon pays reproche à ma vertu Qu'il auroic triomphé (î j'avois combattu ; Et que fous mon nmour ma valeur endormie Couronne tant u'cxploits a'unc telle infomic Non , Albe , après l'honneur que j'ai reçu de toi , Tu ne fuccombcras ni vainqueras que par moi; Tu m'as commis ton fort, je t'en rendrai bon compte , "El vivrai fans reproche , ou périrai (ans honte, CAMILLE, Quoi l tu ne veux pas voir qu'ainfi tu me trahis 1 C U R. I ACE, Avant que d'être à vous , je fuis à mon pays. CAMILLE. Mais te priver pour lui toi-même d'un beaU-frcre>, Ta fœur de Ton mari l C U R I A C E. Tel eft notre mifcrc. Le choix d'Albe & de Rome ôtc toute douceur Aux noms jadis /i doux de beau- frère & de focur. C A M I X L E. Tu pourra-; donc, cruel , me prcfenter fa tête , Et demander ma main pour prix de ta conquête l C U R I A C E. Il n'y faut plus pcnfer ; en l'ctat où je fuis Vous aimer fans cfpoir , c'eft tout ce que je puis. Vous en pleurez , Camille? CAMILLE. I! faut bien que je pleure j\ Mon infenfîblc amant ordonne que je meure ; Et quand l'hymen pour nous allume fon flambeau , Il l'crcrnt de fa main pour m'ouvrir le tombeau. Ce cœur impitoyable à ma perte s'obftine , 2t dit qu'il m'aime encore alors qu'il m'afraffine. C U R I A C E. Que les pîeurs d'une amante ont de puifTans difcours , £t c^u'un bwl œil eft fort avec un tel fecours \ TRAGÉDIE. 109 Que mon cœur s'attendrit à cette trifte vue I Ma cocllancc contre elle à regret s'évertue. N'attaquez plus ma gloire avec tant de douleurs , Et lalircz-moi fauvcr ma vertu de vos p':eurs. Je fens qu'elle cliancelle & défend mal la place;- Plus je fuis votre amant, moins je fuis Curiace: . Foible d'avoir déjà combattu l'amidé , Vaincroit elle à la fois Tamour & la pitié } Allez , ne m'aimez plus , ne verfez plus.de larmes ^ . Ou j'oppofe i'ofl-c.'ife à de fi fortes armes ; Je me dcfcndtai mieux contre votre courroux. Et pour le mériter je n'ai plus d'yeux pour vous ; Vcngez-voire d'un ingrat , puniifez un volage. Vous ne vous montrez point fenfible à cet outrage l. Je n'ai plus d'yeux poiir vous , vous en avez pour. moi 1 En faut-il plus cncor ? Je renonce à ma foi, Rigourcufc vertu dont je fuis la vidime , Ne peux-cu réfifter fans le fecours d'un crime î C. A. M I L L E. Ne fais point d'autre cririrc , & j'arteilc les Dieux ■ Qu'au lieu de t'en haïr je t'en aimerai mieux 5 Oui , je te chérirai tout ingrat & perfide , Et celfe d'afpircr au nom de fratricide. Pourquoi fuis-je Romaine , ou que n'es-tu Romaine. Je tepréparcrois des lauriers de ma main , Je c'cncouragerois au iieu de te diftraire , EC'je te traiterois comme j'ai fi'ic mon frère. Hclas 1 j'étois aveugle en mes voeux aujourd'hui ; J'en ai fait contre toi quand j'en ai fait pour lui. Il sevient 5 quel malheur , fi l'amour de fa femme Ne peut non plus fur lui que le mien fur ton ame L no H O R A C E, SCENE V L HORACE, CURIACE, SABINE,, CAMILLE. D c U R I A c E. kux 1 Sabine le fuit l pour ébranler mon cœut Eil-cc peu de Camille , y joignez-vous ma fœur i Et lailîant à Tes pleurs vaincre ce grand courage, L'amcncz-vous ici chercher même avantage } SABINE. Non , non , mon frère , non, je ne viens en ce lieu Que pour vous embraffer & pour vous dire adieu. Votre fang cft trop bon , n'en craignez rien de lâche. Rien donc la fermeté de ces grands cœurs fe fâche 5 Si ce malheur illuftre ébranloit l'un de vous , Je le défavouerois pour frère ou pour époux. Pourrai-je toutefois vous faire une prière Digne d'un tel époux & digne d'un tel frère ? Je veux d'un coup f\ noble ôter l'impiété, A l'honneur c]ui l'attend rendre fa pureté , La mettre en Ton éclat fans mélange de crimes; Enfin je vous veux faire ennemis légitimes. Du faint nœud qui vous joint je fuis le feul lien , . Quand je ne ferai plus , vous ne vous ferez rien j Brifez votre alliance -Si rompez- en la chaîne , Et puifquc votre honneur veut des effets de haine. Achetez par ma mort le droit de vous haïr. Albe le veut & Rome , il faut leur obéir j Qu'un de vous deux me tue , & que l'autre me venge ^ Alors votre combat n'aura plus rien d'étrange , Xtdu moins l'un des deux fera jufte agreffeur. Ou. pour venger fa femme , ou pour venger ,a*foeur. TRAGÉDIE. îii Mais quoi "i vous fouillerez une gloire (î belle. Si vous vous animiez par quelqu'autre querelle 5 Le zclc du pays vous cicfcnd de tels foins , Vous feriez peu pour lui il vous vous étiez moins ^ Il lui faut, & fans haine, immoler un bcau-frere. Ne diitcrez donc plus ce que vous devez faire j. Commencez par fa foeur à répandre fon fang , Commencez par fa femme à lui percer le fianc , Commencez par Sabine à faire de vos vies Un digne facriHce à vos chères patries -y Vous êtes ennemis en ce combat fameux. Vous d'AIbe , vous de Rome , & moi de toutes deuï. Quoi ? me rcfervez-vous à voir une vi<5loire , Où pour haut appareil d'une porr.peufe gloire , . Je verrai les lauriers d'un frère ou d'un mari Fumer cncor d'un fang que j'aurai tant chéri } Pourrai je entre vous deux régler alors mon ame I Satisfaire aux devoirs & de fœur 5c de femme î Embra/fer le vainqueur en pleurant le vaincu? Non , non , avant ce coup Sabine aura vécu : Ma mort le préviendra , de qui que je l'obtienne ^ Le refus de vos mains y condamne la mienne. Sus donc , qui vous retient ? Allez , cœurs inhumains ^ ., J'aurai trop de moyens pour y forcer vos mains. Vous ne les aurez point au combat occupées j Que ce corps au milieu n'arrête vos épées , Et malgré vos refus il faudra que leurs coups - Se fallent jour ici pour aller juf<|u'à vous, HORACE. O ma. femme l C U R I A C E. O ma foeur i CAMILLE, Courage , ils s'amoliiTent. SABINE. Yous poulTei. des foupirs 5 vos vifages paHifent l : ui KO RACE, Quelle peur vous failît ? Sont-cc là ces grancîs cœurr^ Ces héros qu'Albe & Rome ont pris pour dcfenfeurs ?" HORACE. Q.Î2 t'ai-je fait , Sabine , & quelle cfl: mon offcnfe Q'ù t'oblige â chercher une rcllv: venc^cance ? Que t'a fait mon honneur, & par quel droit vieus-tu Avec toute ta force attaquer ma vertu ? Du moins contente toi de l'avoir étonnée , Et me laiffc achever cette grande journée. Tu me viens de réduire en un étr::nge point, Aiaic nlfez ton mari pour n'en triompher pointa V&'t'en , & ne rends plus la vidcoire douteufe , La difpjte déjà m'en cft affez honteufe , Souitic qu'avec honneur je termine mes jours, SABINE. Va , ccffe de me craindre, on vient à ton fccours. >^-^ffirr^^ SCENE VIL Le vieil HORACE, HORACE;. CURIACE, SABINE, CAMILLE. Le v'uil HORACE. \J U'eil ceci , mes cnfans 1 Ecoutez -vous vos flammes , Et perdez- vous encor le temps avec des femmes t Prêts à verfer du fang regardez vous des pleurs ? luyez & laificz-lcs déplorer les malheurs. Leurs plaintes ont pour vous trop d'art & de tcndrelTe j Elles vo'.i=; fcroicnt part enfin de leur foibltlfc j Ec ce n'efc qu'en fuyant qu'on pare de tels coups. S A B I N E. N'apqréiicadcz rien d'eux , ils font dignes -de voue TRAGÉDIE. 11$ Xïaîgré tous nos efforts vous en devez attendre Ce que vous fouluitcz & d'un fils & d'un gendre j. £t fi notre fuiblclfc avoit pu les changer. Nous vous lailTons ici pour les encourager. Allons, ma fa'ur, allons, ne perdons plus delarmeSj» Courre tant de vert js ce font de foibics arracs : Ce n'crt; qu'au défelpoir qu'il nous faut recourir. Tigres , allez combattre , & nous , allons mourir. .jjjti.^^^^.t'.ti' . SCENE V I I î. Le vieil HORACE, HORACE., C U R I A C E. M HORACE. On pcre , retenez âts femmes qui s'emportent-. Et , de grâce , empêchez fur-tout qu'elles ne fortent^ Leur amour injportun viendroit avec éclat Par des cris & des pleurs troubler notre combat j Et ce qu elles nous (ont feroit qu'avec juftica On nous imputeroit ce mauvais artifice. L'honneur d'un G beau choix feroit trop acheté , Si Ton nous foupçonnoit de quelque lâcheté. Le -vieil HORACE. J'en aurai foin. Allez , vos frères vous attendent,. Ne pcnfcz qu'aux devoirs que vos pays demandent. C U R I A C £. Quel adieu vous dirai-je , & par quels complimens . ,^ Le vieil HORACE. Ah \ n'attendriiTez point ici mes fentimens > Peur vous encourager ma voix manque de termes ^ '^on cœur ne forme point de penfers affcz fermes. Moi-même en cet adieu j'ai les larmes aux yeux, Sai:es votre devoir & lailfez faire aux Dieux, Bin dujecond A£iu 114 HORACE, A C T E I I L SCENE PREMIERE. SABINE. P Renons parti , mon ame , en de telles difgrace? ^. Soyons femmes d'Horace ou foeur des Curiacesj Celfons de partager nos inutiles foins. Souhaitons quelque chofe& craignons un peu moins.' Mais las l quel parti prendre en un fort fl contraire l Quel ennemi choifir d'un cpoux ou d'un frère l La nature ou l'amour parle pour chacun d'eux 5 £t la loi du devoir m'attache à tous les deux. Sur leurs hauts fentimcns réglons plutôt les nôtres , Soyons fcmmej de l'un enfemble , & foeur des autres , Ilegardons leur honneur comme un fouverain bien , Imitons leur conftance & ne craignons plus rien, la mort qui les menace eft une mort fi belle. Qu'il en faut fans frayeur attendre la nouvelle. K'appellons point alors les dcftins inhumains, Songeons pour quelle caufc , & non par quelles mains 5 Revoyons les vainqueurs fans penfer qu'à la gloire Q'je toute leur maifon reçoit de leur vi(5loire j ît fans confidérer aux dépens de quel fang Leur vertu les élevé en cet illuftre rang , îaifons nos intérêts de ceux de leur famille : En l'une je fuis femme , en l'autre je fuis fille;- ït tiens à toutes deux par de fi forts liens , Qu'on ne peut triompher que par les bras des mien*, îortune , quelques maux que ta rigueur m'envoie , J'ai trouvé les moyens d'en tirer de la joie j Et puis voir aujourd'hui le combat fans terreur , Les morts faas défcfpoir , les vaiucjueuts fans horrcuiv TRAGÉDIE. IIS Tlattcufc illufion , erreur douce & grofllerc , Vain effort de mon ame , impuilTante lumière , De qui le faux brillant prend droit de m'éblouir , Que eu fçais peu durer & tôt t'cvanouir l Pareille à ces éclairs qui dans le fort des ombres Pouffent un jour qui fuit & rend les nuits plus fom«- brcs. Tu n'as frappé mes yeux d'un moment de clarté , Que pour les abymer dans plus d'obfcurité. Tu charmois trop ma peine , & le Ciel qui s'en fâche Me vend déjà bien cher ce moment de relâche. Je fens mon trifle cœur percé de tous les coups Qui m'ôtent maintenant un frère ou mon époux. Qjand je fonge à leur mort , quoi que je me pro- pofe. Je fonge par quels bras, &non pour quelle caufe,- Et ne vois les vainqueurs en leur illuftre rang , Que pour confidérer aux dépens de quel fang. La maifbn des vaincus touche feule mon ame , En l'une je fuis fille >. en l'autre je fuis femme , Et tiens à toutes deux par de fî forts liens Qu'on ne peut triompher que par la mort des mieny. C'cfi: là donc cette paix que j'ai tant fouhaitéel Trop favorables Dieux, vous m'avez écoutée l Quels foudres lancez-vons quand vous vous irritez. Si njême vos faveurs ont tant de cruautés? Et de quelle façon punilfez-vous l'offenfe , Si vous traitez ainlî les vœux de l'innocence ? 1:6 HORACE, SCENE II. SABINE, JULIE. SABINE, E M cfl-ce fait , Julie , &. que m'apportc2.\'ous V 'Eii-cc la mort d'un fi-erc ou celle d'un époux î Le funcfte fucccs de leurs armes impics De tous les combattarrs a-t-il fait des hofties^ Et m'enviniu riiorrcar que j'aurois des vainqueurs ; Pour tous tant qu'ils écoient demande- t-il mes pleurs ? JULIE. Quoi 1 ce qui s'cfl paffé vous l'ignorez encore ; SABINE. Vous faut-il étonner de ce que je l'ignore. Et ne fçavcz vous pas que de cette raaifon Pour Camille & pour moi l'on fiit une prifon ? Julie , on nous renferme , on a peur de nos larmes ; Sans cela nous ferions au milieu de leurs armes 5 Et par les dcfcfpoirs d'une cliafre amitié lîous aurions des deux camps tiré quelque pitié. JULIE. H n'étoit pas befoin d'un fl tendre fpeélacle , Leur vue à leur combat apporte affez d'obflacle. Si- tôt qu'ils ont paru prêts à fc mefurer , On a dans les deux camps entendu murmurer: A voir de tels amis , despcrfonncs fî proches Venir pour leur patrie aux mortelles approches , L'un s'émeut de pitié , l'autre cfl: faifi d'horreur , L'autre d'un fi grand zèle admire la fureur j Tel porte jufqu'aux Cieux leur vertu fans égale ^ . Et tel l'cfe nommer facrilegc &: brutale. TRAGÉDIE. 117 K^cs divers fentimens n'ont pourtant qu'une voix , Tous accufcnt leurs chefs, tous dctcftent leur choix : Et ne pouvant (buffrir un combat fi barbare , Oa s ccrie , on s'avance , enfin on les fcpare. SABINE. Que je vous dois d'encens , grands Dieux qui m'exau- cez l JULIE. Vous n'êtes pas , Sabine , encore où vous penfez , Vous pouvez cG/érer , vous avez moins à craindre ; Mais il vous rcltc encore aHcz de quoi vous plaindre. En vain d'un fort li triftc on les veut garantir. Ces cruels généreux n'y peuvent confentir. La gloire de ce choix leur eft fi précieufe , Et charme tellement leur arac ambicicufè , ^ Qu'alors qu'on ks déplore ils s'elb'ment heureux ; Et prennent pour alrront la pitié qu'on a d'eux. Le trouble des deux camps fouille leur renommée , Ils combattront plutôt &: Tune 6c l'autre armée 5 Et mourront par les mains qui leur font d'autres loix, Quepas un d'eux renonce aux honneurs d'un tel choix. SABINE. Quoi l dans leur dureté ces cœurs d'acier s'obflinent l JULIE. Oui , mais d'autre côté les deux camps fe mutinent , Etdcurs cris des deux parts poufiés en mcme- temps Demandent la bataille ou d'autres combattans. La préfence des chefs à peine efl: rcrpcélce. Le pouvoir efl: douteux , leur voix mal écoutée 5 Le Roi même s'étonne , & pour dernier effort , Pu: (que chacun , dit- il , s'échauffe en ce àijcord , Co.ifuicons des grands Dieux la majcjié facrée , Ec.'uayjns Ji ce change a leurs homh ag-cc* Quel impie ofera fe prendre à leur -vouloir, Lorf(^u'^,i imfacriji:.c ils nous l'auront fait voiri. îig H O R A C E, II fc tait. Se CCS mots femblent ctrc des charmes > Mcmc aux fîx combattans ils arrachent les armes , Et ce defir dhonncur qui leur ferme les yeux. Tout aveugle qu'il eft rerpcctC encor les Dieux. Leur plus bouillante ardeur cède à l'avis de Tulle, Et foit par déférence ou par un prompt fcrupulc. Dans l'une & l'autre armée on s'en fait une loi , Comme (î toutes deux le connoiffoienc pour Roi. Le refle s'apprendra par la mort des victimes. SABINE, Les Dieux n'avoueront point un combat plein de crimes , Jen efncre beaucoup puiftju'il eil différé s Et je commence à voir ce que j'ai dcfiré. SCENE III. SABINE, CAMILLE, JULIE. M L A B I N E. A faur , que je vous dife une bonne nouvelle, CAMILLE. Je penfc la fçavoir , s'il faut la nommer telle , On l'a dite à mon pcre , & j'étois avec lui 5 Mais je n'en conçois rien qui Hatte mon ennui. Ce délaide nos maux rendra leurs coups plus rudes , Ce n'eft qu'un plus long terme à nos inquiétudes j Et tout l'allégement qu'il en fautefpérer, C'eft de pleurer plus tard ceux qu'il faudra pleurer. SABINE. Xes Dieux n'ont pas en vain infpiré ce tumulte. CAMILLE. Difons plurot , ma focur , qu'en vain on les confultc , Ces mcmeç Dieux à Tulle ont infpiré ce choix ; £: la voix du public n'cil pas toujours leur voix. I TRAGÉDIE. 119 ^s (Jefcendciît bien moins clans de fi bas étages , Que dans l'ame des Rois leurs vivantes images. De qui l'indépendante & faintc autorité Eft un rayon fecret de leur divinité. JULIE. C'efl: vouloir fans raifon vous former des obftacles , Que de chercher leurs voix ailleurs qu'en leurs ora- cles ; Et vous ne vous pouvez figurer tout perdu Sans démentir celui qui vous fut hier rendu. CAMILLE. Vn oracle jamais ne fe laiife comprendre , On l'entend d'autant moins que plus on croit l'en* tendre ; Et loin de s'alfurcr fur un pareil arrêt , Qui n'y voit rien d'obfcur , doit croire que tout l'eft. SABINE. Sur ce qui fait pour nous prenons plus d'affurance 5 Et fouffrons les douceurs d'une jufte efpérance. Quand la faveur du Ciel ouvre à demi Tes bras , Qui ne s'en promet rien , ne la mérite pasj ■ÎI empêche fouvent qu'elle ne fe déploie , Et lorfqu'elle defcend fon refus la renvoie, CAMILLE. Le Ciel agit fans nous en ces événcmens ; Et ne les règle point dcHus nos fentimens. JULIE. Il ne vous a fait peur que pour vous faire grâce. Adieu : je vais fçavoir comme enfin tout fe pafl'c : Modérez vos frayeurs , j'efpcre a mon retour Ne vous entretenir que de propos d'amour 5 Er que nous n'emploierons la fin de la journée Qu'aux doux préparatifs d un heureux hyménée, SABINE. .J'ofe encor refpérer. '' CAMILLE. Mui je ii'cfpcre rien. 110 HORACE, JULIE. L'effet Yous fera voir que nous en jugeons bieiK !Jd!^=^^^-.^:^ =3 =: Ji SCENE VI. s A B I N E , C A M I L L E. SABINE. P Armi nos (ît'plaifirs fouffrez que je vous blâme. Je ne puis approuver tant de trouble en votre ame ; Que fcriez-vous, ma fœur , au point où je me vois , Si vous aviez à craindre autant que je le dois. Et û vous attendiez de leurs armes fatales Des maux pareils aux miens & des pertes égales î CAMILLE. Parlez plus fainement de vos maux & des miens. Chacun voit ceux d'autrui d'un autre œil que les fîens ; Mais à bien regarder ceux où le Ciel me plonge , Les vôrrcs auprès d'eux vous fembleront un fonge. La feule mort d'Horace c(ï à craindre pour vous > Des frères ne font rien à l'cgal d'un cpoux , L'hymen qui nous attache en une autre famille Nous détache de celle où l'on a vécu fille ; On voi'L dun œil divers des nœuds Ci différens , Et pour fuivre un mari l'on quitte fcs parcns. Mais fi près d'un hymen l'amant que donne un pcrc Nous cft moins qu'un époux , S: non pas moins qu'un frère ', Nos fentimcns entre eux demeurent fufpendus , Kotrc choix impolfible , Si nos vœux confondus. Ainfi ,marœur,du moins vous avez dans vos plainte; Où poncr vof fouhaits Ôc terminer vos craintes; Mais i TRAGÉDIE. ni Maîs'ïî le Ciel s obftine à aous perfccuter , Pour moi j'ai tout à craindre , Se rien à rouliaitcr. SABINE. Quand il faut cjue l'un meure , & par les mains de l'autre , C'ert: un raifonnement bien mauvais que le vôtre. Quoique ce fuient, ma fccur, des nœuds bien diffc-i rens , C'cft fans les oublier qu'on quitte fes parcns 5 L'hymen n'efface point ces profonds carailercs à Pour aimer un mari l'on ne hait pas fes frères y Lu nature en tout temps garde fes premiers droits ,' Aux dépens de leur vie on ne fait point de choix ; Audl-bicn qu'un époux ils font d'autres nous-mêmes Et tous maux font pareils alors qu'ils font extrêmes. Mais l'amant qui vous charme & pour qui vous biûlcz , Ne vous cfl après tout que ce que vous voulez j Un£ mauvaifc humeur , un peu de jaloude , En fait ail'ez fouvent paffcr la fantaifîe. Ce que peut le caprice , ofez-le par raifon , Et lairtcz votre fang hors de comparaifon. C'ert crime qu oppofer des liens volontaires A ceux que la naiffance a rendus nécelfaires. Si donc le Ciel s'obftine à nous perfécutcr. Seule j'ai tout à craindre , & rien à fouhaiter^ Mais pour vous , le devoir vous donne dans \'o$- plaintes Où porter vos fouhaits & terminer vos craintes, CAMILLE. Je le vois bien , ma fœur , vous n'aimâtes jamais , Vous ne connoidcz point ni l'amour ni (es traits. On peut lui réfifter quand il commence à naître. Mais non pas le bannir quand il s'eft rendu maître^, Et que l'aveu d'un père engageant notre foi , A fait de ce tyraa un légitime Roi, Tome i^ £. fi3t HORACE, îl cnrrc avec douceur , mais il rcgnc pir force 5 "Ez cjuand l'amc une fois a goûcc Ion amorce , Vouloir ne plus aimer , c'cll ce qu'elle ne pcuc , Puifqu' elle ne peut plus vouloir que ce qu'il vcic , Ses chaînes font pour nous auili fortes que belles. TSi^^U^^^^iki^^X :5> SCENE V. Le TÎeil HORACE , SABINE , CAMILLE. le vieil HORACE. J E viens vous apporter de fàcheufes nouvelles,' Mes filles j mais en vain je voudrois vous celer Ce qu'on ne vous fçauroit long-temps difUmuIcr: .Vos frères font aux mains, les Dieux ainfi l'ordonnent. SABINE. 7c veux bien l'avouer , ces nouvelles m'ctonnent ; Et je m'imaginois dans la Divinité î^caucoup moins d'injufticc & bien plus de bonté. Ne nous confolez point j contre tant d'infortune la pitié parle en vain, Ja raifon importune 3 "Nous avons en nos mains la fin de nos douleurs 5 £t qui veut bien mourir peut braver les malheurs, Kous pourrions aiftment faire en votre préfencc De notre défefpoir une fauffe confiance ; JMais quand on peut fans honte être fans fermeté, X'affedcr au-dchors c'cft une lâcheté: L'ufage d'un tel art nous 1-e lailTons aux hommes, Et ne voulons palTcr que pour ce que nous fommcs» Kous ne demandons point qu'un courage fi fort j S'abaifle à notre exemple à fe plaindre du fort : ' ïlccevcz fans frémir ces mortelles alarmes , ; Voyez couler nos plcuis fans y mêler vos larmes j . Enfin pour toute grâce en de tels dépla'firs , Cardez votre conAaacc & fouiFrez nos foupirs. , Tragédie. h-, Le vieil HORACE. Coin de blâmer les pleurs que je vouî vois répandre , Je crois faire beaucoup de m'en pouvoir défendre j Ec cédcrois peuc-étre à de fî rudes coups , Si je prenois ici même intérêt que vous. Non Qu'AIbe par Ton choix m'aie fait haïr vos frct'es," Tous trois me font encor des per{bnnes bien chères ^ Mais enfin l'amitié n'eft pas de même rang , Et n'a point les effets de l'amour ni du fang. Je ne fens point pour eux la douleur qui tourmente Sabine comme fœur , Camille comme amante j Je puis les regarder comme nos ennemis. Et donne fans regret mes fouliaics à mes His. Ils font grâces aux Dieux, dignes de leur patrie. Aucun éconnemcnt n'a leur gloire flétrie ; Et j'ai vu leur honneur croître de la moitié , Quand ils ont des deux camps iQcdCé la. pitié. Si par quelque fûiblcife ils l'avoicnt mendiée , Si leur haute vertu ne l'eût répudiée , Ma main bientôt fur eux m'eût venge hautemcnr De l'affront que m'eût fait ce mol confentemcnt.. Mais lorfqu'en dépit d'eux on en a voulu d'autres ,. Je ne le celc point , j'ai joint mes vœux aux vôtres ; Si le Ciel pitoyable eût écouté ma voix , Albe fcroit réduite à faire un autre choix; Nous pourrions voir tantôt triompher les Horaces Sans voir leurs bras fouillés du fang des Curiaces j Et de l'événement d'un combat plus humain 1 Dcperidroit maintenant l'honneur du nom Romain, La prudence des Dieux autrement en difpofe , Sur leur ordre éternel mon efprit fe repofc. Il s'arme en ce bcfoin de générofîté , Et du bonheur public fait fa félicité. Tâchez d'en faire autant pour foulsger vos peines. Et fongez toutes deux que vous ctcs Romaines; Vous l'êtes devenue & vous l'êtes en;or j Va ù glorieux titre efl un digue tréfor. f ii - 514 HORACE, Un jour , un jour viendra c]uc par toute la terre Rome Ce fera craindre à l'égal du tonnerre ; te rjue tout l'univers tremblant délions fes loix Ce grand nom deviendra l'ambition des Rois : Des Dieux à uotrc Enéc ont promis cette gloire, ■g. . ■— -^^^r»,^;^^ .^___> SCENE V I. Le vieil HORACE, SABINE, C A M I L L E , J U L I E. jsr- Le vieil HORACE. JL\ Ous venez- vous , Jjlie , apprendre la vidoirc'i JULIE. Mais plutôt du combat les funefiics effets. Kome eft fujctte d'Albc , & vos fils font défaits , Des trois les deux font morts , fon époux feul you5 refte. Le vieil HORACE. K) d'un triftc combat effet vraiment funcfle l Home cft fujctte d'Albc , ^ pour l'en garentir II n'a pas employé juiqu'au dernier foupir l Non , non , cela n'til point , on vous trompe , Julie , Kome n'eft: point fujette , ou mou iîls e(l fans vie , Je connais mieux mon fang , il fçaitmieux fon devoir* JULIE. Mille de nos remparts comme moi l'ont pu voir. 31 s'cft fait admirer tant cju'ont duré fcs frères j Mais cuand il s'cft vu feul contre trois a Ivcrfaires , Pict d'être enfermé d'eux , fa fuite l'a fauve. Le vieil HORACE. tt nos foldats trahis ne l'ont point achevé? Dans le'ois laDg^ ^ ^^ lâche ils ont dpnnji rçtrai;ç } TRAGÉDIE. nj JULIE. Je n'ai rien vouîu voir après cette défaite» CAMILLE. O mes frères 1 Le vieil HORACE. Tout beau , ne les pleurez pas tous , Deux jouifTent d'un fort donc leur père ell jaloux. Que des plus nobles fleurs leur tombe foie couverte, La gloi:c de leur mort m'a payé de leur perte : Ce bonheur a fuivi leur courage invaincu , Qu'ils ont vu Rome libre autant qu'ils ont vécu. Et ne l'auront point vue obéir qu'à Ton Prince , Ni d'un état voifin devenir la Province. Pleurez l'autre, pleurez l'irréparable affront Que fa fuite honteufc imprime à notre front 5 Pleurez le déshonneur de toute notre race. Et l'opprobre éternel qu'il lailTe au nom d'Horace, JULIE. Que voiiliei-vous qu'il fît contre trois 3 Le vieU HORACE-. Qu'il mourut ^ O a qu'un beau défefpoir alors le fecourûr. N'eût-il que d'un moment reculé fa défaite ,- Rome eût été du moins un peu plus tard fujette $ II eût avec honneur iaiilé mes cheveui gris , Et c'étoit de fa vie un aifez digne prix ; Il eft de tout fon fang comptable à fa patrie , Chaque goutte épargnée a fa gloire flétrie; Chaque inftant de fa vie , après ce lâche tour , Met d'autant plus ma honte avec la fienne au jour. J'en romprai bien le cours , & ma jufte colère Contre un indigne fils ufant des droits d'un perc , Sçaura bien faire voir dans fa punition , L'éclatant défaveu d'un telle aclion. SABINE. Ecoutez un peu moins ces ardeurs génércufes , Et ne nous rendez point tout-à-fait malhcurcufes, F.ij iiS HORACE, Le vieil HORACE. Snbine , votre cœur fe confolc aifcrocnt ; Nos malheurs jiifcju ici vous touchent foiblcmcnt J Vous n'avez point cncor de part à nos miferes : 3-c Ciel vous a fauve votre époux &: vos frères. Si nous Tommes fujcts , c'cll de votre pays , Vos frères font vainqueurs quand nous fommcs trahÎ53 Xf voyant Je haut point où leur gloire fc monte , Vous regardez fort peu ce qui nous vient de honte 5 Àrlais votre trop d'amour pour cet infâme époux Vous donnera bientôt à plaindre comme à nous. Vos pleurs en fa faveur font de foibles défenfcs. J'attefte des grands Dieux les fuprêmcs puifl'ancc* Qu'avant ce jour fini , ces mains, ces propres mains Laveront dans fon fang la honte des Romains. ( Le xieil Horace fort, ) SABINE. Suivons-le promptcment , la colère l'emporre. Pieux 1 verrons-nous toujours des malheurs de la forte ? Kous faudra-t-il toujours en craindre de plus grancfs^^ Ec toujours redouter la main de nos parcns \ Fin du troificme Acie^ ^^ TRAGÉDIE. T27 ACTE IV. SCENE PREMIERE; Le vieil HO RACE, CAMILLE, Le vieil HORACE. N. E me pnrlcz jamais en faveur d'un infâme^ Qu'il me fuie à l'égal des frères de fa femme ; Pour confcrver un fang qu'il tient (î précieux , Il n'a rien fait encor s'il n'évite mes yeux. Sabine y peut mettre ordre , ou de rechef j'artcftc. Le fouverain pouvoir de la troupe célefte. . . . C A M I L L E. Ah l mon père , prenez un plus doux {entimcnr," Vous verrez Rome même en ufcr autrement ; Et de quelque malheur que le Ciel l'ait comblée j, Excufer la vertu fous le nombre accablée» Le vieil HORACE. Le jugement de Rome eft peu pour mon regar(î\;, Camille , je fuis père , & j'ai mes droits à part. Je fçais trop comme agit la vertu véritable : C'clt fans en triompher que le nombre l'accable ,- Et fa maie vigueur toujours en même point. Succombe fous la force & ne lui cède point. Taifcz-vous, Se fcachons ce cpc nous veut Valerc# F W ixS HORACE, SCENE IL Le vieil HORACE, VALERE^ CAMILLE. E V A L E R E, Nvoyé par le Roi pour confolcr un pcre , Lt pour lu: icmoi^ner .... Le vieil HORACE. N'en prenez nucun foin,,; C'eft un (x3ulagement donc je n'ai pas bcfoin 3 Er j'aime mieux voir morts que couverts d'infamie Ceux que vient de m'ôccr une main ennemie. Tous deux pour leur pays font morts en gens d'iion- ncur , Il me Tuffir. V A L E R E. Mais l'autre efl: un rare bonheur ^ De tous les trois chez vous il doit tenir la place. Le xieil HORACE. Que n'a-t-on vu périr en lui le nom d'Horace l V A L E R E. Seul vous le maltraitez après ce quil n fait. Le vieil HORACE. C'cfl: à moi Icul aufTi de punir Ton forfait, V A L E R E. Quel forfait trouvez-vous en fa bonne conduite ; Le vieil HORACE. Quel éclat de vertu trouvez-vous en fa fuite î V A L E R E. La fuite cfl: ^lorieufe en cette occafîon. \e vieil HORACE. Vous redoublez ma honte & ma confufion. Certe--, l'exemple efl: rare & digne de mémoire , De trouver dans la fuite un chemin à la gloire. TRAGÉDIE. 119 V A L E R E. Quelle confufîon & quelle honre à vous D'avoir produit un ûls qai nous confcrve tons , Qui fait triamphcr Rorae & lui î^agne un Empire "i A ijuels plus grands honneurs faut -il qu'ua père afrire î Le vieil HORACE. Quels honneurs , quel triomphe , & quel Empire enfin > Lorfqu Albe fous lès loix range notre deftin Y V A L E R E, Que parlez-vous ici d'Albe & de'fa vicloire ? Ignorez-vous encor la moitié de l'hirtoire } Le vidl HORACE. Je fçais que par fa fuite il a trahi l'Etat, V A L £ R E. Oiii , s'il eût en fjyant terminé le combat : Mais on a bientôt vu qu'il ne fuyoit qu'en homme Qui fçavoit ménager l'avantage de Rome. Le vieil HORACE. Quoi 3 Rome donc triomphe 1 V A L E R e: Apprenez , apprenez La valeur de ce fils qu'à tort vous condamnez. Reflé feul contre trois , mais en cette aventure Tous trois étant blc/Tés & lui feul fans blelTure, Trop foible poui- eux tous, trop fort pour chacua d'eux , Il fçait bien fe tirer d'un pas fî hafardeux , Il fuit pour mieux combattre , & cette prompte ruie- Divile adroitement trois frères qu'elle abufe. Chacun le fuit d'un pas ou plus ou moins prefle » Selon qu'il fe rencontre ou plus ou moins blelTéi Leur ardeur eft égale à pourfaivre fa fuite 5 i^iais ivurs coups inégaux fépareiit leur pourfukD»^ 1^0 HORACE; Horace les voynnt l'un de l'autre écartés , Se retourne & déjà les croit dcmi-domtés ; 11 attend le premier , & c'ctoit votre gendre. L'autic tout indigné qu'il ait ofé l'attendre , En vain en l'attaquant fait paroître un grand cauf^ Le fang qu'il a perdu ralentit fa vigueur. Aibe à fon tour commence à craindre un Ibrt coù- traire , Elle crie au fécond qu'il fecoure fon frerc, II fe hâte &: s'cpuife en efforts fuperflus , 11 trouve en le joignant que fon frère n'eft plus- CAMILLE. Hélas l V A L E R E. Tout hors d'haleine il prend pourtant fa place ^ Et redouble bientôt la victoire d'Horace ^ Son courage fans force eft un débile appui , Voulant venger fon frère , il tombe auprès de lui : L'air raifonne des cris qu'au Ciel chacun envoie , Albc en jette d'angoiffe & les Romains de joie. Comme notre héros fe voit prêt d'achever, C'cll: peu pour lui de vaincre , il veut encor braver ; J'en viens d'immoler deux aux Mânes de mes frères ^ Home aura le dernier de mes trois adverfaires , C'eji à fes intérêts que je vais l'immoler , Dit- il ; & tout d'un temps on le voit y voler. La victoire cntrc eux d'eux n'étoit pas incertaine^, L'Albain percé de coups ne (e traînoit qu'à peine ^ Et comme une vidime aux marches de l'autel ^ Il fembloit préfeuter fa gorge au coup mortel ; AulTi le reçoit-il peu s'en faut fans défenfe , Er fon trépas de Rome établit la puiffance. Le vieil HORACE. O ïTKyn fîls l O ma joie 1 O l'honneur de nos jours î O d'un Etat penchant l'inefpéré fccours l "Vertu di<7ne de Rome , &: fang digne d'Horace ^ A;^pui de ton pays , & gloire de ta lactl TRAGÉDIE. 131 Quand poarrai-je ctoalf^ir dans tes embrafTemens L'erreur dont j'ai forme de Ci faux fentimens ? Quand pourra mon amour baigner avec tendrefîc Ton front victorieux de larmes d'alégreife } V A L E R E. Vos carcrfcs bientôt pourront fe déployer , Le Roi dans un moment vous le va renvoyer ^ Et remet à demain !a pompe qu'il pre'parc D'un facrifîce aux Dieux pour un bonheur Ci larir. Aujourd'hui feulement on s'acquitte vers eux Par des chants de vidoirc & par de fimples vœux ^ C'efl: où le Roi le mené , & tandis il m'envoie Faire office vers vous de douleur & de joie. Mais cet office encor n'cfl pas afficz pour lui , I! y viendra lui-même & peut-être aujourd'hui 5. Il croit mal reconnoître une vertu fi pure , Si de fa propre bouche il ne vous en affare ; S'il ne vous dit chez vous combien vous doit l'Etat; Le vieil HORACE. De tels rcmerciemens ont pour moi trop d éclat ^ Et je me tiens déjà trop paye par les vôtres Du fer vice d'un fils & du faug des deux autrcs»- V A L E R E. Il ne fçait ce que c'cft d'honorer à demi; Et fon fccptre arraché des mains de l'ennemi Fait qu'il tient cet honneur qu'il lui plaît de vous faire Au-dclTous du mérite & du fils & du perc. Je vais lui témoigner quels nobles fentimens La vertu vous infpire en tous vos mouvcmens , Et combien vous montrez d'nrdeur pour (on fcrvics» Le mil HORACE. le vous devrai beaucoup pour un fi bon oâice. ^v; i3i HORACE; SCENE III. Le vieil HORACE, CAMILLE; tt vieil HORACE. M Afîllcjiln'cdplus temps de répandre des pleurs^ Il lied mal d'en vcrfer où Ton voit tant d'honneurs 5 On pJeurc injuftement des pertes domcftiques , Quand on en voit fortii des vi(5loires piiblic|ues. Rome triomphe d'Albc , & c'eft aflezpour nous , Tous nos maux à ce prix doivent nous être dour. En la niortd'un amant vous ne perdez qu'un homnie> Dont la perte cft aifée à réparer dans Rome : Après cette vidloire il n'efl: point de Romain Qui ne foit glorieux de vous donner la maiii. 11 me faut à Sabine en porter la nouvelle , Ce coup fera fans doute alTez rude pour elle j Et fcs trois frères morts par la main d'un cpouJC Luidonucronc des pleurs bien plus juftes qaà vous ^ Mais j'cfpere aifcment en dillîpcr l'orage , Et qu'un peu de prudence aidant fon grand courage j îera bientôt régner fur un Ç\ noble cœur Le généreux amour qu'elle doit au vainqueur. Cependant étouffez cette lâche triflc/fe. Recevez-le, s'il vient , avec moins de foiblefTe , ïaitcs-vous voir fa foeur , & qu'en un même flanc Le Ciel vous a tous deux formés d'un même fang. H^ TRAGÉDIE. 133 ^^^ , , >. O SCENE IV. CAMILLE fcaU. Ui , je lui ferai voir par d'infaillibles marque? Qu'un véritable amour brave la main des Parques ^ Et ne prend point de loix de ces cruels tyrans Qu'un aftre injurieux nous donne pour parens. Tu blâmes ma douleur , tu l'oies nomn:cr lâche 5 Je l'aime d'autant plus que plus elle te fâche , Impiroyable pcrcj & par un jufle ciïbrt Je la veux rendre c^ale aux ris:ueurs de mon fort. En vit-on jamais un dont les rudes traverfes PrilTent en moins de rien tant de faces diverfes , Qui fût doux tant de fois & tant de fois cruel , Et portât tant de coups avant le coup mortel î Vit-on jam.aij une amc en un jour plus atteinte De joie &: de douleur , d'efpérance & de crainte ;, Aflervie en efclave à plus d'événemens , Et le piteux jouet de plus de changemens ? Un oracle m'aifure , un fon-çrc me travaille, La paix calme l'effroi que me fait la bataille , Mon hymen /c prépare j & prefqu'en un moment Pour combattre mon frerc on choifît mon aman?. Ce choix me défefpere , & tous le défavouent, La partie efl: rompue , & les Dieux la renouent : Rome femble vaincue , & feul des trois Albains Curiace en mon fang n'a point trempé Tes mains, O Dieux l fentois-je alors des douleurs trop légères Pour le malheur de Rome & la mort de deux frères 7 Et me fiattois-je trop , quand je croyois pouvoir t'aimer encor fans crime & nourrir quelque efpoir t Sa mort m'en punit bien , & la façon cruelle Dont mou a;ne éperdue en reçoit la nouvelle > T34 HORACE, Son rival me l'apprcni , & faifantà mes ycuï D'un (î trille lucccs le récit odieux , n porte fur le front une alcgrefi'e ouverte Que le bonheur public fait bien moins que ma perte ; Et batilTauc en l'air fur le malheur d'autrui , Aufli-bien qucmon frère il triomphe de lui. Mais ce n'cil rien encore au prix de ce qui reftc > On demande ma joie en un jour fi funefte , II me faut applaudir aux exploits du vainqueur , Et baifer une main qui me perce le cœur. En un fujet de pleurs fi grand , fi légitime , Se plaindre eft une honte , & foupircr un crime : Leur brutale vertu veut qu'on s'e.4ime heureux 5 Et Cl l'on n'cft barbare , on n'cft point généreux. Dégénérons , mon cœur , d'un fi vertueux perc , Soyons indigne fœur d'un fi généreux frcrcj C'eit gloire de pafTcr pour un cœur abattu Quand la brutalité fait la haute vertu. Eclate2 , mes douleurs ; à quoi bon vous contraindre } Qjand on a tout perdu que fçauroi: on plus craindre } Pour ce cruel vainqueur n'ayez point de rcfpedt , Loin d'éviter Cqs yeux croifTez à Ton afped ,, Otfcnfez fa vitfloire , irritez fa colère j Et prenez , s'il fc peut , plaifir à lui déplaire. Il vient, préparons-nous à montrer conftaramcnt Ce que doit une amajite à la mort d'un amant. ^ TRAGÉDIE. 135 ^ ■ 11^-»^^=:^ SCENE V. HORACE, CAMILLE, PROCULE. ProcuU porte en fa main Us trois épées des Curîaces» HORACE. M A focur , voici le bras qui venge nos deux frères ; Le bras qui rompe le cours de nos deftins contraires ^ Qui nous rend maures d'Albe 5 enfin voici le bras Qui feul fait aujourd'hui le fort de deux Etats. "Vois CCS marques d'honneur, ces témoins de ma gloire.. Et rends ce que tu dois à l'iieur de ma vicloire, CAMILLE. Recevez donc mes pleurs , c'ell; ce que je lui dois. HORACE. Rome n'en veut point voir après de tels exploits j E: nos deux frères morts dans le malheur des armes Sont trop payés de fang pour exiger des larmes. Quand la perte eft vengée , on n'a plus rien perdu. CAMILLE. Puifqa'ils font fatisfaits par le fang cpandu , Je cefferai pour eux de paroître affligée , Et j'oublierai leur mort que vous avez vengée. Mais qui me vengera de celle d'un amant , Pour me faire oublier fa perte en un moment! HORACE. Que dis-tu, malheureufe? CAMILLE. O mon cher Curiacel HORACE. O d'une indigne fccur infuppor table audace! 136 H O R A C E, D un ennemi public dont je reviens vainqueur Le nom cfl dans ta bouche & l'amour dans toft- cœur l Ton ardeur crimiiïcilc a la vengeance afpire î Ta bouche la demande & ton ca-ur la rcfpirc l Suis moins ta. paflion , règle mieux tes dcfîrs ,-. Ne me fais plus rougir d'entendre tes foupirs : Tes flammes déformais doivent être ctoufFces , Bannis-les de ton amc Se fonge à mes trophées , Qu'ils foient dorénavant ton unique entretien, CAMILLE. Donne-moi donc , barbare , un cœur comme le tien i Et fi tu veux enfin que je t'ouvre mon ame, Kends-moi mon Curiace , ou laiiTe agir ma flamme. Ma joie &c mes douleurs dépcndoientde fon fort , Je i'adorois vivant & je le pleure mort. Ne cherche plus ta fœur où tu l'avois laifTée y Tu ne revois en moi qu'une amante ofFenfée , Qui comme une furie attachée à tes pas- Te veut inceffamment reprocher (on trépas. Tigre ahéré de fang, qui me défends les larmes, Qd veux que dans fa mort je trouve encor des char* mes , Et qoie jufques au Ciel élevant tes exploits ^ Moi-même je le tue une féconde fois. PuilTent tant de malheurs accompagner ta vie , Que tu tombes au point de me porter envie , Et toi bientôt fouUer par quelque lâcheté Cette gloire il chère à ta brutalité» HORACE. O Ciel , qui vit jamais une pareille rage ! Crois-tu donc que je fois iiifenfible à l'outrage l'-. Que je fouffre en mon fang ce mortel déshonneur ? A.mc , aime cette mort qui fait notre bonheur. Et préfère du moins au fouvenlr d'un homme Ce <^uc doit ta naiiTauce aux intérêts de Rome,.. TRAGÉDIE. ni CAMILLE. Xômc , Tunique objet de mon rcficntiment l Rome , à qui vient ton bras d'immoler mon amant « Rome qui t'a vu naître & que ton coeur adore 1 Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore l Puiffent tous Tes voifins cnfcmbie conjurés Saper Tes fondeniens encor mal allures 5 Et fi ce n'eft alTez de toute l'Italie, Que rOrient contre eile à l'Occident s'allie , Que cent peuples unis des bouts de l'univers Paffenc pour la détruire & les monts & les mers ^ Qu'elle-m.éme fur foi rcnvcrfc Tes murailles. Et de fcs propres mains déchire fcs entrailles y- Que le courroux du Ciel allumé par mes vœux Falfe pleuvoir (ur elle un déluge de feax. Pi)ilîai-je de mes yeux y voir tomber ce foudre , Voir Tes maifons en cendre & tes lauriers en poudre j Voir le dernier Romain à (on dernier foupir , Moi feule en être caufc & mourir de plaifir t HORACE, mettant t'épée a la main , 6* /Jawr- fuivant fa foeur qui s'enfuit. C'cfl: trop , ma pafilon à la raifon fait place > Va dedans les ej^fers plaindre ton Curiace. C A iM I L L E bUJfée derricrc U tréatre* Ah traître l HORACE revenant fur U théâtre. Ainfî reçoive un châtiment foudairj Quiconque ofe pleurer un ennemi Romaui. !3S HORACE, At "^ i'I^ifej;^ SCENE VI. HORACE, PROCULE, P R O C U L E. V^ Uc venez-vous de faire î HORACE. Un ad:c (Je juftice^ Un femblable forfait veut un pareil fupplicc, P R O C U L E. Vous deviez la traiter avec moins de rigueur. HORACE. Ne me dis point qu'elle eft & mon fang & ma focur> Mon perc ne peut plus l'avouer pour fa fille. Qui maudit fon pays renonce à fa famille 5 Des noms fl pleins d'amour ne lui font plus permis , De fcs plus chers parcns il fait fcs ennemis. Le fang mcmc les arme en haine de fon crime , La plus prompte vengeance en cfl: plus légitime J Et ce fouhait impie , encore qu'impuilîant , Eft un monftre qu'il faut étouffer en naifîant. .^i.-S'^'^-«i :=»-:^fbf^r= , a»>. SCENE VII. HORACE, SABINE, PROCULE. SABINE. x\. Quoi s'arrcre ici ton illuftre colère ? ViCiis voir m.ourir ta focur dans les bras de ton prr: TRAGÉDIE. 139 Viens repaîrrc tes yeux d'un fpedacle fi doux j Ou fi tu n'es point las de ces généreux coups , Immole au cher pays des vertueux Horaces Ce refte malheureux du fang des Curiaces > Si prodigue du tien , n'épargne pas le leur. Joins Sabine à Camille & ta femme à ta fœur. Nos crimes font pareils ainfi que nos miferes , Je foupirc comme elle &c déplore mes frères , Plus coupable en ce point contre tes dures loix , Qu'elle n'en pleuroit qu'un , & que j'en pleure troisj Qu'après fon châtiment ma faute continue. HORACE. Sechc Ks pleurs , Sabine , ou les cache à ma vue j^ Rends-toi digne du nom de ma chafte moitié ^ Et ne m'accable point d'une indigne pitié. Si rabfolu pouvoir d'une pudique flamme N-'nous laifTe à tous deux qu'un pcnfer & qu'une amt^ C'eft à toi d'élever tes fentimcns aux miens , Non à moi de defcendre à la honte des tiens. Je t'aime Se je connois la douleur qui te prelTe^ Embralfe ma vertu pour vaincre ta foiblefie , Participe à ma gloire au lieu de la fouiller , Tâche à t'en revêtir non à m'en dépouiller. Es-tu de mon honneur fi mortelle ennemie. Que je te piaife mieux couvert d'une infamie? Sois plus femme que fœur , & te réglant fur moi Eais-toi de mon exemple une immuable loi. SABINE. Cherche pour t'imiter des âmes plus parfaites. Je ne t'impute point les pertes que j'ai faites , J eu ai les fentiraens que je dois en avoir ; Et je m'en prends au fort plutôt qu'à ton devoir; Mais enfin je renonce à la vertu Romaine, Si pour la pofleder je dois être inhumaine , Et ne puis voir en moi la femme du vainqueur^ Sans y voir des vaincus la déplorable foeur. 140 H O R A C E , Prenons part en public aux vidoircs publiques. ,V Pleurons dans la maifon nos malheurs domcrtioucs 5. Ht ne regardons point des biens communs à tous , Quand nous voyons des mots qui ne font cjuc pour nous. Pourquoi veux-tu , cruel , agir d'une autre fortC ? LailTe en entrant ici rcs lauriers à la porte , Mcle tes pleins aux miens. Quoi ? ces lâches difccn:irs- N'armcnt point ta vertu contre m.es triites jours ; Mon crime redoublé n'émeut point ta colère } Que Camille eft heureufe 1 elle a pu te déplaire, Elle a reçu de toi ce qu'elle a prétendu , Et recouvre la-bas tout ce qu'elle a perdu. Cher époux , cher auteur du tourment quimepre/Tc^j Ecoute la pitié Ci ta coleie cclTe, Exerce l'une ou l'autte après de tels malheurs A punir ma foiblelTc , ou finir mes douleurs. Je demande la mort pour grâce ou pour ùipplicc Qu'elk foit un effet d'amour ou de juftice 3 N'importe., tous ces traits n'auront rien que de doux> Si je les vois partir de la main d'un époux. HORACE. Quelle inJLifticc aux Dieux d'aLandonner aux fcmmcî Un empire fi grand fur les plus belles âmes , Et de fe plaire à voir de fi foibles vainqueurs Hégner fi puiffamment fur les plus nobles cœurs! A quel point ma vertu devient-elle réduite l Rien ne la fçauroit plus garantir que la fuite. Adieu , ne me fuis point , ou retiens tes foupirs. S A B I N E/eu/e. O colère l 6 pitié fourdes à mes dcfirs 1 Vous négligez mon crime , & ma douleur vous lafTc, Et je n'obtiens de vous ni fupplicc ni grâce. Allons-y par nos pleurs faire encore un effort. Et n'employons après que nous*à notre mort. Ein du quairieme A^c» . TRAGÉDIE. Mî ACTE V. SCENE PREMIERE. Le vieil HORACE, HORACE. Le vieil HORACE. R Etirons nos regards de cet objet funcfte Pour -admirer ici le jagcmcnc célcfte. Quand la gloire nous enfle , il fçait bien comme il faut Confondre notre orgueil qui s'cicve trop haut 5 Nos plaifirs les plus doux ne vont point fans rriftslfc^ Il mclc à nos vertus des marques de foiblefTc 3 Et rarement accorde à notre ambition L'entier & pur honneur d'une bonne action. 3e ne plains point Camille , elle étoit criminelle. Je me tiens plus à plaindre & je te plains plus qu'elle 5 Moi , d'avoir rais au jour un cœur fî peu Romain, Toi , d'avoir par fa mort déshonoré ta main. Je ne la trouve point injufte ni trop prormpte , Mais tu pouvois , mon fils , t'en épargner la honte 5 Son crime , quoiqu'énorme & digne du trépas , Etoit mieux impuni que puni par ton bras. HORACE. DrfporeT. de mon fang , les loii vous en font maître , J'ai cru devoir le fîen aux lieux qui m'ont vu naître ; Si dans vos fentimens mon zele eli criminel , S'il m'en faut recevoir un reproche éternel , Si ma main en devient honteufe & profanée. Vous .pouvez d'un feul mot trancher ma dclliiiée. Reprenez tout ce fang de qui ma iâihi^^té I4Î HORACE, A fi brutalement fouillé la pureté j Ma main n'a pu fouffiir de crime en votre rsce," Ne fouifrez, point de tache en la maifon d'Horace, C'cft en ces adions dont l'honneur eft blelfc Qu'un perc tel que vous Ce montre intérefTé 3 Son amour doit fe taire où toute excufe eft nulle ,' Lui-même il y prend part lorfqu'il les diflimule j Et de fa propre gloire il fait trop peu de cas , Quand il ne punit point ce qu^il n'approuve pas. Le vieil HORACE. II n'ufe pas toujours d'une rigueur extrême , Il épargne fes fils bien fouvent pour foi-même. Sa vieiilefle fur eux aime à fe fourenir , Et ne les punit point de peur de fe punir. Je te vois d'un autre œil que tu ne te regarde'? 5 Je fçais .... Mais le Roi vient , je vois entrer fes Gardes. SCENE IL TULLE , VALERE , Le vieil HORACE, HORACE, Troupe dé Gardes. A> Le vieil HORACE. .H 1 Sire, un tel honneur a trop d'excès pour moi , Ce n'efl: point en ce lieu que je dois voir mon Roi^ Permettez qu'à genoux. . . . TULLE. ? Non , Icvcz-vous , mon père 3 Je fais ce qu en ma place un grand Prince doit faire» TRAGÉDIE. I4Î XTn (î rare fervice & fi fort important Veut rhonneurJe plus rare &: le plus éclatant : ( montrant Valcrc. ) Vous en aviez déjà fa parole pour gage , Je ne l'ai pas voulu diftércr davantage. J'ai fçu par fon rapport , & je n'en doutois pas ,' Comme de vos deux fils vous portez le trépas j Et que déjà votre ame étant trop réfolue , Ma confolation vous feroit fuperflue ; Mais je viens de fçavoir quel étrange malheur D'un fils vidorieux a fuivi la valeur. Et que fon trop d'amour pour la caufe publique Par fes mains à fon père ôce une fille unique. Ce coup eft un peu rude à l'efpri: le plus fort , Et je doute comment vous portez cette mort, U vieil HORACE. Sire , avec déplaifir , mais avec patience» TULLE. Ceft l'effet vertueux de votre expérience. Beaucoup par un long âge ont appris comme vous Que le malheur fuccede au bonheur le plus doux j Peu fçavent comme vous s'appliquer ce remède , Et dans leur intérêt toute leur vertu cède. Si vous pouvez trouver dans ma compaflion Quelque foulagemcnt pour votre affliâ:ion , Aiiifi que votre mal fçachez qu'elle cft extrême , Et que je vous en plains autant que je vous aime. V A L E R E. Sire , puifjue le Ciel entre les mnins des Rois Dépofe fa juftice &. la force des loix , Et que l'Etat demande aux Princes légitimes Des prix pour les vertus , des peines pour les crimes. Souffrez qu'un bon fujet vous falfe fouvenir Que vous plaignez beaucoup ce qu'il vous faut punir , Souffrez. . , 144 HORACE, Le vieil HORACE. Quoi ? Qu'on envoie un vainqueur au TuppIlce^J TULLE. Permettez, qu'il achevé , & je ferai jufticc J'aime à la rendre à tous , à toute heure , eu tout lieu , C'cft par elle qu'un Roi fe fait un demi-Dieu; L t c'cft dont je vous plains qu'après un tel fcrvicC On puille contre lui me demander jufticc, V A L E R E. Soufïez donc , ô grand Roi , le plus jufte des Rois > Que tous les gens de bien vous parlent par ma voix > Noa que nos cœurs jaloux de Tes honneurs s'irri- tent , S'il en reçoit beaucoup , fcs hauts faits le méritent. Ajoutez- y plutôt que d'en diminuer. Nous fommcs tous encor prcts d'y contribuer. Mais puifque d'un tel crime il s'eit montré capable , Qu'il triomphe en vainqueur & périlîe en coupable i Arrêtez fa fureur & fauvcz de fes mains , Si vous voulez régner , le reftc des Romains , Il y va de la perte ou du falut du rcfte. La guerre avoir un cours fi f^nglant , G funeftc. Et les noeuds de l'hymen , duiant nos bons deftins > Ont tant de fois uni des peuples Ci voilîns , Qu'il cft peu de Romains que le parti contraire K'intérefTe en la mort d'un gendre ou d'un beau* frère , Et qui ne foicnt forcés de donner quelques pleurs Dans le bonheur public à leurs propres malheurs. Si c'eft olfenfcr Rome , &: que l'iicur de fes armes L'autorife a punir ce crime de nos larmes , Quel fang épargnera ce barbare vainqueur Qui ne pardonne pas a celui de fa focur , Et ne peut excufcr cette douleur prclfante Que la mort d'un aman: jette au ca-ur d'une amante , Quand TRAGÉDIE. 14^ Quand près d'être éclaires du nuptial flambeau , Elle voit avec lui Ton efpoir au tombeau } Faifant triompher Rome , il Ce l'cft alfcrvic ; Il a fur nous un droit &: de mort 8c de vie i Et nos jours criminels ne pourront plus durer. Qu'autant qu'à fa clémence il plaira l'endurer. Je pourrois ajouter aux intérêts de Rome Combien un pareil coup eft indigne d'un homme ; Je pourrois demander qu'on mît devant vos yeux Ce grand & rare e-xploit d'un bras victorieux : Vous verriez un beau fang , pouraccufer fa rage. D'un frère fi cruel rejaillir au vifage ; Vous verriez des horreurs qu'on ne peut concevoir , Son âge & fa beauté vous pourroient émouvoir 5 Mai^ je hais ces moyens qui Tentent l'artifice. Vous avez à demain remis le facrifice , Pcnfcz-vous que les Dieux vengeurs des innoccrâS D'une main parricide acceptent de l'encens 3 Sur vous ce facrilege attireroit fa peine , Ne le conlidércz qu'en objet de leur haine , Et croyez avec nous qu'en tous fes tiois combats Le bon delHn de Rome a plus fait que fon bras , Puifque ces mêmes Dieux auteurs de fa vidoirc Ont permis qu'aufii-tôt il en fouillât la gloire. Et qu'un Ci grand courage après ce noble effort Eût digne en même jour de triomphe & de mort. Sire , c'eft ce qu'il faut que votre arrêt décide. En ce lieu Rome a vu le premier parricide ; La fuite en eft à craindre & la haine des Cieux ; Sauvez-nous de fa main & redoutez les Dieux. TULLE. Dcfendez-vous Horace. HORACE. A quoi bon me défendre î Vous fçavez l'adion, vous la venez d'entendre. Ce que vous en croyez me doit être une loi. Sire , on fe défend mal contre l'avis d'un Roi ,' Tome 1% Q •Î46 HORACE, Et !e plus innocent devient foudain coupable Quand aux yeux de ion Prince il paroîc condarr.-» neble. Ccft crime qu'envers lui Te vouloir eicufcr , "Notre fang c(ï fon bien , il en peut difpofer , Et c'cft à nous de croire, alors qu'il en difpofc , Qu'il ne s'en prive point fans une jufte caufc, 5ire, prononcez donc , je fuis prêt d'obéir,. D'autres aiment la vie , & je la dois haïr. Je ne reproche point à l'ardeur de Valerc Qu'en amant de la foeur il accufe le frerc ; Mes voeux avec les fîens confpirent aujourd'iuii , Il demande ma mort , je la veux comme lui. •XJn feul point entre nous m:t cette différence , •Que mon honneur par-là cherche (on alfurancc, Et qu'à ce même but nous voulons arriver. Lui pour flcirir ma gloire , &c moi pour la fauvcr. Sire, c'cll: rarement qu'il s'offre une matière A montrer d'un grand cœur la vertu toute entière > Suivant Toccafion elle agit plus ou moins , Et paroît fort ou foible aux yeux de Tes témoins, Xe peuple qui voit tout feulement par l'ccorcc, 5'atiache à fon effet pour juger de fa force 5 11 veut que fcs dehors gardent un même cours , Qu'ayant fait un miracle elle en faffe toujours. Apres une adion pleine, haute , éclatante , Tout ce qui brille moins remplit mal fon attente ; Il veut qu'on foit égal en tout temps , en tous lieux j m n'examine point fi lors on pouvoir mieux ; Ki que , s'il ne voit pas fans ceffe une merveille, E'occafîon cft n:oindre & la vertu pareille. Son injullice accable & détruit les grands noms. L'honneur des premiers faits fc perd par les féconds 5 Et quand la renommée a pafTé l'ordinaire , 5i l'on n'en veut déchoir , il ne faut plus rien faire. Je ne vanterai point les exploits de mon bras. Votre Majellé , Sue , a yu mes crois combats» TRAGÉDIE. Ï47 11 -cft bien mal-aifë qu'un pareil hs féconde » -Qu'une autre occafion à celle-ci reponde j Et que tout mon courage après de fi grands coups Parvienne à des fuccès qui n'aillent au-defTous 5 Si bien que pour laiiTcr une illuftre mémoire , La mort feule aujourd'hui peut conferver ma gloire 3 Encor la falloit-il fi-tôtque j'eus vaincu, Puifque pour mon honneur j'ai déjà trop vécu;. Un hommetcl que moi voit fa gloire ternie 3, Quand il tombe en péril de quelque ignominie. Et ma m.ain auroit feu déjà m'en garantir ; Mais fans votre congé mon fang n'ofc fortir ; Comme il vous appartient, votre aveu doit fe pren- dre, Ccft vous le dérober qu'autrement le répandre, Rome ne manque point de généreux guerriers , Allez d'autres fans moi foutiendront vos lauriers : Que votre Majefté déformais m'en difpenfè j ït fi ce que j'ai fait vaut quelque récompcnfe. Permettez , ô grand Roi , que de ce bras vainqueur Je m'immole à ma gloire , 5c non pas à ma foeur. tt*iM£!(fe=^^ «==ai» SCENE I I L TULLE , YALERE , Le vieil HORACE^ H O R A C E , S A B 1 N E. s SABINE. Ire , écoutez Sabine , Se voyez dans (on amc Les douleurs d'une fœur & celles d'une femme. Qui toute dcfolée à vos facrés genour Pleure pour fa famille & craint pour Coa époux. Ce n'eft pas que je veuille avec cet artifice I^cr<^ber un coupable aux bras de la Jultice ^ t4S -H O R A C E, fQuoiqu'iî ait fait pour vous , rraitcz • le commt tel , Er ^uniffez en moi ce noble criminel ; Pc mon fang malheureux expiez tout Ton crime , Vous ne changerez point pour cela de vidirae j Ce n'en fera point prendre une injure pitié. Mais en facrifier la plus chère moitié. Les noeuds de rhyménéc & Ton amour extrême Font qu'il vit plus en moi qu'il ne vit en lui-même | Et fi vous m'accordez de mourir aujourd'hui , Il mourra plus en moi qu'il ne mourroit en lui : La mort que je demande & qu'il faut que j'obtienne ^ Augmentera fa peine & finira la mienne. Sire , voyez l'excès de mes triftcs ennuis , Et l'effroyable état où mes jours font réduits. Quelle horreur d'cmbralfcr un homme dont l'épéc De toute ma famille a la trame coupée l Et quelle im.piété Je haïr un époux Pour avoir bien feivi les fiens , l'Etat , & vous ! Aimer un bras fouillé du fang de tous mes frères] N'aimer pas un mari qui finit r,os mifercs l Sire , délivrez-moi par un heureux trépas Des crimes de l'aimer & de ne l'aimer pa-s. J'en nommerai l'arrêt une faveur bien grande , !Ma main peut me donner ce que je vous demande 3 Mais ce trépas enfin me fera bien plus doux , Si )c puis de fa honte affranchir mon époux , Si je puis par mon fang appaifer la coleçe Des Dieux qu'a pu fâcher fa vertu trop févcrc , Satisfaire en mourant aux mânes de fa fœur , Et confccvcr à Rome un fi bon défenfeur. Le vieil HORACE. ' ] Sire , c'cft donc à moi de répondre à Valere ; Mc^ enfaus avec lui confpircnt contre un père , Tous tiois veulent rrc perdre & s'arment fans raifoft ' Contre fi peu de fang qui reJic en ma maifca. T R A G È D r E. ï45 ( a Sabine, ) Toi, qui par des douleurs à ton devoir' contrai- res Veux cjaittcr un mari pour rejoindre tes frères , Va plutôt confulter leurs mânes généreux j Ils ibnt morts , mais pour Albc , & s'en tiennent heureux. Puifc]ue le Ciel vouloir qu'elle fût affervie , Si quelque fcntiment demeure après la-vir. Ce mal leur femble moindre , & moins rudes les. coups , Voyant que tout l'honneur en retombe fur nous. Tous trois défavoueront la douleur qui te touche , Les larmes de tes yeux , les foupirs de ta bouche , L'he-rreur que tu fais voir d'un mari vertueux. Sabine , fois leur fcf ur , fuis ton devoir comme eux» (^au Roi. ) Contre ce cher époux Valere en vain s'anime 5 Un premier mouvement ne fut jamais un crime 5 Et la louanfie eOidue au lieu du châtiment , Quand la vertu produit ce premier mouvement. Aimer nos ennemis avec idolâtrie , De rage en leur trépas maudire la Patrie , Souhniier à l'Etat «11 malheur infini , C'cft ce qu'on nomme ciime , te ce qu'il a puni. Le feul amour de Rome a fa main animée , Il feroit innocent s'il l'avoit moins aimée. Qu'nije dit , Sire î II l'cll: , & ce bras paternel L'auroit déjà puni s'il étoit criminel ; J'aurois fçu mieux ufer de l'entière puiffancc Que me donnent fur lui les droits de la nailTancc 5 J'aime trop l'honneur. Sire , & ne fuis point de rang A foutFrir ni d'affront ni de crime en mon fang. C'eft dont je ne veux point de témoin que Vaierc, Il a vu quel accueil lui gardoit ma colère , Lors qu'ignorant encor la moitié du combat^ Je croyois que fa fuite avoit trahi i'Etar. G il} ip HORACE, Qui le fait Ce cfcargcr des foins de ma famille ^ Qui le fait malgré moi vouloir venger ma fille? £c par quelle raifon , dans fon juftc trépas , Prend-iI un intérêt qu'un pcre ne prend pas ? On craint qu'apriis fa fœur il n'en maltraite d'au» très '. Sire , nous n'avons part qu'à la honte des nôtres ; ît de quelque façon qu'un autre puilTc agir , Qui ne nous touche point ne nous fait point rougir. ( à VaUre. ) Tu peux pleurer , Vnlerc , & même aux yeux d'Koracc , Il ne prend d'intérêt qu'aux crimes de fa race j. Qui n'efl point de fon fang ne peut faire d'affront Aux lauriers immortels qui lui ceignent le front. Lauriers , facrcs rameaux qu'on veut réduire en pou- dre , Vous qui mettez fa tcte à ccuvci r de la foudre , L'abandonncrcz-vous à l'infamc couteau Qui fait cheoir les mcchans fous la main d'un bour- reau) ïLomains , foufirirez-vous qu'on vous immole ua> homme Sans qui Rome aujourd'iiui ccHcroit d'être Rome, Et qu'un Romain s'efforce à tacher le renom D'un guerrier à qui tous doivent un fi beau nom f Dis , Valere, dis-nous , fi tu veux qu'il périfie , Où tu pcnfcs choilir un lieu pour fon fupplice t Sera-ce entre ces murs que mille & mille voix l'ont raifonner cncor du bruit de fcs exploits "i Sera-ce hors des murs , au milieu de ces places Qu'on voit fumer encor du fang des Curiaces , Encre leurs trois tombeaux , & dans ce champ d'hon- neur Témoin de fa vaillance & de notre bonheur ? Tu ne fçaurois cacher fa peine à fa viftoire ; Dans les murs, hors des murs, toutparlcdefa gloire. T R A G Ê D r E. 7^. Tout s'oppofe à TcfForc de ton injuftc amour Qui veut d'un fi bon fang fouiller un fi beau jouTi- Albe ne pourra pas fouffrir un tel fpedlncle , Et Rome par Tes pleurs y mettra trop à'obftacle. Vous les préviendrez , Sire , & par un jufte arréf Vous fçaurcz cmbraflcr bien mieux Ton intact i Ce qu'il a fait pour elle il peut encor Je faire , Il peut la j^arantir encor d'un fort contraire. Sire , ne donnez rien à mes débiles ans , Rome aujourd'iiui m'a vu père de quatre cnfansy Trois en ce incmx jour font morts pour fa que^ rcile , Il m'en reftc encore un , conrervez-Ic pour elle 3 N'otcz pas à Tes murs un fi puifFant appui , Et foufFrez , pour finir , que je m'adrelfe à lui. Horace , ne crois pas que le peuple ftupide Soit le martre abfblu d'un renom bien folidc. Sa voix tumultueuse afiez fouvent fait bruit , Mais un moment l'cleve , un moment le détruit 5 . Et ce. qu'il contribue à notre -renommée- Toujours en moins de rien fc dilïïpe en fumée. C'cd aux Rois , c'eft aux Grands , c'eft ajx cfprits bien faits A voir la vertu pleine en fes moindres effets ; C'eft d'eux fculs qu'on reçoit la véritable gloire , Eux feuls des vrais héros affurent la mémoire. Vis toujours en Horace , & toujours auprès d'eux Ton nom demeurera grand , illuftre , fameux , Bien que l'occafîon moins haute ou moins brillance D'un vulgaire ingnorant trompe l'injufte atrente. Ne hais donc plus la yie , & du moins vis pour moi , Et pour fervir encor ton pays & ton Roi. Sire , j'en ai trop dit , mais l'affaire vous touche 5 Ex Rome toute entière a parlé par ma bouche. V A L E R E. Sii'c p. permettez- moi. . . .- G iv j^2 HORACE, TULLE. Valerc , c'cft aifez > Vos dlfcours par les leurs ne font pas effacés , J'en garde en mon cfprit les forces plus preflantes , Et toutes vos raifons me font cncor préfentes. Cette énorme a TRAGÉDIE. :i»:MÎ?ï=^- HORAT cui leâa pounter erit res , AVc facundia defcret hune , nec lucidus ordo» ACTEURS. OCTAVE CÉSAR. AUGUSTE, Empe- reur de Rome, LIVIE , Impératrice.- CINNA , fils d'une fille de Pompée , chef de la conjuration contre Augufte. MAXIME ^ autre chef de la conjuration, j£MILIE y fille de C. Toranius , Tuteur d'Augufte ôc profcrit par lui durant le Triumvirat. FULVIE , Confidente d'^Emilie. POLYCLETE , Afranchi d'Augufte. EVANDRE 5 Afranchi de Cinna, EUPHORBE, Afranchi de Maxime.- La Scène tft à Rome. . C I N N A, TRAGÉDIE. ACTE PREMIER. SCENE PREMIERE. EMILIE. ^kAAA^^ Mpatiens àefîrs d'une illuilre vengeance. J ^ Dont ia mort de mon père a forn:é la naKTance , 35(^YVT0S Enrans impétueux de mon refTentimenî Que ma douleur fëduite embrafTe aveuglément , Vous prenez fur mon ame un trop puifTant empire; Durant quelcjues momens rouffrez que je icfpire , Et que je confidere en l'état où je fuis , Et ce que je hafarde & ce que je pourfuis. Quand je regarde Augufte au milieu de fa gloire ,' Et que vous reprochez à ma trifte mémoire Que par fa propre main mon père maflacré Du trône où je le vois fait le premier degré : Quand voHs me préfentez cette fanglante image , La caufe de ma haine & l'eiïèt de fa raee , Je m'abandonne toute à vos ardens tranfports , Et crois pour une mor: lui devoir mille morss. . t6o C I N N a, Au milieu toutefois d'une fureur fi juftc î J'aime encor plus Cinna que je ne liais Auguftc 3 Ec je fcns refroidir ce bouillant mouvement. Quand il faut pour le fuivre expofer mon amant. Oui , Cinna , contre moi moi-même je m'irrite Quand je fongc aux dangers où je te précipite. Quoique pour me fervir tu n'appréhendes rien. Te demander du fang , c'efl: expofer le tien j D'une Cl haute place on n'abat point de têtes Sans attirer fur foi mille & mille tempêtes $ L'ilTue en cfl: douteufc & le péril certain. Un ami déloyal peut trahir ton de/Tein; L'ordre mal concerté , l'occafion mal prife ,' Peuvent fur fon auteur renverfer l'entreprife , Tourner fur toi les coups dont tu les veux frapper^ Dans fa ruine même il peut t'envelopper j Et quoiqu'en ma faveur ton amour exécute , I! te peur en tombant écrafer fous fa chute. Ah 1 ccfle de courir à ce mortel danger , Te perdre en me vengeant ce n'eft pas me venger. Un coeur e/l trop cruel quand il trouve des char- mes Aux douceurs que corrompt l'amertume des larmes; Et l'on doit mettre au rang des pluscuifans malheurs La mort d'un ennemi qui coure tant de pleurs. Mais peut-on en veifer alors qu'on venge un père?" Eft-il perte à ce prix qui ne femble légère ? Et quand Ton aftaffm tombe fous notre efforc > Doit-on confîdérer ce que coûte fa mort ? CefTcz vaines frayeurs , ccffez lâches tendreffes ,' De jettcr dans mon cœur vos indignes foiblefles 5 Et toi qui les prodais par tes foins fuperfîus , Amour fers mon devoir , & ne le combats plus. Lui ûédcr c'eft ta gloire , Ôc le vaincre ta iionte. Montre-toi généreux foufFrant qu'il te furmonte , Plus tu lui donneras , plus il te va donner. Et ne triomphera que pour te couronuci,. T R A G É D r E. i6i 1té^ . L!A'^g?sté^; SCENE II. j£MILIE,FULVIE. JEU IL I E. 3 E l'ai jure, Fuhie , & je le jure encore , Quoique j'aime Cinna , quoique mon cœur l'adore > S'il me veut poncder , Augufte doit périr , Sa tcte eft le feu! prix dont il peut m'acquérir ; Je lui prefcris la loi que mon devoir m'irapofe. F U L V I E. Etle a pour la blâmer uns trop jufte caufc. Par un fi grand defTcin vous vous faites juger Digne fang de celui que vous voulez venger ; Mais encore une fois fouffrez que je vous die Qu'une fi jufte ardeur devroit erre attiédie. Augufte chaque jour à force de bienfaits Semble affez réparer les maux qu'il vous a faits 5 Sa faveur envers vous paroît fi déclarée , Que vous êtes chez lui la plus confidérée ; Et de {es courtifans fouvent les plus heureux Vous préfixent à c^cnoux de lui parler peur eux, "^ M I L I E. Toute cette faveur ne me rend pas mon pere^ Et de quelque façon que l'on me confiderc , Abondante en richefie ou puifTante en crédit , Je demeure toujours la fille d'un profcrit. Les bienfaits ne font pas toujours ce que tu penfes , D'une main odieufe ils tiennent lieu d'offenfcs. Plus nous en prodiguons à qui nous peut haïr. Plus d'armes nous donnons à qui nous veut trahir : Il m'en fait chaque jour fans changer mon courage , Je fuis ce que j'étois & je puis davantage j ï6i C I N N A, Et des mcmcs préfcns qu'il verfc dans mes mains ^„ J'achcte contre lui les cfprits des Romains. Je reccvrois de lui la place de Livie Comme un moyen plus sûr d'attenter à fa vie ; Poar c]ui venge Ton père il n'cft point de forfaits , £t c'eft veiidre.Ion fang que fe rendra aux bienfaitj* F U L V I E. Quel befoin toutefois de pafier pour ingrate ? Ne pouvcz-vous haïr fans que la haine éclate? ^lîez d'autres fans vous n'ont pas mis en oubli Par quelles cruautés fon trône cft établi 3 Tant de braves Romains , tant d'illuflrcs vidlimcs Qu'à fon ambition ont immolé fes crimes, Laiffent à leurs enfans d'a/fez vives douleurs , Pour venger votre perte en vengeant leurs malhcurj.- Beaucoup Tont entrepris , mille autres vont les fuivre 3 Qui vit haï de tous ne fçauroit long-temps vivre : Rem.cttcz à leurs bras les communs intérêts , £: n'aidez leurs dcHcins que par des vœux fecrcts. .£MI.Ll:£v. Quoi , je le haïrai fans tâcher de lui nuire ? J'attendrai du bafard -qu'il ofe le détruire. Et je fatisferai des devoirs fi prcfTans Par une haiiic oblcurc & des voeux impuifTans "i Sa perte que je vcax me deviendroit amerc , Si quelqu'un Timmoloit à d'autres qu'à mon père î Et tu verrois raes pleurs couler pour fon trépas Qui le faifant périr ne me vengeroit pas. C'eft une lâcheté que de remettre à d'autres Les intérêts publics qui s'attachent aux nôtres. Joignons à Ja douceur de venger nos parens La gloire qu'on remporte a punir les tyrans ^ Et faifons publier par toute l'Italie : La liberté de Rome tfi i'oiuvre d' Mmilie j On a touché fon ame & fon coeur s'efi épris ; Mais elle n'a donné fon amour qu'à ce prix» T R A È G D I E. ï6j F U L V I E. Votre amour à ce prix n'eft qu'un prcfcnt funcflc Qui porte à votre amant fa perte manifcrtc. Pcnfcz mieux, yî.niiiie , à quoi vous l'expofez , Combien à cet écucil fe font déjà brifés 3 Ne vous aveuglez point quand fa mort cft vifibic. EMILIE. Ah ! Tu fçaismc frapper par où je fuis fenfible. Quand je fongc aux danî^crs que je lui fais courir ^ La crainte de fa mort me fait déjà mourir ; Won efprit en dcfordie à foi -même s'oppofe , Je veux Se ne veux pas , je m'emporte & je n'ofe y Et mon devoir confus , languiffant , étonné , Cède 3UX rebellions de mon cœur mutiné,. Tout beau, ma palTion, deviens un peu moini forte ; Tu vois bien des hafards , ils font grands , mais n'im,- porte , Cinna i>'eft pas perdu pour être hafardé. De quelques légions qu'Augufte foit cardé , Quelque foin qui! fe donric , U quelque ordre qu'il-' tienne , Qui méprife fa vie cCt maître de la f snue 5 Plus le périJ eft grand , plus doux en efî: le ffuit , La vertu nous y. jette & la gloire le fuit. Quoi qu'il en fbit , qivAugufte ou que Cinna périfTc , . Aux mancs paternels je dois ce facrifke , Cinna me l'a promis en recevant ma foi , Lt ce coup fcul auffi le rend digne de moi. Il eft tard après tout de m'en vouloir dédire , Aujourd'liui l'on s'aiTemble, aujourd'hui l'on confpirc. L'heure , le lieu , le bras fe choifit aujourd'hui , Et c'eft à faire enfin à mourir après lui,. Mais le voici qui vient. iS4 C I N N A 7 S C E N E I I I. CÎNNA,^MILIE,FULYIE; EMILIE. C Inna , votre aiTcmbléc Fnr l'cffioi du péril n'cft-elle point troublée ?- Et reconnoiflez-vous au front de vos amis Qii'ils foient prêts à tenir ce qu'ils vous ont pcon'ws^ C I N N A. Jamais contre un tyran entreprife conçue Ne permit d'cfpércr une fi belle ïfC\jQ ; Jamais de telle ardeur on n'en jura la mort , Ec jamais conjurés ne furent mieux d'accord". Tous s'y montrent portés avec tant d'alégrefTe, Qu'ils femb'ent comme moi fervir une maîtrcffe 5 Et tous font éclater un fi puilfant courroux , Qu'ils fcrablciit tous venger un père comme vous» iE M I L I E. Je l'avois bien prévu que pour un tel ouvrage Cinna fçauroit choifîr des hommes de courage ^^ Et ne remettroit pas en de mauvaifes mains L'intérêt d'Emilie & celui des Romains. CINNA. Plût aux Dieux que vous-même eufTiez vu de quel zelo Cette troupe entreprend une a(5lion û belle 1 A.U feul nom de Céfar , d'Augufte, & d'Empereur ^ Vous eudicz vu leurs yeux s'enflammer de fureur , Et dans un même irftant , par un effet contraire ,, Leur front pâlir d'horreur & rougir de colère. j4mis , leur ai je dit , roici le jour heureux Qui doit conclure enjin noi dejjfcins généreux. T R A G È D I E. 165 Le Cul entre nos mains a mis le fore de Rome , Etfonjalut dépend de la perte d'un homme ^ Si .l'on doit le nom d'homme h qui n'a rien d'hu* main , \A ce tigre altéré de tout lefang Romain. Combien pour le répandre a-t-il formé de brigues ? Combien de fois changé de partis & de ligues , Tantôt ami d'Antoine 6' tantôt ennemi^ Et jamais infolent ni cruel a demi ? Là par un long iccic de toutes les mifcres Que durant notre enfance ont endure nos pères , Renouvellant leur haine avec leur fouvenir , Je redouble en leurs cœurs l'ardeur de le punir. Je leur fais des tableaux de ces triftes batailles Oti Rome par fes mains décliiroit Tes entrailles. Où l'aigle abattoit l'aigle , & de chaque côte Nos légions s'armoienc contre leur liberté ; Où les meilleurs foldats & les chefs les plus braves Islettoicnt toute leur gloire à devenir efclaves j Qii pour mieux ailurer la honte de leurs fers , Tous vouloient à leur chaîne attacher l'univers j Et l'exécrable honneur de lui donner un maître f aifant aimer à tous l'infâme nom de traître , Romains contre Romains , parens contre païens, Combattoient feulement pour le choix des tyrans. J'ajoute à ces tableaux la peinture effroyable De leur concorde impie , affreufe , inexorable , Funefte aux gens de bien , aux riches , au Sénat , Et pour tout dire enfin de leur Triumvirat : Mais je ne trouve point de couleurs afTcz noires Pour en repréfenter les tragiques hiftoires. Je les peins dans le meurtre à l'cnvi triomphants ,' Rome entière noyée au fang de {es en fans ; Les uns allafhnés dans les places publiques , Les autres dans le fein de leurs Dieux domeftiqucs. Le méchant par le prix au crime encouragé , Le m.ari par fa femme en fon lit égorgé ^ 466 C î N N A-, Le fi!s coût Hcgoutcant du meurtre de Ton pcrc , te fa tête à la main demandant Ton falairc , Sans pouvoir exprimer par tant d'horribles traits ,' <2^'i^ii crayon impaiFait de leur fanglante paix. Vous dirai -je les noms de ces grands pcrfonna* ges 'Dont j'ai dépeint les morts pour aigrir les courages , De CCS fameux profcrits , ces demi-Dieux mortels , Qu'on a facrifîcs jiifques fur les autels ? •Mais pcurrai-je vous dire à quelle impatience, A cjucls frémiiTemens , à quelle violence. Ces indignes trépas , quoique mal figurés , One porte les cfprits de tous nos Conjurés ? Je n'ai point perdu temps-; & voyant leur colère Au point de ne rien craindre , en état de tout faire. J'ajoute en peu de mots : Toutes ces cruautés , La perte de nos biens & de nos libertés , Le ravage des champs , /e pi/lage des Villes , Et les profcriptions , ^ les guerres civiles , Sont les dégrés janglans dont Auguflc a fait choix Pour monter fur le trône 6' nous donner des loix : Mais nous pouvons changer un dejlin fi funejle , Puifque de trois tyrans c'eji le feul qui nous refit; Et que jufle une fois il s efi privé d'appui , Perdant pour régner feul deux nréchans comme lui. Lui mort , nous n'avons point de vengeur ni de maître^ Avec la liberté Rome s'en va renaître ; Et nous mériterons le nom de vrais Romains , Si le joug qui l'accable efi brifé par nos mains. Prenons l'cccafion tandis qu'elle efi propice , Demain au Capitale il fait unfacrifice ^ Qu'il €n fait lu victime , & faifons en ces lieuic Jufiice à tout le monde a la face des Dieux. La prefque pour fa fuite il n'a que notre troupe , C'efi de ma main qu il prend 6* l'encens & la coupe ; Et je veux pour fignal que cette même main Lui donne au lieu d'encens d'un poignard-dans lefiin^ TRAGÉDIE. i6j Jninjî d'un coup mortel la viclime frappée Fera voir Ji je fuis du fan g du grand. Pompée j Faites voir après moi fi vous vous fouvene^ Des illujlres aïeux de qui vous êtes nés, A peine ai-je achevé que chacun renouvelle Par un noble ferment le vœu d'ctre fidèle , L'occafion leur plaît , mais chacun veut pour foi L'honneur du premier coup que j'ai c'iioifî pour moi, La raifon règle enfin l'ardeur qui les emporte , Maxime &: la moitié s'adurcnr de la porte ^ L'aucre moitié me fuit & doit l'environner. Prête aa moindre fignal que je voudrai donner. Voilà , belle Emilie , à quel point nous en fommes, 'Demain j'attends la haine ou la faveur des hommes, >Lc nom de parricide ou de libérateur, Céfar celui de Prince ou d'un ufurpateur. Du fuccès qu'on obtient contre la tyrannie Dépend ou notre gloire ou notre ignominie 5 Et le peuple inégal à l'endroit des tyrans , S'il les détcfte morts , les adore vivans. Pour moi, foit que le Ciel me foit dur ou propice , Qu'il m'élève à la gloire ou me livre au fupplice , Que Rome fe déclare ou pour ou contre nous. Mourant pour vous fervir , tout me femblera doirx, EMILIE. Ne crains point de fuccès qui (ouille ta mémoire , Le bon & le mauvais fout égaux pour ta gloire j Et dans un tel deffein le manque de bonheur Met en péril ta vie & non pas ton honneur. Regarde le malheur de Brute & de Calîîe , La fplcndcur de leur nom en eft*clle obfcurcic ? Sont-ils mort<; tout entiers ay^c Icursgrands dcn*cfns î Ne les comptc-t-on plus pour les derniers Romains? 'Leur mémoire dans Rome cft encor précieuie , Autant que de Céfar la vie eft odieufe , Si leur vainqueur y règne , ils y font regrettés , Et par les veeux de tous , leurs pareils fouhaitéj. i6S C I N N A, Va marcher fur leurs pas où l'honneur te convie jj Mais ne perds pas le loin de conferver la vie j Souviens-toi du beau feu dont nous fommcs épris, Qu'aulli-bien que la f^loirc ^Emilie eft Ton prix , Que tu me dois ton cœur, c]ue mes faveurs t'attcn- dent , Que tes jours me font chers , que les miens en dépcui- dent. Mais quelle occafion mené Evandre vers nous ? tJ».Ji'^>P^^.a' i^Ji^UL y SCENE IV. CINNA , EMILIE , EVANDRE , EULVIE. EVANDRE. ^5 Eigneur, Céfar vous mande & Maxime avec vous, CINNA. Ec Maxime avec moi 1 le fçais-tu bien , Evandre î E V A N D R ,E. Poîycletc eft encor chez vous à vous attendre , Et fût venu lui-même avec moi vous chercher. Si ma dextérité n'eût fçu l'en empêcher. Je vous en donne avis de peur d'une furprifc , Il preflc fort. EMILIE. Mander les chefs de l'entrcprifc î Tous deux l en mcme-temps l vous âes dccouvertSt CINNA. Erpcrons mieux , de grâce. u£ M I L I E. Ah 1 Cinna , je te perds ; Et les Dieux obftinés à nous donner un maître Parmi tes vrais amis ont mc'é quelque traître. 11 n'en faut point douter, Augufte a tout appris ; Quoi . tous deux 1 & û-tôt que le coafeil cft pris.! ^ CINNA. TRAGÉDIE. 169 C I N N A. Je ne vous puis celer que fon ordre m'étonne j Mais fouvcnt il m'appelle auprès de fa pcrfonne > Maxime c(k comme moi de fcs plus confidens , Et nous nous alarmons peut-être en imprudcns. iï, M I L I E. Sois moins ingénieux à te tromper toî-mcme , Cinna , ne porte point mes maux jufcju a l'extrcmel' Et puifque déformais tu ne peux me venger , Dérobe au moins ta tête à ce mortel danger ; Fuis d'Augufte irrité l'implacable colère ; Je verfe aifez de pleurs pour la mort de mon pcre i N'aigris point ma douleur par un nouveau tourment ^ Et ne me réduis point à pleurer mon amant. CINNA. Quoi l fur l'illufion d'une terreur panique Trahir vos intérêts & la caufe publique l Par cette lâcheté moi-même m'accufer , Et tout abandonner quand il faut tout oferî Que feront nos amis il vous êtes déçue î i£ M I L I E. Mais que deviendras-tu Ci l'entreprife eft: fçuc t CINNA. S'il cfl: pour me trahir des efprits aflez bas , Ala vertu pour le moins ne me trahira pas ; Vous la verrez brillante au bord des précipices Se couronner de gloire en bravant les fupplices î Rendre Augulle jaloux duTang qu'il répandra , Ec le faire trembler alors qu'il me perdra. Je devicndrois fufpecl à tarder davantage. Adieu. RafFermiflez ce généreux courage. S'il faut fubir le coup d'un deftin rigoureux , Je mourrai tout enfemble heureux & malheureux; Heureux pour vous fcrvir de perdre ainfi la vie^ Malheureux de mourir fans vous avoir fervie, iE M I L I E. Oui , va , n'écouie plus ma voix qui te retient l Tome I^ H 170 C I N N A, -^ Mon tionble fe dilllpe , & ma raifon revient; J'ardonnc à mon amour cette indigne foibAclfc j Tu voudrois fuir en vain , Cinna, je le confcirc: Si tout eft découvert , Auguftc à f^a pourvoir A ne te laifler pas ta fuite en ton pouvoir. Porte , porte chez lui cette mâle alfurance Digne de notre amour , digne de ta nailfance ; Meurs , s'il y faut mourir , en citoyen Romain , Et par un beau trépas couronne un beau deficin. Ne crains pas qu'après toi rien ici me retienne , Ta mort emportera mon ame vers la tienne , lit mon cœur aufll-tôt perce des mêmes coups. . . . CINNA. Ah l fouffrez que tout mort je vive encore en vous ^ Et du moins en mourant permettez que j'cfpere Que vous fçaurcz venger l'amaut avec le perc. Kien n'cft pour vous à craindre , aucun de nos amis Ne fçait ni vos deffcins ni ce qui m'eft: promis j Et leur parlant tantôt des miferes Romaines , Je leur ai tù la mort qui fait naître nos haines , De peur que mon ardeur touchant vos intérêts D'un il parfait amour ne trahît les fecrets. Jl n'cft fçu que d'Evandre & de votre Pulvie. EMILIE. Avec moins de frayeur je vais donc chez Livie, Puifque dans ton péril il me refte un mo}cn De faire agir pour toi Ton crédit & le mien. Mais fi mon amitié par-là ne te délivre, N'efpere pas qu'enfin je veuille te furvivre j Je fais de ton dcftin des règles à mon fort , Et j'obtiendrai ta vie, ou je fuivrai ta mort. C I N N A. ^ Seyez en ma faveur moins cruelle à vous-même. EMILIE. Va -t'en , & fouvicns-toi feulement que je t'aime. Fin du premier Aâe, ÎK- TRAGÉDIE. . ^Jul».^0;S--:-i 171 — W3 A C T E I I. SCENE PREMIERE. AUGUSTE, CINNA, MAXIxME, Troupe de Courtifans. A U G U S T** E. V^ Ue chacun fe retire , & qu'aucun n'entre ici. Vous , Cinna , dcmsurez , & vous , Maxime , aufl], ( Tous fc retirent , à la rc/crve de Cinna & de Maxime, ) Cet empire abfolu fur la terre & fur l'onde , Ce pouvoir fouverain que j'ai fur tout le monde. Cette grandeur fans borne & cet illuftie rang Qui m'a jadis coure tant de peine & de fang , Enfin tout ce qu'adore en ma haute fortune D'un courtifan flatteur la préfence importune, N'eft que de ces beautés dont l'éclat éblouit , Et qu'on cefie d'aimer fi-tôt qu'on en jouit. L'ambition déplaît quand elle cft aflouvie , D'une contraire ardeur fon ardeur eft fuivie ; Et comme notre efprit jufqu'au dernier foupir Toujours vers quelque objet poulfe quelque defir. Il fe ramène en foi n'ayant plus où fe prendre , Et monté fur le faîte il afpire à defcendre. J'ai fouhaité l'Empire , & j'y fuis parvenu , Mais en le {buhaitant je ne l'ai pas connu. Dans fa polfeflion j'ai trouvé pour tous charmes D'efFroyaMes foucis , d'éternelles alarmes , Mille ennemis fecrcts , la mort à tous propos ,- Point de plai£r fans trouble, & jamais de repos, H i| ï7i C î N N A, Sylla m'a précédé dans ce pouvoir fupreine , Le grand Céfar mon père en a joui de même : D'un oeil fi différent cous deux l'ont recrardé , Que l'un s'en efi: démis , & l'autre l'a gardé : 'Mais l'un cruel , barbare , eft more aimé , tranquille > Comme un bon citoyen dans Je fein de fa. ville 5 L'autre tout débonnaire , au milieu du Sénat , A vu trancher Tes jours par un afiaflînac. Ces exemples récens fuffiroient pour m'inftruire. Si par l'exemple feul on fe devoir conduire : L'un m'invite à ic fuivre , & l'autre me fait peur ; Xvlais l'exemple fouvent n'eftcju'un miroir trompeur;, £t l'ordre du Deftin qui gêne nos penftcs N'efl pas toujours écrit dans les chofes paflees. Quelquefois l'un fe brife où l'autre s'efb fauve , Lt par où l'un périt un autre eft confervé. Voilà , mes cîiers amis , ce qui me met en peine; Vous qui me tenez lieu d'Agrippé & de Mécène , Pour refondre ce point avec eux débattu , Prenez fur mon efprit le pouvoir qu'ils ont eu. Ke confidérez point cette grandeur fuprême Odieufe aux Romains & péfante à moi-même , Traitez-moi comme ami , non comme fouverain ; Home , Augufte , l'Etat , tout eft en votre main. Vous mettrez & l'Europe , & l'Afîe , & l'Afrique Sous ks loix d'un Monarque ou d'une République, Votre avis eft ma règle 5 & par ce feul moyen Je veux être Empereur ou fîmple citoyen. C I N N A. Malc^ré notre furptife & mon infufEfance , Je vous obéirai , Seigneur , fans complaifance > Et mets bas le refped qui pourroit m'empécher De combattre un avis où vous femblez penclicr. Souffrez-le d'un efprit jaloux de votre gloire Que vous allez fouiller d'une tache trop noire , Si vous ouvrez votre arae à ces imprelTions, Jufques à condamner toutes vos avions. TRAGÉDIE. 173 On ne renonce point aux grandeurs légitimes , On garde fans remords ce qu'on acquiert fans crimes j Et plus le bien qu'on quitte efl: noble , grand , exquis , Plus qui l'ofe quitter le juge mal acquis. N'imprimez pas , Seigneur , cette honseufè marque A ces rares vertus qui vous ont fait Monarque , Vous l'êtes juftement , & c'eft fans attentat Que vous avez changé la forme de l'Etat. Rome eft deiTous vos loix par le droit de la giierrc Qui fous les loix de Rome a mis toute la terre 5 Vos armes l'ont conquife , & tous les Conquérans Pour être ufurpateurs ne font pas des Tyrans 5 Quand iis ont fous leurs loix alTcrvi des Provinces , Gouvernant jaftemient ils s'en font juftes Princes-. C'eft ce que fit Céfar , il vous faut aujourd'hui Condamner fa mémoire ou faire comme loi. Si le pouvoir fuprême eft blâmé par Augufte ^ Céfar fut un tyran &. fon trépas fut jufte ; Et vous devez aux Dieux compte de tout le fang Dont vous l'avez vengé pour monter à fon rang. N'en craignez point , Seigneur , les triftcs deftinécs , Vn plus puifTant démon veille fur vos années j On a dix fois fur vous attenté fans effet. Et qui l'a voulu perdre au même inftant l'a fait. On entreprend afTez , mais aucun n'exécute ^ Il eft des aflaPans , mais il n'eft plus de Brute > Enfin s'il faut attendre un femblable revers , Il eft beau de mourir maître de l'Univers. C'eft ce qu'en peu de mots j'ofe dire , & j'eftime Que ce peu que j'ai dit eft Tavis de Maxime. MAXIME. Oui, j'accorde qu'Augufte a droit de conferver L'Empire où fa vertu l'a fait feule arriver j Et qu'au prix de fon fang, au péril de fa tête. Il a fait de l'Etat une jufte conquête : Mais que fans fe noircir il ne puific quitter Le fardeau que ù main eft ialTe de porter , H iij 174 C I N N A, Qu'il accufc par- là Céfar de tyrannie , Qu'il approuve fa mort , c'cft ce que je d^^nie. Rome q(ï à vous , Seigneur , l'Einpire eft votre bien jf Chacun en liberté peut dirpofcr du iîen ; Il le peut à fou choix garder ou s'en défaire 5 Vous feul ne pourrie?, pns ce que peut le vulg.^irc , Et feriez devenu , pour avoir tout domté , Efclave des grandeurs où vous êtes monté. PofTéJez-Ics , Seigneur , fans qu'elles vous pofTc- dent , ^ 1 Loin de vous captiver, foufFrez qu'elles vous cèdent, El faites hautement connoître enfin à tous Que tout ce qu'elles ont efk au-deffous de vous. Votre Rome autrefois vous donna la nailfance , Vous lui voulez donner votre toutc-puiffance , Et Cinna vous impute à crime capital La libéralité vers le pays natal l II appelle remords l'amour de la Patrie l Par la haute vertu la gloire eft donc fleurie 5 Et ce n'eft qu'un objet digne de nos mépris. Si de fes pleins effets l'infamie eft le prix. Je veux bien avouer qu'une adion H belle Donne à Rome bien plus que vous ne tenez d'elle j Mais commet-on un crime indigne de pardon. Quand la reçonnoiffance efr au-deffus du don ? Suivez, fuivcz. Seigneur, le Ciel qui vous infpirc. Votre g,loire redouble à méprifer l'Empire 5 Et vous ferez fameux chez la poRérité , >îoins pour l'avoir conquis que pour l'avoir quitté. Le bonheur peut conduire à îa grandeur fuprcme , Mais pour y renoncer il faut la vertu même , Et peu de généreux vont jufqu'a dédaigner Après un fceptre acquis la douceur de régner. Confidérez d'ailleurs que vous régnez dans Rome , Ou , de quelque façon que votre Cour vous nomme , On hait la Monarchie ; & le nom d'Empereur , Cachant celui de Roi , ne fait pas iKoins d'horreur. TRAGÉDIE. 775 Il pafle pour tyran quiconque s'y fait maître , Qui Icfert, pour clclave , & qui l'aime, pourtrajtrcj Qai le foufFrc a le coeur iâclie , mol , abattu , Et pour s'en afiranvlii: tout s'appelle vertu. Vous en avez , Seigneur , des preuves trop ccrtriincs > 0;i a fait contre vous dix cntrcprifjs vaincs. Peut être cjue l'onzième eil: prête d'ccla:cr , Et que ce mouvement qui vous vient d'agiter N'cll qu'un avis lecret que le Ciel vous envoie , Qui pour vous conferver n'a plus que cette voie. Ne vous cxpofez plus à ces famcjx revers , Il cft beau ce mouiir m.aîtrc de l'Univers ; Mais la plus belle mort fouille notre mémoire, Quand nous avons pu vivre & croître notre gloire. C I N N A. Si l'amour du pays doit ici prévaloir, C'eft fon bien {eulemenc que vou^, devez vouloir 5 Et cette liberté qui lui femblc (i chère, N'efl pour Rome, Seigneur, qu'un bien imaginaire 3 Plus nuilibie qu'utili, & qui n'approche pas De celui qu'un bon Prince apporte à Tes États, Avec ordre & railbn les honneurs il dirpcnfci Avecdifcernement punit & récompen(e , îLt difpofe de tout en jufte pofTelIcur , Sans rien précipiter de peur d'un fuccefTeur. Mais quand le people eft maître , on n'agit qu'en tu- multe , Ea voix de la raifon jamais ne Cç confultc , Ecs honneurs (ont vendus aux plus ambitieux. L'autorité livrée aux plus féditieux. Ces petits Souverains qu'il fait pour une année , Voyant d'un temps fi court leur puilTance bornée. Des plus heureux delTeins font avorter le fruit > De peur de le laifTer à celui qui les fuit. Comme ils ont peu de part au bien dont ils ordon- nent , Dans le champ du public largement ils moiflbnuent » H iv i7« C I N N A, Ailurcs qnc chacun leur parcîonnc arfcmcnt, 'ïip^rant à Ton cour un pareil traircment. Le pire des Etats c'cfl l'Etat populaire. . . . AUGUSTE. Et tODtcfois le fcul qui dans Rome peut plaire. Cette haine des Rois que depuis cinq cens ans ^vcc le premier lait fuccnt tous fcs enfans , '.rour l'arracher des cœurs , efi: trop enracinée. MAXIME. 'Oui , Seigneur , dans Ton mal Rome efl: trop obflif- née 5 *Son peuple qui s'y plaît en fuit la guérifon , ^a coutume l'emporte & non pas la raifon : (ït cette vieille erreur que Cinna veut abattre , •Eli une heureufe erreur dont il eft idolâtre , Par qui le monde entier afTervi fous fcs loix X'a vu cent fois marcher fur la tcte des Rois , Son épargne s'enfler du fac de leurs Provinces 5 ""iQue lui pouvoient de plus donner les meilleurs Prin- ces } J'ofe dire , Seigneur , que par tous les cUmaw "Ke font pas bien reçus toutes fortes d'états. 'Chaque peuple a le fien conforme à fa nature , 'Qu'on ne fçauroit changer fans lui faire une injure J Telle eft la loi du Ciel dont la Page équité "Scmc dans l'Univers cette diverfité. Le"> Macédoniens aiment le monarchique, î^c le rcfte des Grecs la liberté publique , Xes Parthes , les Pcrfans veulent des Souverains , t: le feul Confulac eft bon pour les Romains. CINNA. Il eft vrai que du Ciel la prudence infinie Départ a chaque peuple un différent génie; Mais il n eft pas moins vrai que cet ordre des Cieux Change félon les teirips comme félon les lieux. Rome a reçu des Rois fes murs &c fa naiffance, Iliç tient des Confuls fa gloire & fa puiifancc ; TRAGÉDIE. 377 ît reçoit maintenant de vos rares bontés Le comble (ouvcrain ck fcs prorpcrités. Sous vous l'Etat n"e(l plus en pillage aux armées , Les portes de Janus par vos mains font fermées î Ce que fous Cts Confuls on n'a vu qu'une fois , £t qu'a fait voir comme eux le fécond dt fes Pvois. M A X î M E. Les cliangcmens d'Etat que fait l'ordre célefle Necoiirentpoint defang , n'ont rien qui fcitfuneftc, C 1 N N A. C'eft un ordre des Dieux qui jamais ne fe rompt , De nous vendre bien cher les grands biens qu'il nous font. L'exil des Tarquins même enfanglanta nos terres 3 Lt nos premiers Confuls nous ont coûté des guerres, MAXIME. Donc votre aïeul Pompée au Ciel a réfifté ^ Qoand il a combattu pour notre liberté ? C I N N A. Si le Ciel n'eût voulu que Rome l'eût perdue. Par les mains de Pompée il l'auroit défendue ; Il a choiiî fa mort pour fervir dignement D'une marque éternelle à ce grand changement ^ Et devoit cette gloire aux mânes d'un tel homme j, D'emporter avec eux la liberté de Rome. Ce nom depuis long-temps ne fèrt qu'à l'éblouir^ Et fa propre grandeur l'empêche d'en jouir. 3r'ji{)uis qu'elle fe voit la maîtrefTe du monde , Depuis que la richefle entre fes murs abonde. Et que fon fein fécond en glorieux exploits Produit des citoyens plus puifTans que des Rois,- Les Grands pour s'affermir achetant les fuffrage^ , Tiennent pompeufement leurs Maîtres à leurs gag'SSy Qui par des fers dorés fe laiflant enchaîner , Reçoivent d'eux les loix qu'ils penfent leur donner,. £nvieux l'un de l'autre ils mènent tout par brigues. Qvi^ leur air.bition courue en fanglantes ligues. 178 C I N N A , Ainfi de Marius Sylla devint jaloux , Ccfar de mon Aïeul , Marc- Antoine de vous 3 Ainfi la lihercc ne peur plus ctrc utile Qu'a former L-s fureurs dune guerre civile , Lorfciue par un défordre à l'Univers fatal L'un ne vent point de maître, & l'autre point d'ccaî.' Seigneur , pour fauvcr Rome il faut qu'elle s u- niffe En la main dun bon chef à c|ui tout obéifTe. Si vous aimez encore à la favorifer, Otez-lui les moyens de fe plus divifcr. Sylla quittant la place enfin bien ufurpée. N'a fait qu'ouvrir le champ à Ccfar & Pompcc , Que le malheur des temps ne nous eût pas fait voir^ S'il eût dans fa famille afluré fon pouvoir. Qu'a fait du grand Céfar le cruel parricide , Qu'élever contre vous Antoine avec Lépidc, Qui n'eulTent pas détruit P^ome par les Romains j| Si Céfar eût lai fie l'Empire entre vas mains } Vous la replongerez en quittant cet Empire Dans les maux dont à peine encore elle refpirc 5 Et de ce peu , Seigneur , qui lui rcfte de fang iJne guerre nouvelle épuifera fon flanc. Que l'amour du pays , que la pitié vous touche ^ • Votre Rome à genoux vous parle par ma bouche. Confîdércz le prix que vous avez coûté , Non pas qu'elle vous croie avoir trop acheté : Des maui qu'elle a foufîerts elle eft trop bien payée/; Mais une jufte peur tient fon ame cfFrayée" Si jaloux de foa heur & las de commander. Vous lui rendez un bien qu'elle ne peut garder 3 S'il lui faut à ce prix en acheter un autre , Si vous ne préférez fon intérêt au vôtre , Si ce funefte don la met au défefpoir. Je n ofe dire ici ce que j'ofe prévoir. Confervez-vous , Seigneur, en lui laiiTant un maître^ Soas ^ui foD vrai boaheur commence de renaître^ TRAGÉDIE. 279 Et pour mieux afTiucr le bien commun êc tous , Donnez un fuccclfeur qui foit cJigne de vous. AUGUSTE. N'en délibérons pins , cette pitié l'emporte , Mon repos m\(\ bien cher , mais Rome eft la plus forte 5 Et quelcjue grand malheur qui m'en puiffe arriver , Je confens à me perdre afia de la fauver. Pour ma tranquillité mon coeur en vain foupirc, Cinna , par vos confeils je retiendrai l'Empire : Mais je le retiendrai pour vous en faire part 5 Je vois trop que vos cœurs n'ont point pour moi de fard , Et que chacun de vous dans l'avis qu'il me donne Regarde feulement l'Etat & ma perfonne -, Votre amour en tous deux fait ce combat d'cfprit. Et vous allez tous deux en recevoir le prix. Maxime , je vous fais Gouverneur de Sicile : Allez donner mes loix à ce terroir fertile j Songez que c'efc pour moi que vous gouvernerex ^ Et que je répondrai de ce que vous ferez. Pour époufe , Cinna , je vous donne vEmiliî , Vous fçavez qu'elle tient la place de Julie 3 Et que fi nos malheurs & la neceflicé M'ont fait traiter Ton père avec févérité , Mon épargne depuis en fa faveur ouverte Doit avoir adouci l'aigreur de cette perte. Voyez-là de ma part , tâchez de la gagner , Vous n'êtes point pour elle un homme à dédaigner y, De l'offre de vos vœux elle fera ravie. Adicii, i'cû veux porter la nouvelle à Livie» -^ H vj iSo C I N N A, =r>è;^^Li^. ,=^ SCENE II. C 1 N N A , M A X 1 M E; M A X I M E. \J Ucl cft votre delTcin après ces beaux difcours ^ ^^ e I N N A. Le même que j'avois & que j'aurai toujours, MAXIME. Un chef de conjurés flatte la tyrannie l C I N N A. Un chef de conjures la veut voir impunie l M A X I M E. Je Veux voir Rome libre. C I N N A. Et vous pouvez jugci Que je veux l'affranchir çnfemble & la venger. Oclave aura donc vu fes fureurs alTouvies, Pillé jufqu'aux autels , facrifié nos vies. Rempli les champs d'horreur , comblé Rome dô- morts , Et fera quitte aprè-s pour l'effet d'un remords ? Quand le Ciel par nos mains à le punir s'apprête , Un lâche repentir garantira fa tête l C'cfl trop femer d'appas , & c'eft trop inviter Par fon impunité c]uclque autre à l'imiter. Vengeons nos chtoyens , Se que fa peine étonne Quiconque après fa mort afpire à la couronne , Que le peuple aux tyra-.is ne foit plus expofé : S'il car puçi Sylla , Céfar eut moins ofé. MAXIME. Mais la mort de Céfar que vous trouvez Ci jufle A fçryi de prétçjcc aux cruautés d'Augufte ^ TRAGÉDIE. i^x Voulant nous affranchir Brute s'eft abiifé ; S'il n'eût puni Céfar , Aue;ufte eût moins ofc, C I N N A. la faute de Caflîe &c Ces terreurs paniques Ont fait rentrer l'Etat fous des loix tyranniques ^ Mais nous ne verrons point de pareils accidens , Lorfque Rome fuivra des chefs moins imprudens, M A X I M E. Nous (bmmcs encor loin de mettre en évidence Si nous nous conduirons avec plus de prudence 5 Cependant c'en cft peu que de n'accepter pas Le bonheur qu'on recherche au péril du trépas, C I N N A. C'en efl encor bien moins , alors qu'on s'imagina Guérir un mal fi grand fans couper fa racine. Employer la douceur à cette guérifon, C'eft en fermant la plaie y verfer du poifco. MAXIME. Vous la voulez fanglante , & la rendez douteufé. C I. N N A. Vous la voulez fans peine , & la rendez honteu(è, MAXIME. Pour fortir de fcs fers jamais on ne rougit, C I N N A. On en fort lâchement fi la vertu n'agit. MAXIME. Jamais la liberté ne ce/Te d'être aimable. Et c'eft toujours pour Rome un bien ineftimabiCa. C I N N A. Ce ne peut être un bien qu'elle daigne eftimer Quand il vient d'une main laffe de l'opprimer ^ Elle a le cœur trop bon pour fe voir avec joie Le rebut du tyran dont elle fut la proie ; Et tout ce que la gloire a de vrais partifans Le hait trop puiflamment pour aimer fes préfens; MAXIME. IDouc pour vous ^^jiiiliç eft vm objet de hainç^ iSi C I N N A, C I N N A. La recevoir Je fui me femit une î^éne ; Mais quand j'aurai vengé Rome des maux foufTertS ^ Je fçaurai le braver ^ufqucs dans les enfers. Oui , quand par Ton trépas je l'aurai méritée. Je veux joindre à (a main ma main enfanglantéc , L'époufei fur fa cendre , Se qu'après notre efForc Lqs préfens du tyran foient le prix de fa mort. MAXIME. Mais Tapparence, ami, que vous puifîiez lui plaire Teint du fang de celui qu'elle aime comme un perd Car vous n'êtes pas homme à la violenter. C I N N A. Ami 5 dans ce Palais on peut nous écouter ', Et nous parlons peut-être avec trop d'imprudence Dans un lieu fi mal propre à notre confidence. Sortons 3 qu'en sûreté j'examine avec vous. Pour en veair à bouc, les moyens les plus doax* Fin du fécond Acïc* TRAGÉDIE, 183 ^'. ==^=^.gL-^_ ?^ ACTE I I L SCENE PREMIERE. MAXIME, EUPHORBE. MAXIME. I iTTi-memp il m'a tout dit, leur flamme efi: mutuelle, II adore Emilie , il eft adoré d'elle 3 Mais fans venger Ton père il n'y peut afpirer. Et c'cft pour l'acquérir qu'il nous fait conlpirer, EUPHORBE. Je ne m'étonne plus de cette violence Dont il contraint Augufte à garder fa puifranct3 Là ligue fe romproit s'il s'en étoit démis , Et tous vos conjurés dcviendroient Tes amis. MAXIME. Ils fervent à Tenvi la paflion d'un homme Qui n'agit que pour foi feignant d'agir pour Pvome j Et moi par uu malheur qui n'eut jamais d'égal , Je penfe fervir Rome , & je fers mon rivai. EUPHORBE. Vous êtes foa rival 1 MAXIME. Oui , j'aime fa maîtieiTe , Et l'ai cache toujours avec alTez d'adrefTe. Mon ardeur inconnue avant que d'éclater Par quelque grand exploit la vouloit mériter : Cependant par mes mains je vois qn'il me l'enleve | Son deflein fait ma perte, & c'eft nwsi qui l'achevé. J'avance des fuccès dont j'attends le trépas ^ Et pour ra'aflailiuei je lui prête nion bras. i84 C I N N A, Que l'amitic^ me plonge en un mallKur extrême l EUPHORBE. L'irPje en cftaifse, agllP^z pour vous-mcmc. D'un deflein (]ui vous perd rompez le coup fatal ^ Gagnez une maîtrcfTc accufant un rival. Augdfte à qui par-là vous fauvcrcz la vie, Ke vous pourra jamais refufer iïmilie. MAXIME. Quoi , trahir mon ami l EUPHORBE. L'amour rend tout permis i "Un véritable amant ne counoît point d'amis. Et jnèmc avec jufticc on peut trahir un traître Qui pour une maîtrcfic ofe trahir Ton maître» Oubliez l'amitié comme lui les bienfaits. MAXIME. C'cfl: un exemple à fuir cjue celui des forfaits, EUPHORBE. Contre un fi noir deffein tout devient légitime. On n'cft point criminel quand on punit un crime». MAXIME. Un crime par qui Rome obtient fa liberté l EUPHORBE. Craignez tout d'un cfprit f\ plein de lachettr. Lintérct du pays n'cft point ce qui l'engage , Le fîen & non la gloire anime fon courage 3 Il aimeroit Céfar s'il n'étoit amoureux 5 £c n'cft enfin qu'ingrat & non pas généreux. Penfez-vous avoir lu jufqu'au fond de fon ^me ^ Sous la caufc publique il vous cachoit fa flamme j Et peut cacher cncor fous cette pafTion Les déteftablcs feux de fon ambition. Pcut-ctre qu'il prétend après la mort d'Ocflave , Aa lieu d'affranchir Rome , en faire fon efclayc ^ Qu'il volts compte déjà pour un de fes fujets , pu que fur Yotte f erte U fonde ks projets». TRAGÉDIE. i8ï MAXIME. Mais comment l'accufer fans nommer tout" le relie • A tous nos Conjures l'avis feroit funefle , Et par-là nous verrions indignement trahis Ceux qu'engage avec nous le fcul bien du Pays. D'un (i lâche delfcin mon ame eft incapable , Il perd trop d'innoccns pour punir un coupable ; J'ofe tout contre lui , mais je crains tout pour cur, EUPHORBE. Augufte s'eft lalTc d'être fi rigoureux ; Ea czs occafions ennuyé de fupplices , Ayant puni les chefs il pardonne aux complices. Si toutefois pour eux vous craignez Ton courroux , Quand vous lui parlerez , parlez au nom de tous. MAXIME. Nous difputons en vain , & ce n'eft que folie De vouloir par fa perte acquérir Emilie 5 Ce n'eft pas le moyen de plaire à fes beaux yeux Que de priver du jour ce qu'elle aime le mieux., Pour moi j'eftirac peu qu'Augufte me la donne , Je veux gagner Ton cœur plutôt que fa perfonnc , Et ne fais point d'état de fa poiTenion Si je n'ai point de parc à fon affcdion. Puis-jc la mériter par une triple offenfè? Je trahis fon amant , je détruis fa vengeance , Je conferve le fang qu'elle veut voir périr , Et j'aurois quelque efpoir qu'elle me piit chérir î EUPHORBE. C'eft ce qu'à dire vrai je vois fort difficile 5 L'artifice pourtant vous y peut être utile , II en faut trouver un qui la pui(Te abufer , Et du relie le temps en pourra difpofcr. MAXIME. Mais Cl pour s'excufcril nomme fa complice. S'il arrive qu'Augufte avec lui la punifTe , Puis-je lui demander pour prix de mon rapport Celle ^ui nous oblige à confpirer fa mort 3 •j86 C I N N a, EUPHORBE. Vous pourriez m'oppofcr laju & cie tels o'oflacîcs. Que pour les farmontcr ii faïujroit des miracles. J'cfpcre toutefois c]irà force d*y rcver .... MAXIME. Eioiguc-toi, dans peu j'irai ic retrouver : Cinna vient , & je vcj\ en tirer quelcjac chofe , l'tfur mieux réLoadre api es ce que je me propofc. .>*^^*^fi^*< «r ^ ■ , ■ ■ ■ • Et quoi qu'on entrepenne & quoi qu'on exécute ,' Quand il élevé un trône , il en venge la chute j Il Ce met du parti de ceux qu'il fait régner , Le coup dont on les tue eft long-temps à faigner; Et quand à les punir il a pu fe rcfoudre. De pareils châtimens n'appartiennent qu'au foudre* EMILIE. Dis que de leur parti toi-même tu te rends. De te remettre au foudre à punir les tyrans. Tome /. j !94 C I N N A, Je ne t'en parle plus , va , fers la tyrannie , Abandonne ron amc à Ton lâche çrcmc ; l.t pour rendre le calme à ton cfpric flottant. Oublie & ta naiiFancc & le prix qui t'attend. Sans emprunter ta main pour fervir ma colère , Je fçaurai bien venger mon pays ôc mon pere<, J'aurois déjà l'honneur d'un fi fameux trépas. Si l'amour jufciu'ici n'eût arrêté mon bras. C'cft lui qui fous tes loix me tenant aficrvie Xl'a fait en ta faveur prendre foin de ma vie ; Seule contre un tyran en le faifant périr, ^"'ar les mains de fa Garde il me falloir mourir , Je t'cuife par ma mort dérobé ta captive; Et comme pour toi fcul l'amour veut que je vive , J'ai voulu , mais en vain , me conferver pour toi , Et te donner moyen d'ctrc digne de moi. Pardonnez-moi , grands Dieux , û je me fuis trom- pa'" », Quand j'ai penfé chérir un neveu de Pompée j Et fi d'un faux-femblant mon efprit abufé A fait choix d'un efclave en fon lieu fuppofc^. Je t'aime toutefois , quel que tu puilîe être ; Et fi pour me gagner il faut trahir ton maître ," Mille autres à l'envi recevroicnt cette loi , S'ils pouvoicnt m'acquérir à mcmc prix que toi. ïviais n'appréhende pas qu'un autre ainfi m'obtienne; Vis pour ton cher tyran , tandis que je meurs tienne, Mes jours avec les ficns fe vont précipiter , Puiù'ue ta lâcheté n'ofe me mériter. 'Viens me voir dans fon fang & dans le mien baignée,' De ma feule vertu mourir accompagnée ; Et te dire en mourant d'un efprit fatisfait: I^'dccufe point mon fort , c'eft toi feul qui l'a fait ; Je defcends dans la tombe ou tu m'as condamnée ^ Oîi Id gloire me fui: qui t'étoit dcjîinée , Je meurs £n détruifant un pouvoir abfolu ,* Mais je vivrais a toi fi tu i'ayois \oulu% TRAGÉDIE.' 19J C I N N A. Hc bien , vous le voulez , il faut vous fatisfairc ^' ÎI faut affranchir Rome , il faut venger un perc , Il faut fur un tyian porter des juftes coups ^ Mais apprenez qu'Auguftc cfl moins tyran que vous.* S'il nous ôre à fon gré nos biens , nos jours , nos femmes , îl n'a point jufqu'ici tyrannifé nos âmes; Mais J'empire inhumain qu'exercent vos beautés Force jufqu'aux cfprits 8c jufqu'aux volontés. Vous me faites prifcr ce qui me deshonore , Vous me faites haïr ce que mon amc adore , Vous me faites répandre un fang pour qui je doÎ5 Expofer tout le mien & mille & mille fois y Vous le voulez , j'y cours , ma parole efl: donnée ; Mais ma main aullî-tôt contre mon fein tournée , Aux mânes d'un tel Prince immolant votre amant -> A mon crime forcé joindra mon châtiment , Ht par cette adion dans l'autre confondue Recouvrera ma gloirx; au/fi-tôc que perdue. Adieu. --^ SCENE V. JE M I L I E , F U L V I E, F U L V I E. V. Ous avez mis Ton ame au défefpoir^ EMILIE. Qu'il cefle de m'aimer ou fuivc fou devoir, F U L V I E. 11 va vous obéir au dépens de fa vie. Vous en pleurez ? M ïcp C î N N A, it M I L I E. Hclas l cours aprcs lui , Fuivic î Er fi ton amitié daigne me fccouiir , Ariache-Iui du cœur ce dcffcin de mourir, Djs-lui F U L V I E. Qu'en fa faveur vous lailfez vivre Augufte 2 it M I L I E. Ah ! c'cfl: faire à ma haine une loi trop injufle. F U L V I E. Et quoi doue ? iE M I L I E. Qu'il achevé & dégage fa foi , Et qu'il choiiîfle après de la mort ou de fflol. Fin du troijîeme Aâe* I TRAGÉDIE. m ACTE IV. SCENE PREMIERE, AUGUSTE, EUPHORBE^ POLYCLETE, Gaidcs. AUGUSTE. JL Out ce que tu me dis , Euphorbe , efl incroyable,' EUPHORBE. Seigneur , le récit mcaie en paroît effroyable , On ne conçoit quà peine une relie fureur , Et ia feule penfce en fait frémir d'horreur. AUGUSTE. Quoi , mes plus chers amis l quoi , Cinna î quoi ,' Maxime î Les deux que j'honorois d'une Ci haute eftime, A qui j'ouvrois mon cœur , & dont j'avois fait cho''t Pour les plus importans &i plus nobles emplois ! Après qu'entre leurs mains j'ai remis mon Empire, Pour m'arracher le jour l'un & i'aiurc confpire l Maxime a vu fa faute , il m'en fait avertir , Et montre un coeur touché d*un jufte repentir : Mais Cinna l EUPHORBE. Cinna feul dans fa rage s'obftine^ Et contre vos bontés d'autant plus fe mutine j. Lui feul combat encor les vertueux efforts Que fur les conjurés fait ce jufte remords ; Et malgré les frayeurs à leurs regrets mêlées , 11 tâche à lafTcrmir leurs amçs ébranlées. ' liij > tc)? C î N N A, AUGUSTE, lui feul les encourage & lui feul les féJuic O le plus déloyal que la terre aie piodiiic l O trahifon connue au fcin d'une Furie 1 O trop fenfible coup d'une main fi chérie! Cinna , tu me trahis l rol)'clete, écoutez. ( // lui parle a l'oreille. ) POLYCLETE. Tous vos ordres , Seigneur , feront cxécuit's. AUGUSTE. Qu'Eraftc en mcme-temps aille dire à Maxime Qu'il vienne recevoir le pardon de Ton crime, SCENE IL AUGUSTE, EUPHORBE, EUPHORBE. I L l'a trop jugé grand pour ne pas s'en punir. A peine du Palais il a pu revenir. Que les yeux égarés & le regard farouche , le cœur gros de foupirs , les fanglots à la bouche ^ Il détefte fa vie , & ce complot maudit , M'en apprend l'ordre entier tel que je vous l'ai dit ;, Et m'ayant comnaandé que je vous avcrtiffe. Il ajoute : Dis -lui que je me fais jujîice , Q^ue je n'ignore point ce que f ai mérité ; Puis foudain dans le Tibre il s'cft précipité , Dont l'eau grolTe & rapide &: la nuit affez noire M'ont dérobé la fin de fa tragique hiftoire. AUGUSTE. Sous ce prefTr.nt remords il a trop fucccmbé. Et s'cft à mes bontés lui-racme dérobé j TRAGÉDIE. 29^ Il n'efl crime envers moi (]u'un repentir n'ctîace j Mais puifqu'il a voulu renoncer à ma grâce , Allez pourvoir au rcfte , & faites qu'on ait foia De tenir en lieu sûr ce fiJcle témoin. SCENE I I L AUGUSTE féuU V-^ Tel , à qui voulez- vous déformais que je fie Les fecrcts de mon ame & le foin de ma vie^ Reprenez le pouvoir que vous m'avez commis , Si donnant des fujcts il ôte les amis. Si tel ell: le deftin des grandeurs fouvcraines Que leurs plus grands bienfaits n'attirent que des haines 5 Et fî votre rigueur les condamne à chérir Ceux que vous animez à les faire périr. Four elle rien n'cft sûr 5 qui peut tout doit ton: craindre. Rentre en toi-même, Oélave, écceffe de te plaindre ; Quoi 1 tu veux qu'on l'épargne & n'as rien épargné l Songe aux fleuves de fang où ton bras s'cfl: baigné , De combien ont rougi les champs de Macédoine , Combien en a verfé la défaite d'Antoine , Combien celle de Sexte , & revois tout d'un temps réroufe au ficn noyée & tous fes habitans. Remets dans ton efprit , après tant de carnages , De tes profcriptions les fanglantes images Où toi-même des tiens devenu le bourreau. Au fein de ton tuteur enfonças le couteau ; Et puis ofe accufer le deftin d'injuftice. Quand tu vois que les tiens s'arment pour ton fup« plice 5 Et que par ton exemple à ta perte guidés Ih violent les droits que tu n'a pas gardés. l iv -aoô C I N N A, Leur trahiTon efl: juftc & le Ciel raucorifc; Quitte t.i dignité comme tu l'as acquifc y RcikIs un far.g infî>le!c à l'infidélité , £t foulFic des ingrats après l'avoir été. Mais que mon jugement au befoin m'abandonne \ Quelle fureur , C inna , m'accufe & te pardonne l Toi , dfvn la trahi Ion me force à rîteoir Ce pouvoir (buverain dont tu me veux punir , Aie traite en criminel & fait feule mon crime , Kclevc pour Tabattrc un trône illégitime 5. Et cTnn zèle effronté couvrant fon attentat, S'oppofe pour me perdre au bonheur de l'Etat "i Donc jufqu'à l'oublier je pourrois me contraindre \ Tu vivrois en repos après m'nvoir fait craindre l Non , non , je me trahis moi-même d'y penfer j îQui pardonne aifément invirc à l'ofFenfcr , PunifTons l'a/Taflla, profcrivons le; complices. Mais quoi l toujours du fang & toujours des Tup- pli ces î Ma cruauté fe laffe & ne peut s'arrêter , Je vc.ix me faire craindre & ne fais qu'irriter; Rome a pour ma ruina une hy^-e trop fcirile , Vue tête coupée en fait renaître mille 5 Et le fang répandu de mille conjurés Kend mes jours plus maudits & ron plus aiTuréç. 0(5lnve , n'attends plus le coup d'un nouveau Brute , Meurs & dérobe-lui la gloire de ta chiite , Meurs , tu ferois pour vivre un lâche & vain effort. Si tant de gens de cœur font nés vœux pour ta more j Et fi tout ce que Rome a d'illuftre jeuneffe Pour te faire périr tour-à-tour s'intérefic : Meurs , puifque c'cft un mal que tu ne peux guérir j Meurs enfin puifqu'ii faut ou tout perdre ou mourir^ La vie eft peu de chofe , & le peu qui t'en reftc Tse vaut pas l'acheter par un prix fi funeflc , Meurs. Mais quitte du moins la vie avec éclat, Eteifii-en le flambeau dans Iç fang de i'ingra-t j T Pc A G È D I E, 101 A tal-même en mouiant immole ce perfide ^ Contentant tes defirs puni Ton parricide , Fais un tourment pour lui de ton propre tre'pas , En faitant qu'il le voie Se n'en jouiiîe pas. IVlais joullFons plutôc nous-mêmes de fa peine j Et fi Rome nous hait , triomphons de fa haine. O Romains 1 6 vengeance I 6 pouvoir abfohi \ O rigoureux combat d'un ccpur irrcfolu Qui fuit en même-temps tout ce qu'il le propofe , D'un Prince malheureux ordonnez quelque chofe. Q'vri des deux dois-je fuivre , & duquel m'éloigncr } Ou lailTcz-moi périr , ou laifl'ez-raoi régner,. ^^(C ''^™^"*" ny?T**''*^-Si"J. M SCENE IV. A U G U s T E , L I V I E. AUGUSTE. Adame , on me trahit, & la main qui me tue Rend fous mes déplaifirs ma confiance abattue, Cinna , Cinna , le traître. . . . L I V I E. Euphorbe m'a tout dit j Seigneur, & j'ai pâli cent fois à ce récit. Mais écouteriez- vous les confcils d'une femme ^ AUGUSTE, Hélas l de quel confcil eft capable mon ame ^ L I V I E. Votre févérité , fans produire aucun fruir. Seigneur , jufqu'à préfent a fait beaucoup de bruic^- Par les peines d'un autre aucun ne s'intimide ;>. Salvidien à bas a foulevé Lépide 5 Murène a fuccédé , Cépion l'a fuivi ; ^ jpur à tous. les deux- dans les tourmens ravi 202 C I N N A ; N'a point mélc de crainte à la fureur cî'Egnacc ^ Dont Cinna maintenant ofc prendre la place ; Et dans les plus bas rangs les noms les plus abjctS- Ont voulu s'ennoblir par de û hauts projets, Après avoir en vain puni leur infolencc , Elfayez fur Cinna ce que peut la clémence, Faites Ton châtiment de fa confufion , Cherchez le plus utile en cette occafîon.. Sa peine peut aigrir une ville animée. Son pardon peut fervir à votre renommée j. Et ceux c]ue vos rigueurs ne font cju'efFaroucher rcu:-étre à vos bontés fe lailTcront toucher. AUGUSTE. Gagnons-les tout-à-fait en quittant cet Empire Qui nous rend odieux , contre qui l'on confpirc J 3'ai trop par vos avis confulté là deiTus , Ne m'en parlez jamais , je ne confulté plus. CefTc de foupircr , Rome , pour ta franchife , Si je t'ai mife aux fers , moi-même je les brife , Et te rends ton Etat , après l'avoir conquis , Plus paifible & plus grand que je ne te l'ai pris. Si tu me veux haïr , hais-moi fans plus rien feindre ^ Si tu me veui aimer , aime-moi fans me craindre j- De tout ce qu'eut Sylla de puiflance &c d'honneur^ lafTé comme il en fut j'afpire à fon bonheur. L I V I E. Affez & trop long-temps fon exemple vous flatte j Mais gardez que fjr vous le contraire n'éclate >, Ce bonheur fans pareil qui conferva fes jours Ke feioit pas bonheur , s'il arrivoit toujours. AUGUSTE. m bien , s'il cft trop grand , fi j'ai tort d'y pré-» tendre , 3'£*bandonne mon fang à qui voudra l'épandre. Après un long orage il faut trouver un port, 2r je n'en vois que deux , le r^pos ou la mciu TRAGÉDIE. 205 L I V I E. Quoi ! vous voulez quitter le fruit cîe tant de peines l AUGUSTE. Quoi ! vous voulez garder l'objet de tant de haines l L I V I E. Seigneur , vous emporter à cette extrémité , C'crt plutôt défefpoir que gcnérofité. AUGUSTE. Régner & careflcr une main fi traîtrelfe , Au lieu de fa vertu c'eft montrer fa foiblefle. L I V I E. C'eft régner fur vous-même , & par un noble choix- Pratiquer la vertu la plus digne des Rois. AUGUSTE. Vous m'aviez bien prorais des confeils d'une femme y Vous me tenez parole , & c'en font-là , Madame» Apiès tant d'ennemis à mes pieds îîbattus Depuis vingt ans je règne , & j'en fçais les vertus ^ Je fçais leur divers ordre , & de quelle nature Sont les devoirs d'un Prince en cette conjoncturç. Tout fon peuple elt bleffé par un tel attentat , Et la feule penfée eft un crime d'Etat, Une oiFenfe qu'on fait à toute fa province , Dont il faut qu'il la venge ou czff^ d'être Piinçs^ L 1 V I E. Donnez moins de croyance à votre paiïïon, AUGUSTE. Ayez moins de foiblelTe ou moins d amt>îtion» L I V I E. Ne traitez pas Ci mal un confeil falutairc, AUGUSTE. Le Ciel m'infpirera ce qu'ici je dois fairc.| Adiçu, nous perdons temps. L I Y I E. Je ne vous quitte point'J, Seigneur , qus.mon amour n'ait obtenu ce poinr, - 104 C r N N A, AUGUSTE. Ccft l'aniouidcs grandeurs qui vous rend importun^^ L I V ï E. 7'aime votre perfonne & non votre fortune, ( Seule. ) îl m'échappe , fuivons &: forçons-le de voir Qu'il peut en faifanc grâce affermir fou pouvoir y Et qu'enfin la clémence efl: la plus belle marque Qui faife à l'Univers connoître un vrai Monarcjuci ^i^^isQ!h'il-^\ ' . — . . =?r i« D SCENE V. iE M I L I E , F U L V I E. iE M I L I E. 'Où me vient cette joie , & que mal-à-propos Mon efprit malgré moi goûte un entier repos 1 Céfar mande Cinna fans me donner d'alarmes! Mon cœur efl fans foupirs , mes ycax n'ont point it iarmes , Comme (\ j'apprenofs d'un fccret mouvement Que tout doit fuccéder à mon contentement l Ai-je bien entendu ? Me l'as-tu dit, îulvic > F U L V I E. J'avoiî gagné fur lui qu'il aimcroit la vie , £t je vous i'amenois plus traitable & plus doux ?aire un fécond effort contre votre courroux. Je m'en appIaudi/Tois , quand fouda-in Polycletc, Des voloni'és d'Augufle ordinaire interprète', Effc venu i'abordcr & fans fuite & fans bruits Et de fa part fur l'heure au Palais l'a conduit, Aïigufte cO: fort rrc^j-blé : l'on ignore la caufe > Clii^Uû diveirçiïicni ibupçonns quelque çh^fcô. TRAGÉDIE. 50^ 'fous prctumcnt qu'il ait un grand fujet d'ennui , £t qu'il mande Cinna pour prendre avis de lui. Mais ce qui m'cmbarrafle & que je viens d'apprendre ^ C'ell: que deux inconnus fe font faifis d'Evandre, Qu'Euphorbe cil: arrêté fans qu'on fçache pourquoi \(. Que même de Ton maître on dit je ne fçais quoi 3 On lui veut imputer un dcfefpoir funefte , On parle d'eaux , de Tibre , & l'on fe tait da rçffe; EMILIE. -Que de fujets de craindre £i. de défefpérer. Sans que mon trifte coeur en daigne murmurer L A chaque occafion le Ciel y fait defcendre Un fenriment contraire à celui qu'il doit prendre, "Une vaine frayeur tantôt m'a pu troubler 5 Et je fuis infenfible alors qu'il faut trembler. je vous entends , grands Dieux j vos bontés qu^ j'adore "Kc peuvent conlentir que je me déshonore , Et ne me permettant foupirs , fanglots , ni pleurs». Soutiennent ma vertu contre de tels malheurs. Vous voulez que js. meure avec ce grand courage Qui m'a fait entreprendre un fî fameux ouvrage;,. Et je veux bien périr comme vous l'ordonnez , Et dans la même affiette où vous me retenez. O liberté de Rome l 6 mânes de mon père i J'ai f^ic de mon côté tout ce que j'ai pu faire , Contre votre tyran j'ai ligué fcs amis , Et plus ofé pour vous qu'il ne m'étoit permis. Si l'efTet a manqué , ma gloire iVeft pas moindre j^, K'ayant pu vous venger je vous irai rejoindre j Mais il fumante encor d'un généreux courroux^, Par un trépas fi noble & fi digne de vous , ■Qui! vous fera fur l'heure aifément rcconnoîtrc- ie fang des graiids héfos dont vous iuay^ fait aaîtrci io6 C I N N A; SCENE VI. M A X I M E, i£ M I L I E , F U L V I E, EMILIE. J.VJ. Ais je vous vois , Maxime , & l'on vous faifoiî mort l MAXIME. Euphorbe trompe Augufte avec ce faux rapport , Se voyant arrccc , la trame découverte , îl a feint ce trépas pour empêcher ma perte, EMILIE. Que dit-on de Cinna? MAXIME. Que fon plus grand regret C'cft de voir que Ccfar fçait tout votre fecret, în vain il le dénie ôc le veut méconnoître , Evandre a tout conté pour excufer fon maître j- ît par l'ordre d'Augufte on vient vous arrêter, Emilie. Celui c|ui l'a reçu tarde à l'exécuter , Je fuis prête à le fuivrc & lalTe de l'attenckc, MAXIME. 21 vous attend chez moi. EMILIE. Chez vous ? MAXIME. C'eft vous furprencîre^ îviais apprenez le foin que le Ciel a de vous 3 C'ed: un des conjurés qui va fuir avec nous, prenons notre avantage avant qu'on nous pourfuivc^ î4oiis avons pour partir un vaiiTeau fur lariyç. TRAGÉDIE. ao7 EMILIE. Me connois-tu , Maxime , & fçais-tu qui je fuis l MAXIME. . En faveur de Cinna je fais ce que je puis ;, Et tâche à garantir de ce malheur extrême La plus belle moitié qui refte de lui-même. Sauvons-nous , iî.milie , & confcrvons le jour Afin de le venger par un heureux retour. EMILIE. Cinna dans (on malheur eft de ceux qu'il faut fuivrc. Qu'il ne faut pas venger de peur de leur furvivrc. Quiconque après fa perte afpire à fe faiivcr Eil indigne du jour qu'il tâche à confcrver. MAXIME. Quel dércfpoir aveugle à ces fureurs vous porte ? O Dieux , que de foiblelTe en un ame fi forte l Ce cœur il généreux rend il peu de combat , Et du premier revers la fortune l'abat l Rappeliez , rappeliez cette vertu fublime , Ouvrez enfln les yeux , 8c connoilfez Maxime , C'eft un autre Cinna qu'en lui vous regardez , Le Ciel vous rend en lui l'amant que vous perdez ^. Et puifque l'amitié n'en faifoit plus qu'une ame^ ^ Aimez en cet ami l'objet de votre flamme. Avec la même ardeur il fçaura vous chérir. Que. , . . j£ M I L I E. Tu m'ofes aimer , &: tu n'ofes mourir! Tu prétends un peu trop , mais quoi que tu préten- des , Rends-toi digne du moins de ce que tu demandes , Cefle de fuir en lâche un glorieux trépas. Ou de m'offrir un coeur que tu fais voir fî basî Fais que je porte envie à ta vertu parfaite , Ne te pouvant aimer , fais que je te regrette ,. Montre d'un vrai Romain la dernière vigueur^,. Et méiice mes pleurs au défaut de. mon cœm». loS C I N N A, Quoi '. /î ton amitié pour Cinna s'intcrcnc , Crois-ru cju'clle confiAc à flatter famaîtrcirc? -Apprends , apprends de moi quel en cft le devoir ^ Et donne-m'en l'exemple , ou viens le recevoir. MAXIME. Votre jurte douleur eft trop impctueufc. .£ M 1 L I E. La tienne en ra faveur cft trop ingaiieufc. Tu me parles déjà d'un bien heureux retour , Et dans tes déplai/îrs tu conçois de l'amour. M A X I M E. Cet amour en nailfant efl: toutefois extrême , C'eft votre amant en vous, c'cfi: mon amiquej'aim.c^ Et des mêmes ardeurs dont il fut cmbrafé EMILIE. Maxime , en voilà trop pour un homme avifc. Ma perte m'a furprife &: ne m'a point troublée ^ Mon noble défefpoir ne m'a point aveuglée , Ma vertu toute entière agit fans s'émouvoir , Et je vois malgré moi plus que je ne veux voir, MAXIME. Quoi! vous fuis- je fufped de quelque perfidie ? EMILIE. Oui , tu l'es , puifqucnfin tu veux que je le di^è,- L'ordre de notre fuite efl: trop bien concerté. Pour ne te foupçonner d'aucune lâcheté. Les Dieux feroicnt pour nous prodigues en mira-^ clés , S'ils en avoient fans toi levé tous les obftacles. Luis fans moi , tes amours font ici fuperflu^. MAXIME. Ah ! vous m'en dites tron. .£ M I L I E. J'en préfume cncor plus; Ne crains pas toutefois que j'éclate en injures j *daJLS r*';fperç r«Qa pluj nVéblouir de garjures^ 'TRAGÉDIE. 209 Si c'cft te faire torr c|uc de m'en défier , Viens mourir avec moi pour te jullifîer. M A X I M E. Vivez , belle i£milic , Si. fouffrez qu'un efclavc. ^.» EMILIE. Je ne t'écoute plus qu'en préfence d'Octave. Allons , Fui vie , allons. SCENE VII. MAXIME feul. D Ercfpcré, confu<;. Et digne, s'il fe peut , d'un plus cruel refus , Que rcfous-tu , Maxime , & quel eft le fupplicc Que ta vertu prépare à ton vain aniSjce : Aucune illufion ne te doit plus flatter , itrr.ilic en mourant va tout faire éclater , Sur un mcme échafaud la perte de fa vie Etalera fa gloire & ton ignominie ; Et fa mort va laiiTcr à la pofiérité L'infâme fouvenir de ta déloyauté. Un même jour t'a vu par une faufTe a<îrefîe , Trahir ton Souverain , ton ami , ta maîtrelFe ^ Sans que de tant de droits en un jour violés. Sans que de deux amans au tyran immolés , Il te rcfle aucun fruit que la honte & la rage Qu'un remords inutile allume en ton courage. Euphorbe , c'eft l'efFet de tes lâches confeils , Mais que peut-on attendre enfin de tes pareils l Jamais un affranchi n'cft qu'un efclave infâme , Bien qu'il change d'état, il ne change point d'arae 5 La tienne encor fetvile avec la liberté N*a pu prendre mi rayoo de généroficé. iin C I N li A; Tu m'as fait relever une injuftc puifTancc ,' Tu m'as fait démentir l'hoiincur de ma naiiïancc^ Mon cccur te rcfiftoic , di tu l'as combattu Jufqu'à ce que ta fourbe ait fouille fa vertu ; U m'en coûte la vie , il m'en coûte la gloire , Et j'ai tout mérite pour t'avoir voulu croire. Mais les Dieux permettront à mes rcircnrimcno De te facrifier aux yeux des deux amans ; Et j'ofe m'aiTurer qu'en dépit de mon crime Mon fang leur fervira d'alfez pure vidimc. Si dans le tien mon bras juftement irrite Peut laver le forfait de t'avoir écouté. JE in du q^uatriemc Acîe* TRAGÉDIE. m ACTE V. SCENE PREMIERE* AUGUSTE, CINN A. AUGUSTE. p Rends un fîcge , Cinna , & fur toute cliofc Obfervc exadcmcnt la loi que je t'impofe j Prcte fans rae troubler l'oreille à mes difcours , D'aucun mot, d'aucun cri n'en interromps le cours 5 Tiens ta langue captive , & fi ce grand filence A ton émotion fait quelque violence , Tu pourras me répondre après tout à loifir. Sur ce point feulement contente mou defir.. CINNA. Je vous obéirai > Seigneur. AUGUSTE. Qu'il te fouvîenne De garder ta parole , & je tiendrai la mienne. Tu vois le jour , Cinna , mais ceux dont tu le tiens Furent les ennemis de mon perc & les miens , Au milieu de leur camp tu reçus la naiffance ; Et lorfqu'après leur mort tu vins en ma puiiTancc ^ Leur haine enracinée au milieu de ton fcin T'avoic mis contre moi les armes à la main. Tu fus mon ennemi même avant que de naître ^ Et tu le fus encor quand tu me pus connoître> Et l'inclination jamais n'a démenti Ce fang qui t'avoit fait du contraire parti > Autant que tu l'as pu les effets l'ont uivie , Je ne m'en fuis vengé q^u'en te donnant la. vie:: lii C I N N A, Je te fis prifonnicr pour te combler de bicti?; , >ia Cour fut ta prifon , mes faveurs tes liens , Je te rcflituai d'abord ton patrimoine. Je t'enrichis après des dépouilles d'Antoine, Et tu fçais que dopuis à chaque occafion Je (uis tombé pour toi dans la profiifion. Toutes les dig.iités qu'i tu m'as demandées. Je te les ai fur l'heure & fans peine accordées 5 Je t'ai préféré même à ceux dont les parcns Ont jadis dans mon can'ip tenu les premiers rangç, A ceux qui de leur fang m'ont acheté l'Empire , Et qui m'ont confervé le jour que je refpircj De la façon enfin qu'avec toi j'ai vécu , Les vainqueurs font jaloux du bonheur du vaincu^ Quand le Ciel me voulut en rappcllant Mécène , j^près tant de faveurs montrer un peu de haine. Je te donnai fa place en ce trifle accid;;nt , Et te fis après lui mon plus cher confident. Aujourd'hui même cr.cor mon ame irréfolue Me prelTant de quitter ma puifiance abfolue. De Maxime & de toi j'ai pris les feuls avis , Et ce font malgré lui les tiens que j'ai fuivis. Bien plus , ce même jour je t^ donrre ^miliî , Le digne objet des vœux de toute l'Italie, Et cjj'ont mifc fi haut mon amour & mes foin? , Q.i'en te couronnant Roi je t'aurois donné moins. Tu t'en fouviens , Cinna 5 tant d'heur &c tant dt f»;loire Ne peuvent pas fi-tot fortir de ta mémoire j Mais ce qu'on ne pourroit jamais s'imaginer, Cinna , ai t'en fouviens , & veux m'alîainncr l CINNA. Moi ,Scig!ieur, moi , que j'eulTc une amcfiiraurcire î Qu'un Cl ikhe delfcin AUGUSTE. Tu tiens mal ta promcflc,j TRAGÉDIE. 2.IÎ Sieos-toi , je n*ai pas dit cncor ce que je veux. Tu te juftifîeras après fi tu le peux 3 Ecoute cependant & tiens mieux ta parole. Tu veux m'airaflîncr , demain , au Capicolc , Pendant le facriilce ; & ta main pour lignai Me doit au lieu d'encens donner le coup fatal ; La moitié de tes gens doit occuper la porte. L'autre moitié re fuivrc & te prêter main forte, Ai-je de bons avis ou de mauvais foup^ons i De tous ces meurtriers te dirai-js les noms ? Procule , Giabrion , Virginian , Rutile, Marcel , Plaute , Lénas , Pompone , Albin , Icile, Maxime qu'après toi j'avois le plus aimé ; Le refte ne vaut pas i'iionncuT d'être nommé , Un. tas d'bommes perdus de dettes & de crimes Que pre/1'ent de mes loix les ordres légitimes , Et qui défèfpéranc de les plus éviter , Si tout n'eft renverfé , ne fçauroient fubfifter. Tu te tais maintenant 6: gardes le filence Plus par confufion que par cbéiiTancc, Quel écoit ton de/Tein , & que prccendois-tu , Après m'avoir au Temple à tes pieds abattu ? Affranchir ton paj's d'un pouvoir monarchique? Si j'ai bien entendu tantôt ta politique , Son falut déformais dépend d'un fouverain Qui pour tout conferver tienne tout en fa main ', Et fi fa liberté te faifoit entreprendre , Tu ne m'cuffes jamais ercpéché de la rendre , Tu l'aurois acceptée au nom de tout l'Etat Sans vouloir l'acquérir par un aflaffmat. Quel étoit donc ton but ? D'y régner en ma place > D'un étrange malheur fon de'îin le menace , Si pour monter au trône & lui donner la loi Tu ne trouves dans Rome autre obftacle que moi ^ Si juf]ucs à ce point fon fort eft déplorable Que tu fois après moi le plus confidérable , Et que ce grand fardeau de l'Empire Romain Î.I4 C I N N A, Ne puilfc aprcs ma moïc tomber mieux qu'en tamaîn» Apprends à te connoîtrc & defccnds en toi-mcmc. On t'honore dans Rome , on te courtifc , on t'aime ^ Chacun tremble fous toi , chacun t'offre des vœux. Ta fortune eft bien haut , tu peux ce que tu veux ^ îvUis tu fcrois pitié , mcme à ceux qu'elle irrite , Si je c'abandonnois à ton peu de mérite. Ofe me démentir, dis-moi ce que tu vaux. Conte-moites vertus , tes glorieux travaux. Les rares qualités par où tu m'as dû plaire , Ec tout ce qui t'élcve au-dc(Tas du vulgaire. Ma faveur fait ta gloire Se ton pouvoir en vient ^ Elle feule t'cleve Se feule te foutient , C'eft elle qu'on adore Se non pas ta pcrfonnc , Tu n'as crédit ni rang qu'autant qu'elle t'en donn-CjJ Et pour te faire chcoir je n'aurois aujourd'hui Qu'a retirer la main qui feule eft ton appui. J'aime mieux toutefois céder à ton envie. Règne , (î tu le peux, aux dépens de ma vie ; Mais ofvS-tu penfer que les Serviliens , Les CofTes , les Métels , les Pauls , les Fabiens , Et tant d'autres enfui de qui les grands courages Des héros de leur fang font les vives images , Quittent le noble orgueil d'un fang fi généreux 3 ufqu'à pouvoir fouffrir que tu règnes fur euxî Parie , parle , il eft temps. C I N N A. Je demeure ftupide. Non que votre colère ou la mort m'intimide , Je vois qu'on ma trahi , vous m'y voyez rêver. Et j'en cherche l'auteur fans le pouvoir trouver. Mais c'cft trop y tenir toute l'amc occupée. Sci^^neur , je fuis Romain & du fang de Pompée, Le perc Se les deux fils lâchement égorgés Par la mort de Céfar étoient trop peu vengés : C'cft là d'un beau dcffcin l'illuftre & feule caufe , Ec puif(|u à vos rigueurs la trahifon m'cxpofe , TRAGÉDIE. ^ij N'attendez point de moi d'infâmes repentirs , D'inutiles regrets , ni de honteux foupirs. Le fort vous cil: propice autant qu'il m'eft contraire^ Je fçais ce que j'ai fait & ce qu'il vous faut faire j Vous devez un exemple à la poftérité, F.c mon trépas importe à votre sûreté. AUGUSTE. Tu me braves , Cinna , tu fais le magnanime ,' ït loin de l'excufer tu couronnes ton crime; Voyons fi ta conllance ira jufques au bouc : Tu fçais ce qui t'eft dû , tu vois que je kais tout. Tais ton arrêt toi-même , Se clioilis tes fupplices. SCENE II. AUGUSTE, L I V I E , C I N N A ; EMILIE, FULYIE. v< L I y I E. Ous ne connoifîez pas cncortous les complices , Votre jïrailie en ell: , Seigneur, 6cla voici, CINNA. Ç'cfl elle-même , 6 Dieux l AUGUSTE. Et toi , ma fîlîe , aufli î EMILIE. Oui , tout ce qu'il a fait , il l'a fait pour me plaire , Et j'en étois , Seigneur , la caufc & k faiaire, AUGUSTE, Quoi l l'amour qu'en ton cœur j'ai fait naître au* jourd'hui 'emporte- t-il déjà jufqu à mourir pour lui î T •11(5 C I N N A, Ton nmc à ces tranfports un peu trop s'.ibancîonnft J Et cci\ trop tôt aimer l'amant i]uc je te donne. EMILIE. Cet amour qui ni'cxpo(c à vos rcfTcncimcns K'cO: point le prompt eifct de vos commandcmcns , Ces flammes dans r.os cœurs fans votre ordre étoicnt nées , Er ce font des fccrcts de plus de quatre années. Mais quoique je l'aimalle & qu'il brûlât pour moi ^ Une haine plus forte à tous d<:ux fit la loi : Je ne voulus jamais lui donner d'cfpcrance Qu'il ne m'eût de mon père affuré la vengeance : Je la lui fis jurer, il chercha des amis ; Le Ciel rompt le fuccès que je m'ctois promis , Et je vous viens , Seigneur , offrir une vicîlime. Non pour fauver fa vie en me chargeant du crime ^ Son trépas eft trop jufte après fon attentat , It toute excufe eft vaine en un crime d'Etat: Mourir en fa préfence, & rejoindre mon père , C'efl tout ce qui m'amène & tout ce que j'efpere. AUGUSTE. Jufques à quand , ô Ciel ! & par quelle raifon Prendrcz-vous contre moi des traits dans ma maifon î Pour fcs dcbordemens j'en ai chaffc Julie , Mon amour en fa place a fait choix d'Emilie, Et je la vois comme elle in:!igne de ce rang , L'une m'ôtoit l'honneur , l'autie a foif de mon fang ,' Et prenant toutes deux leur paffion pour guide. L'une fut impudique , & l'autre efl: parricide. O ma fille cffc-ce là le prix de mes bienfaits î JE U l L 1 E. Ceux de mon père en vous firent mêmes effets. AUGUSTE. Songe avec quel amour j'élevai ta jeuneffc, EMILIE. Il éleva la vôtre avec mcmctendrcffc , II TRAGÉDIE. 217 11 fat votre tuteur & vous fon alTaflin , Et vous m'avez au crime enfcitinc le chemin. Lêïiiien d'avec le votre en ce point feul diffcte. Que votre ambition s'elt immole mon.perc j Et qu'un jufte courroux Jont je me fens brûler , A (on lang innocent vouloit vous immoler, L I V I E. C'en e(l trop , Emilie , arrête Se confîJere , Qu'il t'a trop bien payé les bienfaits de ton perc : Sa mort dont la mémoire allume ta fureur , Fut un crime d'Octave & non de l'Empereur. Tous ces crimes d'Etat qu'on fait pour la couronne^ le Ciel nous en abfout alors qu'il nous la donne ^ Et dans !e facré rang où fa faveur l'a mis , Le pa/Té devient jufte , 8c l'avenir permis : Qui peut y parvenir ne peut être coupable , Quoiqu'il ait fait ou faffe , il eit inviolable. Nous lui devons nos bien , nos jours font en fa main ^ Et jamais on a droit fur ceux du Souverain, JE M l Ll E. Auflî dans le difcours que vous venez d'entendre , Je pailois pour l'aigrir & non pour me défendre, Punidez donc , Seigneur , ces criminels appas Qui de vos favoris font d'illuftres ingrats 3 Tranchez mes triftes jours pour afliirer les vôtres," Si j'ai féduit Cinna , j'en féduirai bien d'autres; Et je fuis plus à craindre & vous plus en danger. Si j'ai l'amour enfemble & le fang à venger, CINNA. Que vous m'ayez féduit , & que je fouffre cncofo D'être déshonoré par celle que j'adore l Seigneur , la vérité doit ici s'exprimer , J'avois fait ce deifein avant que de l'aimer. A mes plus faints delîrs la trouvant inflexible. Je crus qu'à d'autres foiûs elle feioit fcnlible , Tçms A K 11? :C I N N A^ Je parlai de Ton pcre & de votre riQ;ucuî , Et l'oftrc de mon bras fuivit celle du cœur. -Que la A^engcancc cit doiue à l'efpric d'une femme! Je l'attaquai par- là , par-là je pris Ton amc, JDans mon peu de mérite elle me négligcoic , £t ne put négliger le bras c]ui la vengcoir. Elle n'a confpiré que par mon artifice , J'en fuis le feul auteur , elle n'eft que complice. EMILIE. "Cinna , qu'ofes-tu dire: Eft-cc là me chérir , Que de m'ôtcr l'honneur quand il me faut mourirî CINNA. Mourez, mais en mourant ne fouillez point ma gloire, JE M l L l E, La mienne fe flétrit , fi Céfar te veut croire* CINNA. Et la mienne fe perd , fi vous tirez à vous Toute celle qui fuit de fi généreux coups. EMILIE. Hé bien , prends-en ta part & me laifTc la mienne. Ce fcroit l'afîbiblir que d'afFoiblir la tienne y La gloire Se le plaifir , la honte & les tourmens^ Tout doit ccre commun entre de vrais amans. Nos deux amcs , Seigneur , font deux âmes Ro- maines , XJniiTant nos dcfîrs nous unîmes nos haines. De nos parens perdus le vif refl'entiment Nous apprit nos devoirs en un même moment; En ce noble deiTcin nos coeurs fe rencontrèrent. Nos efprits généreux enfenble le formèrent , Enfembk nous cherchons l'honneur d'un beau tt-éf pas , Vous vouliez nous unir , ne nous féparez pas, AUGUSTE. Oui , je vous unirai , couple ingrat & perfide, £t plus mon enneiîîi qu'Antoine ni Lépide , , TRAGÉDIE.'' 119 Oai je vous unirai puifquc vous !c voulez. Il faut bien fatisfairc aux feux dont vous brûlez j En que roue l'Univers , fçachant ce qui m'anime , S'cronne du fupplicc aulîi-bien que du crime. Mais eniîn le Ciel m'aime , & les bienfaits nou- veaux Ont arraché Maxime à la fureur des eaux. =:ièè:=^S(fc^ SCENE DERNIERE. AUGUSTE,LIVIE,CINNA; MAXIME, iî, M I L I E , F U L V I E. A AUGUSTE. Pprcche , feul ami que j'éprouve fidèle. MAXIME. Honorez moins , Seigneur , une ame criminelle, AUGUSTE. Ne parlons plus de crime après ton repentir. Apres que du péril tu m'as fçu garantir j Ccft à toi que je dois & le jour & l'Empire, MAXIME. De tous vos ennemis connoifTez mieux îe pirc^ Si vous régnez encor , Seigneur , fi vous vivez , Ced: ma jaloufe rage à qui vous le devez. Uii vertueux remords n'a point touché mon amc ^ Pour perdre mon rival j*ai découvert fa trame s Euphorbe vous a feint que je m'étois noyé , De crainte qu'après moi vous n'eufilez envoyé. Je voulois avoir lieu d'abufcr j^milie , Effrayer Ton efpric, la tirer d'Italie , Et penfois la réfoudre à cet enlèvement Sous refpoir du retour pour venger Ton amant J 21(5 C I N N A, Ma:? au lieu de goûrcr ces Pjrofficrcs amorces, Sj vciru combattue a redoublé Tes forces: Elle a lu dans mon cœur. Vous fçavez le furplus , Et je vous en fcrois des récits (uperflus : Y-ous voyez !e {accès de mon lâche artifice ; Si pourtant (luelque grâce eil- due à mon indice, faites périr Euphorbe au milieu des tourniens. Et fouffrez que je meure aux yeux de ces amans. J'ai trahi mon ami , ma raaîtrcfie , mon maître. Ma gloire , mon pnys, par l'avis de ce traître. Et croirai toutefois mon bonheur infini , Si je puis m'en punir après l'avoir puni. f AUGUSTE. En eft-ce afTez ^ 6 Ciel l & le fort pour me nuire . '"' A-t-il quelqu'un des miens qu'il veuille cncor ré- duire ? Qu'il joigne à fcs efforts le fecours des enfers. Je fuis maître de moi comme de l'univers , Je le fuis , je veux l'ctre. O ficelés , ô mémoire , Confervez à jamais ma dernière vidoire l Je triomphe aujourd'hui du plus jufte courroux De qui le fouvenir puifîe aller jufqu'à vous. Soyons amis , Cinna , c'cft moi qui t'en convie , Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie 5 Et malgré la fureur de ton lâche deflin , Je te la donne encor comme à mon alla/îin. Commençons un combat qui montre par l'ilTuc Qui Taura mieux de nous ou donnée ou reçue. Tu trahis mes bienfaits , je les veux redoubler. Je t'en avois comblé , je t'en veux accabler. Avec cette beauté que je t'avois donnée. Reçois le Confulat pour la prochaine année. Aime Cinna , ma fille , en cet illuftre rang , Préfcre-en la pourpre à celle de mon fang , Apprends fur mon exemple à vaincre ta colère , Te rcudan: un époux , je ;ç rends f lus qu'ua pciCr TRAGÉDIE. 2X1 M xM I L I E. Et je me ren^s , Seigneur , à ces hautes bontc's. Je recouvre la vue aupiès de leurs clartés , Je conuois mon forfait t]ui me icnibloit jiifticc y Et ce que n'avoit pu la terreur du fupplke , Je fcns naître en mon ame un repentir puifTant , Et mon cœur en fecrec me dit qu'il y confent. Le Ciel a réfolu votre grandeur fuprême , Et pour preuve , Seigneur , je n'en veux que moi» me me , J'ofe avec vanité me donner cet éclat , Puirqu'il change mon cœur , qu'il veut changer l'Etat» Ma haine va mourir que j'ai crue immortelle ; Elle eft morte , & ce cœur devient uijet fidelle , Et prenant déformais cette haine en horreur. L'ardeur de vous fcrvir fuccede à fa fureur. C I N N A. Seigneur , que vous dirai-je , après que nos ofFênfes Au lieu de chàtimens trouvent d<îs récompenfes î O vertu fans excnipje \ 6 clémence qui rend Voire pouvoir plus jufte Se mon crime plus grand l AUGUSTE. CefTe d'en retarder un oi;bîi magnanime. Et tous deux avec moi faiues grâce à Maxime ; Il nous a trahis tous , mais te qu'il a commis A^'ous coTifervc innocent, & me rend mes amis. ( a Maxime, ) Reprends auprès de moi ta place accoutumée , Rentre dans ton crédit & dans ta renommée 3 Qii'E if horbe de tous trois ait fa grâce à fon tour , Et que demain l'hymen couronne léiir amour. Si tu l'aimes encor , ce fera ton fupplice. M A X I xM E. Je n'en murmure point , il a trop de juflice , Et je fuis plus confus , Seigneur , de vos bontés, Que ;ç ne fuis jaloux du bien que vous m.'ôtez. K iij 222 C I N N A, C I N N A. Souffrez (]ue ma vertu dans mon coeur ranpellcc. Vous confacrc une foi lâchement vioI<^c ; Mais fi ferme à préfent , fi loin de chance'er , Que la chute du Ciel ne pourroic l'ébranler. Puilîe le grand Moteur des belles dcftinées , Pour prolonger vos jours retrancher nos années. Et moi par un bonheur dont chacun foit jaloux , Perdre pour vous cent fois ce que je tiens de vous. L I V I E. Ce n'eft pas tour, Seigneur , uue célefte flamme D'un rayon prophétique illumine mon amc. Oyez ce que les Dieux vous font fçavoir par moi , De votre heureux deftin c'eft l'immuable loi. Apres cette acSlion vous n'avez rien à craindre. On portera le joug déformais fans fe plaindre , Et les plus indomtcs renverfant leurs projets , Mettront toute leur gloire à mourir vos fujets. Aucun lâche defîcin , aucune ingrate erivis N'attaquera le cours d'une G belle vie , Jamais plus d'afTaiïins ni de confpiratcurs j Vous avez trouvé l'art d'être maître des cœurs. Rome avec une j-oie & fcnfibie & profonde. Se démet en vos mains de l'Empire du monde , Vos royales vertus lui vont tiop enfcigner Que fon bonheur confifte à vous faire régner. D'une fi longue erreur pleinement affranchie , Elle n'a plus de vœux que pour la Monarchie » Vous prépare déjà des temples, des autels. Et le Ciel une place entre les immortels 5 Et la poftérité dans toutes les Provinces, Donnera votre exemple aux plus généreux Princes, AUGUSTE. J'en accepte l'augure & j'ofe l'efpérer ; Ainû toujours ks Dieux vous daignent infpircr. TRAGÉDIE. 223: Qu'on redouble dcrsjin les heureux faci-jf^ccs Que nous leur offrirons fous de meilleurs aufpices y Ec que vos Conjures enrendent publiei" Qu'Auguftc a tout appris & veut tout cublicri. FIN. / / IV 224 JUGEMENT .VC^T? I^ TRAGÉDIE DE C I N N A. t^ •£y? ^ cette Pièce que d'une commune voix on a donné la préférence fur toutes celles de notre Poète. ÎL ju^e que cette approbation Ji forte ^ fi générale ne peut venir que de ce que la vraifemblance s'y trouve Ji heureufement confcrvée aux endroits oîi la vérité lui manque f qu'il n'a jamais befoin de recourir au néceffaire» Rien n'y contredit l'HiJioire , quoique beaucoup de chofes y foient ajoutées ; rien n'y eji violenté par les incommodités de la repréfentation , ni par l'unité de jour , ni par celle de lieu. Il ejl rrai qu'il s'y rencontre une duplicité de lieu partie, culier : mais il prétend que c'étoït une nécejjué in^ difpenfable de le faire, j4u rejîe , Cinna ejî lu dernière Picce ou l' jouteur Ce fait pardonné les longs Monologues. Comme les l^crs de la Tragédie d'Horace ont quelque chofe de plus net & de moins guindé pour Its penfécs que ceux du Cid , on peut dire que ceux de Cinna ont quelque chofe de plus achevé que ceux d'Horace , 6' qu'enfin la facilité de concevoir le fujet , qui nefi ni trop chargé a'incidens ni trop emharraffé des ré' cits de ce qui s'eft pajfé avant le commencement de la Pièce , efl une des caufes fans doute de la grande app'^obaiiQn qu'elle a reçue. POLYEUCTE MARTYR 3 TRAGÉDIE CHRÈTïENNEc 1^ V ACTEURS. FÉLIX , Sénateur Romain , Gouverneur d'Arménie. POLYEUCTE 5 Seigneur Arménien, Gen- dre de Félix. SÉVÈRE, Chevalier Romain, Favori de l'Empereur Décie. NÉ ARQUE , Seigneur Arménien , Ami de Polyeude, PAULINE , fille de Félix , & fem.me de Polyeuifte. STRATONICE , Confidente de Pauline^ ALBIN, Confident de Félix. FABIAN , Domeftique de Sévère. CLÉON , Domeftique de Félix. TROIS GARDES. La Sce/ie eft à Mélitaine , Capltak d'Arml^ nie y dans h Palais de FUix^^ POLYEUCTE,. MARTYR. TRAGÉDIE CHRÉTIENNE^ ^=== >-^-^.>=^ ,M[^ ACTE PREMIER. SCENE PREMIERE. P: O L Y E U C T E , N E A R Q U E.. NE A R Q U E. Vt^~~^ j Uoi , vous vous arrêtez aux Tonges d'une Il -^^^'g femme'. - -^ i T Dz Cl foibles fajcrs troublent cette grancc - Et ce cœur tant de fois aans la guerre éprouve S'alarme d'un péril qu'une femme a rêvé. POLYEUCTE, . Je fçr': ce qu'eft un fonge , & !e peu de croyance Qu'un homme doit donner à Ton extravagance. Qui d'un amas confus des vapeurs de la nuit ïorme de vains objets que le réveil détruit. K vj 2i8 P O L Y E U C T E , Mais vous ne fçavcz pas ce que c'eft qu'une fcinir.c. Vous ignorez quels dioits elle a fur toute l'amc , Quand après un long tcraps qu'elle a fçu nous ch.ir- mer , Les flambeaux de l'hymen viennent de s^allumer. Pauline fans raifon dans la douleur plongée Craint & croit àéJÀ voir ma more qu'elle a fongci; , Elle oppofe Ces pleurs au dcHcin que je fais , Et tâche à m'empêcher de fortir du Palais ; Je mcpiifc fa crainte , & je ccdc à fcs larmes , Elle me fait pitié fans me donner d'alarmes: Et mon coeur attendri fans être intimidé N'ofe déplaire aux yeux dont il efc ponedé.. L'occafion , Néarx.]uc , eft-elJe Ci preifante , Qu'il faille être infenfîble aux foupirs d'une amante ? Remettons ce delfein qui Taccable d'ennui , Nous le pourrons demain aufli-bien qu'aujourd'hui. N E A R Q U E. 'Avez-vou> cependant une pleine afTurance D'avoir aflez de vie ou de perfévérance j Et Dieu qui tient votre amc & vos jours dans fa mai a Promer-il à vos vœux de le pouvoir demain ? Il eft toujours tout jufte te tout bon , mais fa grâce Ne defccnd pas toujours avec même efficace. Après certains momens que perdent nos longueurs , Elle quitte (es traits qui pénètrent les cœurs i Le nôtre s'endurcit , la rcpoulTe , l'égaré. Le bras qui la verfoit en devient plus avare ; Et cette fainte ardeur qui doit porter au bien , Tombe plus rareme-nt , ou n'opère plus rien. Celle qui vous preffoit de courir au baptême Languilfante déjà , celTe d être la même 3 El pour quelques foupirs qu'on vous a fait ouie , Sa flamme Ce diffioe & va s'évanouir. P o'l Y L U C T E. Vous me connoill'sz mai , la même ardenr me biûlç TRAGÉDIE. 129 Et le^lefir s'accroîc quand l'effet fe recule. Ces pleuçs que je regarde avec un oeil d'époux Aie laifl'ciic dans le cœur au(Ti chrccicn que vous 5 'Mais pour en recevoir le facré carad:ere Qui lave nos forfaits dans un eau falutaire , Ec qui pur2;eant notre ame 8i deflïllant nos yeux. Nous rend le premier droic que nous avions aux Cieux , Bien que je le préfère aux grandeurs d'un Empire , Comme le bien fuprême & Je feul où j'afpire , Je crois , pour fatisfaire un jufte & faint amour , Pouvoir un peu remettre & différer d'un jour. N E A R Q U E. Ainfî du genre humain l'ennemi vous abufe , Ce qu'il ne peut de force , il l'entreprend de rufe. Jaloux des bons delfcins qu'il tâche d'ébranler , Quand il ne les peut rompre , il poulfe à leculer j D'obftade fur obrtacie il va troubler le vôtre. Aujourd'hui par des pkurs, chaque jour par (quelque autre ; Et ce fonge rempli de noires vifîons N'eft que le coup d'effai de les illufîons. Il met tour en ufage , &: prieie & menace. Il attaque toujours & jamais ne fe laifc ; Il croit pouvoir enfin ce qu'encore il n'a pu , Er que ce qu'on diffère eft à demi- rompu. Rompez fes premiers coups , lailfex pleurer Pau- line 5 Dieu ne veut point d'un cœur où le monde domine, Qui regarde en arrière , & douteux en fon choix , Lorfque fa voix l'appelle , écoute une autre voix» POLYEUCTE. Pour fe donner à lui faut-il n'aimer perfonne; ? N E A R Q U E. Nous pouvons tout aimer , il le fouffie , il l'ordonne 3 Mais à vous dire tout, ce Seigneur des Seigneurs Yeut k premier amour & Us premiers honoeurs. 130 P O L Y E U C T E, Comme rien n'crt: égal à fa grandeur fuprcmc , II faut ne rien aimer qu'après lui , qu'en lui-mcmCy. Négliger pour lui plaire , &iemme , & biens , & rang , Expofer pour fa gloire 6^ vcrfer tout fon fang : Wais que vous ctjs loin de cette ardeur parfaite Qui vous cft nccclîaire , & que je vous fouhaite l Je ne puis vous parler que les larmes aux yeux, Polyeudle , aujourd'hui qu'on nous hait en touj- lieux , Qu'on croit fcrvir l'Etac quand on nous pcrfécutc , Qu'aux plus âpres tourmensun chrétien eft en bute. Comment en pourrez- vous furmonter les douleurs, , 5i vous ne pouvez pas réfifter à des pleurs ? POLYEUCTE. Vous ne m'étonnez point. La pitic qui me bleffc Sied bien aux plus grands coeurs , Se n'a point de fciblelTc. Sur mes pareils , Néarqoe , un bel ceil efl bien fort ^ Tel craint de le fâcher qui ne craint pas la mort j . Et s'il faut affronter les plus cruels fupplices, Y trouver des appas, en faire mes délices , Votre Dieu , que je noCc encor nommer le mien , M'en donnera la force en me faifant chrétien. N E A R Q U E. Hâtez-vous donc de l'être. POLYEUCTE. Oui , j'y cours , cher Néaiquc , Je brûle d'en porter la glorieufe marque j îvlais Pauline s'afflige , & ne peut confcntir. Tant ce fonge la trouble , à me lailfer fortir. N E A R Q U E, Votre retour pour elle en aura plus de charme , Dans une heure au plu? tard vous elTuierez fes larmes j Et l'heur de vous revoir lui fcmblera plus doux , 3Mus elle aura pleuré pour un û cher époux.- Allons , OA nous attead. TRAGÉDIE. zyti POLYEUCTE. Appaifcz donc fa crainte j Er calmez la douleur donc Ton ame cft atteinte. Elle revieijc. N E A R Q U E. Fuyez. POLYEUCTE. Je ne puis. N E A Tv Q U E. Il le faut,.. Fuyez un ennemi cjui fçaic votre défaut , Qui le trouve aifémenc , qui bleHè par la vue. Et dont le coup mortel vous plaît quand il vous cuç;.. POLYEUCTE, Fuyons , puifqu'il le faut. ^^-=5fet^ '\^! S. G E N E IL POLYEUCTE,NEARQ U E , PAULINE, STRATONICE. POLYEUCTE. A Dieu , Pauline , adieu. Dans une heure au plu: tard je reviens en ce lieu» PAULINE. Quel fujet fî preffant à fortir vous convie! Y va-t-il de l'honneur ? Y va-t-il de la vie B POLYEUCTE. !l Y va de bien plus. PAULINE. Quel cft donc ce fecret ? POLYEUCTE. "Vous le fçaurez un jour , je vous quitte à regret^ Mais eafia il le faut. 111 P O L Y E U C T E, PAULINE. Vous m'aimez ? POLYEUCTE. Je vous aime ,' Le Ciel m'en foie ccmoin , cent fois plus ^ue moi- mèiuc ; Mais PAULINE. Mais mon déplaifir ne vous peut émouvoir l Vous avez des fcciets que je ne puis Içavoirl -f Quelle preuve d'amour l au nom de i'hy menée Donnez à mes foupirs cette feule journée. POLYEUCTE. Un fongc vous fait peur l PAULINE. Ses prcfagcs font vains ^ Je le fçais ', mais enfin je vous aime & je crains. POLYEUCTE. Ne craignez rien de mal pour une heure d'abfenc^i; Adieu. Vos pleurs fur moi prennent trop ôç puif- fance j Je fens déjà mon cœur prêt à fe révolter , Et ce n'eft (]u'en fuyant cjue j'y puis réfifter. "^^ TRAGÉDIE. 235 ^:4g;g^= rrr^S. SCENE III. PAULINE, STRATONICE. PAULINE. V. A , néglige mes pleurs , cours , & te prcci[':rc Au devant de la mort que les Dieux m'ont prédite. Sais cet agent fatal de tes mauvais dcftins , Qui peut-être te livre aux mains des afialîîns/ Tu vois , ma Stratonice , en que! fîecle nous Hjramcs 5 Voilà notre pouvoir fur les efprirs des hommes , Voilà ce qui nous rcfte , & l'ordinaire effet De l'amour qu'on nous oifre &. des vœux qu'on nous fait. Tant qu'ils ne font qu'amans nous fommes fouverai- nés , Et jufqu'à la conquête ils nous traitent de Reines j Mais après l'hyménée ils font Rois à leur tour. STRATONICE. Polyeuâre pour vous ne m.anque point d'amour. S'il ne vous traite ici d'entière confidence , S'il part malgré vos pleurs , c'eft un trait de prudence $ Sans vous en affliger prcfumez avec moi Qu'il efl: plus à propos qu'il vous cele pourquoi 5 Affurez-vous fur lui qu'il en a jufte caufc. ]1 eft bon qu'un mari nous cache quelque chofe. Qu'il foit quelquefois libre , & ne s'abaifl'e pas A nous rendre toujours compte de tous fes pas. On n'a tous deux qu'un cœur qui fent mêmes tra- verfes , Mais ce cœur a pourtant fes fondions diverfesj Et la loi de l'hymen qui vous tient aifemblés. N'ordonne pas qu'il tremble alors que vous tremblez. 2U P O L Y E U C T E, Ce c]ui fait vos frayeurs ne peut le mettre en peine 5 Il cft Arménien , & vous êtes Romaine ; Et vous pouvez fçavoir que nos deux nations- N'ont pas fur ce fujct mêmes impre/îîons. Un fonge en notre cfprit paH'e pour ridicule , II ne nous laide cfpoir ,.ni crainte , ni fcrupulc y Mais il pall'e dans Rome avec autorité Pour fidclc miroir de la fatalité. PAULINE. Qucicjue peu de crédit que chez vous iT obtienne 3 Je crois que ta frayeur égaleroit la mienne. Si de telles horreurs t'avoient frappé l'eipric,. Si je t'en avois fait feulement le récit. STRATONICE. A raconter fcs maux fou vent on les foulage^ PAULINE. Ecoute , mais il faut ta dire davantage , Et que pour mieux comprendre m\ iî trifle difcours , Tu fçaches ma foible/îe &-iicics autres amours. Une femme d'honneur peut avouer fans honte Ces furpiifcsdes fens que la raiibn furmonte. Ce n'eft qu'en ces affauts qu'éclate la vertu». Et l'on douîc d'un cœur qui n'a point combattu» Dans Rome où je nax]uis , ce malheureux vifage. D'un Chevalier Romain captiva le courage , Il s'appclloir Sévère. E:icufe les foupirs Qu'arracKe encore un nom trop cher à mes deHrs, S T R A T O N L C E. Eft-ce lui qui n'a guère aux dépends de fa vie Sauva des ennemis votre Empereur Décie, Qui leur tira mourant la victoire des mains , Et fit tourner le fort des Perfcs aux Romains? Lui q'i 'entre tant de morts immolés à fon mnîtrc^,- On ne peut rencontrer , ou du moins reconnoître j. A qui Décie enfin pour les exploits fi beaux îit fi pompcufcment drcfifer de vains tombeaux ^ ■ TRAGÉDIE. 23f PAULINE. Hclas î c'ctoic lui-même , S: jamais notre Rome N'a produit plus grand coeur , ni vu plus honnête homme. Puifquc tu le connois , je ne t'en dirai rien 3 Je l'aimai , Straronice , il le mcritoit bien. Mais que fert le mérite où manque la fortune ? L'un écoit grand en lui , l'autre foible & commune î Trop invincible obrtacle , & dont trop aarcmcnc Tiiomphe auprès d'un perc un vertueux amant, STRATONICE.. La digne occaHon d'une rare coryflauce t PAULINE. Dis pkuôt d'une indigne & folle rcfîflance3 Quelque fruit qu'une fille en puifTe recueillir , Ce n'cfh une vertu que pour qui veut faillir. Parmi ce grand amour que j'avois pour Sévère J'attendois un époux de la main de mon père , Toujours prête à le prendre , & jamais ma raifon N'avoua de mes yeux l'aimable trahifon. Il pofledoit mon cœur , mes defirs , ma ptnfee-. Je ne lui cachois point combien j'étois bleflee , "^^c'Jis fcupirioiis cafemblcô: pleurions nos maîhetîrs. Mais au lieu d'efpérance il n'avoit que des pleurs 3. Et malgré des fouphs Ci doux , fi favorables. Mon père & mon devoir étoient inexorables. Enfin , je quittai Rome & ce parfait amant. Pour fuivre ici mon père en Ton Gouvernement^- Et lui dcrcfpéré s'en alla dans l'armée Chercher d'un beau trépas l'illuftre renommée. Le refte , tu le fçais : Mt)n abord en ces lieux Me fît voir Polyeucte , Se je plus à Tes yeux ; Et comme il eft ici le chef de la Noblciie , Mon père fut ravi qu'il me prît pour maîtrelTe , Et par Ton alliance il fe crut afiuré D'être plus redoutable 5c plus confidéré,. 1^6 P O L Y E U C T E, Il approuva fa flamme & conclue i'hymcncc , Et moi comme à Ton lie je me vis deiflincc 3 Je donnai par devoir à fon affedion Tout ce que l'aune avoir par inclination : Si ru peux en douter juge-le par la crainte Dont en ce trifte jour tu me vois Tame attsinte. STRATONICE. Elle fait a (fez voir à quel point vous l'aimcy. î Mais quel foDge après tout tient vos fcns alarmés V PAULINE. Je l'ai vu cette nuit ce malheureux Sévère , La vengeance à la main , l'œil ardent de colcrc. Il n'éioir point couvert de ces triPrcs lambeaux Qu'une ombre défoléc empoite des tombeaux j li n'écoit point percé de ces coups pleins de gloire Qui retranchant fa vie alTurent fa mémoire. Il fembloit triomphant & tel -que fur fon char "Vidïorieux dans Rome entre notre Céfar. Après un peu d'eiïi'oi que m'a donné la vue , 'Ponc a qui tu voudras /a faveur qui m'tft due , Ingrate , rn'a-t-il dit , 6* ce jour expiré , Tleure k loijir l'époux que tu m'as préféré. A ces mors j'ai fiémii , mon ame s'efl: troublés j Enfuite des Chrctiens une impie aHemblée , Pour avancer l'effet de ce difcours fatal , A jette Polyeu^fte aux pieds de fon rival. Soudain à Ion fccours j'ai réclamé mon père 5 Kélas i c'eft: de tout point ce qui me défefpere , j'ai vu mon père même un poignard à la maia Entrer le bras levé pour lui percer le fein. Là ma douleur trop forte a brouillé ces images » Le fang de Polyeude a fatisfait leurs rages i Je ne fçais ni comment ni quand ils l'ont tué , Mais je fçais qu'a fa mort tous ont contribué. Voilà quel «ft m.on fonge. TRAGÉDIE. 237 STRATONICE. II efl: vrai qu'il eft triftc. Mais il faut que votre aine à ces frayeurs rclifte j La vilioii de loi peut faire quelque horreur. Mais non pas vous donner une jufte terreur. Pouvez-voLîs craindre un mort"? Pouvez-vous craia- dre un père Qui chérit votre époux , que votre époux révère. En donc le jufte choix vous a donné à lai Voxu s'en faire en ces lieux un ferme & sur appui î PAULINE. 11 m'en a dit autant & rit de mes alarmes , . Msis je crains des Chrétiens les complots & les char- mes 5 Et que fur mon époux hur troupeau raniaflc Ne venge tant de fang que mon père a veffé. STRATONICE. Leur fccte effc infenfée , impie , & facrilege. Et dans Ton facrifice ufe de fortilegej Mais fa fureur ne va qu'à hrifcr nos autels , E!Ic n'en veut qu'aux Dieux & non pas aux mortels. Quelque févéritc que fur eux on déploie , lis fouiîient fans murmure & meurent avec joie 5 Et depuis qu'on les traite en criminels d'Etat, On ne peut les charger d'aucun affaflTinar. PAULINE. Tais-toi , mon père vient. -]8 P O L Y E U C T E, SCENE IV. ^ELIX, ALBIN, PAULINE,; S T R A T O N I C E. r E L I X, M A fille, que mil Tongo lEn (î'étrangcs frayeurs ainfi cjuc toi me plonge 1 Que j'cu ciains les effets oui femblent s'approcher l PAULINE. Quelle fubitc alarme ainfi vous peut toucher ? FELIX. Sévère n'cll point mort. PAULINE. Quel mal nous fait fa vie ? FELIX. Il cft le favori de l'Empereur Décie. PAULINE. Après l'avoir fauve des mains des ennemis , L'efpoir d'un fi haut rang lui devenoit permis. Le dcflin aux grands coeurs fi fouvent mal propice î)e rcfout quelquefois à leur faire juftice. FELIX. II vient ici lui-mcme. PAULINE. Il vient 1 FELIX. Tu le vas voir. PAULINE. -C'en eft trop, mais comment le pouvez- vous fçavoir ? FELIX. Albin l'a rencontre dans la proche campagne , Un gros de courtifans en foule l'accompagne. Et montre aiTez quel cft fon rang & fon crédit. Mais , Aibin , redis-lui ce que fcs gens t'ont dit. TRAGÉDIE. 2.39 ALBIN. Vous fçave^ quelle fut cette jurande journée Que fa perte pour nous rendit i\ fortunée. Où l'Empereur captif par fa main dégagé Ralfura l'on parti déjà, découragé , Tandis que Ca vertu fuccomba fous le nombre : Vous fçavex les honneurs qu'on fit faire à Ton ombre/ Après qu'entre les morts on ne le put trouver 5 Le Roi de Perfe aulli l'avoit fait enlever. Témoin de (es hauts faits & de Ton grand courage ^ Gc Monarque en voulut connoître le vitagej On le mit dans (a tente où tout percé de coups , Tout mort qu'il paroilîoit , il fit mille jaloux. Xà bientôt il monrra quelque figne de vie. Ce Prince généreux en eut l'ame ravie , Et fa joie , en dépit de fon dernier malheur , •Du bras qui le caufoit honora la valeur. Il en fit prendre foin , la cure ert fut fecrete ; Et comme au bout d'un mois fa fant-i fut parfaite,; Il offrit dignités , alliance , tréfo.s , Et pour gagner Sévère il fit cent vains efforts. Après avoir comblé fes refus de louange , Il envoie à Décie en propofer l'échange. Et Coudâin l'Empereur tranfporté de plaifir Offre au Perfe fon frère Si cent Chefs à choi/îr, Ainfi revint au camp le valeureux Scvecc- De fa haute vertu recevoir le falaire 5 La faveur de Décie en fut le digne prix. De nouveau l'on com.bat & nous fommes (urpris > Ce malheur toutefois ferc à croître fa gloire , Lui féal rétablit l'ordre & gagne la vidoire. Mais fi belle & fi pleine , & par tant de beaux faits. Qu'on nous offre tribut & nous faifons la paix, L'Empereur qui lui montre un amour infini. Après ce grand fucccs l'envoie en Arménie : Il vient en apporter la nouvelle en ces lieux , £r£>ar un facrifîce en rendre hommage aux Dieux. 140 POLYEUCTE, FELIX. O Ciel 1 en quel état ma fortune eft réduite l ALBIN. Vciîà ce que j'ai fçu d'un homme de fa fuite , Et j'ai couru , Seigneur , pour vous y difpofer, FELIX. Ah , fans doute , ma fille , il vient pour t'cpoufcrî L'ordre d'un facrifice cfl pour lui peu de cliofe , C'eft un piéccxte faux dont l'amour eft la caufc. PAULINE. Cela ponrroit bien ccie, il nVaimoit chèrement, FELIX. Que ne permcttra-t-il à fon reflentiment ? Et jufques à quel point ne porte fa vengeance L'ne juftc colère avec tant de puiffauce t II nous perdra , rna fille. PAULINE. Il eft trop généreux. FELIX. Tu veux flatter en vain un père malheureux , Il nous perdra , ma fille. Ah , regret qui me tuc^^ De n'avoir pas aimé la vertu toute nuel Ah , Pauline , en effet tu m'as trop obéi ; Ton courage étoit bon , ton devoir l'a trahi ^ Que ta rébellion m'eût été favorable 1 Qu'elle m'eut garanti d'un état déplorable '. Si quelque efpoir me rcfte , il n'eft plus aujourd'hui Qu'en l'abfolu pouvoir qu'il te donnoit fur lui ; Ménage en ma faveur l'amour qui le poffcde. Et d'où provient mon mal fais forrir le reracdc, PAULINE. Moi l moi , que je revoie un fi puifTant vainqueur. Et m'expofe à des yeux qui me percent le cœur! Mon père , je fuis femme, & je fçais ma foiblefie. Je fens déjà mon cocuï qui pour lui s'intércfTc , TRAGÉDIE. 14% Ez poufTera fans dourc , en dépit de ma foi , Quelque fcapir indigue & de vous & de moi :. Je ne le verrai point. FELIX. Ra/Ture un peu ton amc, PAULINE. Il ctt toujours aimable , & je fuis toujours femme 5 Dans le pouvoir fur moi que fes regards ont eu. Je n'ofe m'alTurer de toute ma vertu; Je ne le verrai point. FELIX. Il faut le voir , ma fîlîc, ^^ Ou tu trahis ton père & toute ta famille. . \ PAULINE. Ceft à moi d'obéir puifcjue vous commancîez > Mais voyez les périls où vous me hafardcz. FELIX.- ... r ;[ Ta vertu m'eft connue. ^j.'j ; ilait 1 PAULIN E.;. .. . ...1/ A Elle vaincra fkns dautç /'''? Ce n'cfl: pas le fuccès-cjuc mon ame redoute : Je crains ce dur combat, & cc^s troubjcs puiifans Que fait déjà chez moi la révolté des fens. Mais puifqu-il faut'combaptre un ennemi que j'aime , Soùffrez'qoe je me pu iffe armer contre moi-même» Ï.Z qu'un peu'de loifîr me prép^rçl le voir. ^ ■ ^ ^ifqu'au devant des murs je vais le xecevoir. .'' Rap'petic'cepehdant tes forces étonnées , Et fonge qu'en tes mains "tu tiens nos deftinécs. P A Ù't.lM E. Oui, je vais de nouveau domcer mes fentimens. Pour îervir de victime à vos commaademcns. Fin du premier Acic% i4i P O L Y E U C T E , ACTE IL SCENE PREMIERE, ' s E V E R E , F A B -I A N. SEVERE. c Ependant que Félix Hoiine ordre au facrifice : Pourrai-je prendre un teinps à mes vccu< fi propice î Pourrai- je voir Pauline , & rendre à fes beaux yeux L'hommage fouverain <]ue l'on va rendre aux Dieux î Je ne t'ai point celé que cdï ce qui m'amène , Le rcfte ell un prétexte à ibulager ma peine , Je viens (acrifîer ^'^jnais c'eft à les beautés «Que je Tiens iaimoler toutes mes volontés. P A B I A N. Vous h Ycrrcï , Seigneur, SEVERE. Ail , quel comble de joieî Cette cbere beauté confcnt que je la voie'', ^ais ai je fur fort arlic; cacor quelque pouvoir "i Ouelquc refle d'amour s'y fait-il cncor vcir.^ . . <^uel trouble, qqel tranfpoit lui caufc ma veiiae ! -; puis-je tout efpérer de cette heureufe vue ? Car je vou.irois mouric plutôt que d'abufcr- Des lettres de faveur que j'ai pour l'époufer. Elles font pour Félix , non pour triompher d'elle J Jamais a "Tes (fefirs mon cœur ne fut rebelle , Et fi mon mauvais fort avoir changé le flen , Je me vaiucrois rtioi-méme & -ne prércndrois rien. F A B I A N. Vous la verrez, c'cfl tout ce que je vous puis diir^ TRAGÉDIE, 14}- SEVERE. D'oii vient que tu frémis & que ton cœur foupirc^ Ne m'aime- t-cllc plus ? Eclaiicis-moi ce point. F A B I A N. M'en croirez-vous. Seigneur ? Ne la revoyez point; Portez en lieu plus haut l'honneur de vos carelfes ; Vous trouverez à Rome afliz d'autres maîcrelles j Et dans ce haut degré de puilfance & d'honneur tts plus grands y tiendront votre amour à bonheur, SEVERE. Qu'à 6ts pcnfcrs fi bas mon amc Te ravale'. Que je tienne Pauline à mon fort inégale! Elle en a raieuï ufé , je la dois imiter , J'e n'aime mon bonheur que pour la mériter. VoyoQS-la , Eabian , ton difcours m'importune; Allons mettre à fes pieds cette haute fortune , Je l'ai dans les combats trouvée heurcufement En dicrchant une mott digne de fon amant. Ainfi ce rang eft fien , cette faveur eft (îenne ,' Et je n'ai rien enfin que d'elle je ne tienne. F A B I A N. Non , mais encore un coup ne la revoyez point. SEVERE. Ah '. c'en efl trop ; enfin éclaircis-moi ce point. As-tu vu des froideurs quand tu l'en as priée i F A B I A N. Je tremble à vous le dire , elle eft. ... SEVERE. Quoi* F A B I A N. Mariée' SEVERE. Soutiens-moi , Fabian , ce coup de foudre eft grand f Et frappe d'autant plus que plus il me f jrprend. FABIAN. Seigneur , qu*eft devenu ce généreux courage ? 244 POLYEUCTE, SEVERE. Ln confiance eft ici d'un difficile iifagc , De pareils déplaifirs accablent un grand cœur , La vertu la plus ma'e en perd toute vigueur -, Et quand d'jn feu i\ beau les amcs font éprifes, La inort les trouble moins que de telles furprifcs. Je ne fuis plus à moi quand j'entends ce difcours. Pauline cftmari^îel F A B I A N. Oui , depuis quinze jours g Poîyen^c , un Seigneur des premiers d'Arménie, GcLÎce de Ton hymen la douceur infinie, SEVERE. Je ne la puis du moins blâmer d'un mauvais choix, Polyeudle a du nom & fort du fang des Rois. Poibles foulagcmens d'un malheur fans remède 1 Pauline, je verrai qu'un autre vous pofTede 1 O Ciel 1 qui malgré moi me renvoyez au jour, O fort l qui redonniez l'efpoir à mon amour, Hcprenez la faveur que vous m'avez prêtée. Et rendez-moi la mort que vous m'avez orée. Voyons-la toutefois, & dans ce trifte lieu Achevons de mourir en lui difant adieu ; Q'îs mon cœur chez les morts emportant fon îmagC De fon dernier fonpir puiiïc lui faire hom.mage. F A B I A N. Seigneur, confidtrez SEVERE. Tout efl confidcréj Quel dcfordre peut craindre un coeur défefpéré ? !N'y confcnt-elie pas V F A B I A N. Oui , Seigneur , mais. . . SEVERE. N'importe» F A B I A N. Cette vive douleur en deviendra plus forte. TRAGÉDIE. 145 SEVERE. Ec ce n'eft: pns un mal que je veuille guciir , Je 13e veux que la voir foupirer , & mourir. F A B I A N. Vous vous écliapperez fans doute en Ca piéfcncc , Un amant qui perd tout , n'a plus de coraplaifance , Dans un tel entretien il fuit fa pafTion , Et ne poufTe qu'injure & qu'imprclcation, SEVERE. Juge autrement de moi, mon rcfpecldarc encore^' Tout violent qu'il eft, mon dcfefpoir l'adore. Quels reproches aulTi peuvent m'ctre permis? De quoi puis- je accufer qui ne m'a rien promis ? Elle n'eft point parjure , elle n'eft point légère , Son devoir m'a trahi , mon malheur Se Ton père, ;Mais fon devoir fut jufre, 6: ion père eut raifoU;, J'impute à mon malheur toute la trahifon. Un peu moins de fortune & plutôt arrivée. Eût gagné l'un par l'autre & me l'eût confervée. Trop heureux , mas trop tard , je n*ai pu l'acquérir; Laiife-Ia moi donc voir , foûpircr , èî, mourir» F A B I A N. Oui, je vais Taffurcr qu'en ce malheur extrême Vous êtes aflez fort pour vous vaincre vous-même. Elle a craint comme moi ces premiers mouvcmcns Qu'une perte imprévue arrache aux vrais amans. Et dont la violence excite affez de trouble , Sans que l'objet préfent l'irrite & le redouble, SEVERE. Fabian , je la vois. F A B I A N. Seigneur , fouvenez - vous. , r». S e"v E R E. Hélas l die aime un autre, un autre eft Ton épour» L iij: 24^ P O L Y E U C T E, SCENE II. 5EVERE, PAULINE, STRATONICB; P A B I A N. O PAULINE. Ui , je TaiiTe , Scvere , 3z n'en fais point d'cxcufè ^ Que tout autre que moi vous flatte & vous abufe , Pauline a l'ame noble & parle â coeur ouvert. Le bruit de votre mort n'eft point ce qui vous perd. Si le Ciel en mon choix eut mis mon hyménée , A vos feules vertus je me ferois donnée; Et toute la rigueur de votre premier fort Contre votre mérite eût fait un vain effort. Je découvrcis en vous d'aflcz illuftres marques Pour vous préférer même aux plus heureux Monar- ques y ;Mais puifque mon devoir m'impofbit d'autres loix , De quelque amant pour moi que mon pcre eut faiQ choix , Quand à ce grand pouvoir que la valeur vous donne Vous auriez ajoute l'éclat d'une couronne. Quand je vous aurois vu , quand je l'aurois haï , J'en aurois foupiré, mais j'aurois obéi ; Et fur m.es paflions ma raifon fouverainc Eût biàiTié m.es foupirs & diffipé ma haine, SEVE R E. Que vous êtes hcurguTe , Se qu'un peu de foupirs Patt un aifé remède à tous vos déplaifîrsl Ainfi de vos dcfirs toujours reine abfolue. Les plus grands chsngemens vous trouvent réfolue,. De la plus forte arricur vou<; portez vos elpiits Jufqu'a i'indifil'rencc & peut être au mépris ; TRAGÉDIE. t4-f 3t votre fermeté fait fuccéder fans peine ta faveur au dédain & l'amour à la haine. Qu'un peu de votre humeur ou de votre vertu Soulageroit les maux de ce cœur abattu 1 Un foupir , une larme à regret épand'ie M'auroit déjà guéri de vous avoir perdue : Ma raifon pourroit tout fur l'amour afFoibli , Et de l'indifférence iroit jufqu'à Toiibli ; Et mon feu déformais fe réglant fur le vôtre Je me tiendrois heureux entre les bras d'une autre, O trop aimable objet cjui m'avez trop charmé^ Eft-ce là comme on aime , & m'avez-vous aiméî PAULINE. Je vous lai trop fait voir. Seigneur, & fi mon ame Pouvoit bien étouffer les reftes de fa flamme , Dieux , que j'évitcrois de rigoureux tourmcns 1 Ma raifon , il eft vrai , donne mes fentimcns ; Mais quelque autorité que fur en î: elle ait prifcg. Elle n'y règne pas , elle les tyrannife ; Et quoique le dehors foit fans émotion , Le dedans n'efè que trouble & que fédition. Un je ne Içaiyquel charme encor vers vous m'eraporre;; Votre mérite eft grand , fî ma raifon eft forte j Je le rois encor tel qu'il alluma mes feux D'autant plus puilTaniment folîiciter mes vœux ^ Qu'il eit environné de puiffance Se de gloire , Qu'en tous lieux' après vous il traîne la: victoire. Que j'en fçais mieux le prix, & qu'il n'a point déçir Le généreux, cfpoir que j'en avois conçu. Mais ce même devoir qui le vainquit dans Rome ^. Et qui me range ici delfous les loix d'un homme » RepoulTc encor fî bien l'effort de tant d'appas , Qu'il déchire mon ame Se ne l'ébranle pas. G'eil cette vertu même à nos defirs cruelle Que vous louez alors en blafphémant contre elle 5, Plaignez-vous-en encor , mais louez fa rigueur Qui triomphe à la fuis de vous & de mon cœur j L iv- }ij.^ P O L Y E U C T E , it voyez qu* un dcvo-r moins ferme & moin? fmczff^ K'auroit pas mérité l'amour du G;rancl oévcre. SEVERE. ,A!i 1 Madame , excufcz une aveugle douleur i^m ne connoît plus rien c]ue l'excès du malheur ; Je noramois inconfiance , & prenois pour un crime De ce jufte devoir iVlfort le plus fublime. De grâce, montrez moins à mes fens dcfolés La grandeur de ma pçrte & ce que vous valez 5 Et caclian: par pitié cette vertu Q. rare Qui redouble mes feux lorfqu'ellc nous fépare, faites voir des défauts qui puifTent à leur tour AfFoiblir ma douleur avecque mon amour, PAULINE. Hélas l cette vertu, quoiqu'enfîn invincible. Ne laifle que trop voir une ame trop fenfible. Ces pleurs en font témoins, & ces lâches foupir» Qu'arrachent de nos feux les cruels fouvcnirs , Trop rigoureux eiFcts d'une aimable préfence , •Contre qui mon devoir a trop peu de défenfe. Mais fl vous cflimez ce vertueux devoir , Confervez-m'en la gloire , & celTez de me voir. Epargnez-moi des pleurs qui coulent à ma honte , Epsrgjiez-moi des feux qu'à regret je furmontej Enfin épargnez- moi ces triftes entretiens , Qui ne font qu'irriter vos tourraens &L les miens. SEVERE. Que je me prive ainfi du feul bien qui me reftc PAULINE. Sauvez vous d'une vue à tous les deux funefte. SEVERE. Quel prix de mon amour , quel fruit de mes travaux ! P A U L I N E. Ceft le remède fcuI qui peut guérir nos maux» TRAGÉDIE. 249 SEVERE. Je veux mourir des miens , aimez-en la mémoire, PAULINE. Je vrtix guérir des miens , ils fouillcroient ma gloire^ SEVERE. Ah l puifque votre gloire en prononce l'arréc,. II faut c|ue ma douleur cède à (on intérêt j Eft-il rien que fur moi cette gloire n'obtienne ? Elle me rend les foins que je dois à la mienne. Adieu. Je vais chercher au milieu des combats • Cette immortalité que donne un beau trépas. Et remplir dignement par une mort pompcufe De mes premiers exploits l'attente avantageufc 3, Si toutefois , après ce coup mortel du fort , J'ai de la vie afl'ez pour chercher une mort, PAULINE. Et moi, dont votre vue augm.ente le fuppnce\,. Je l'éviterai même en votre facrifîce 3 Et feule dans ma chambre enfermant mes regrets ,- Je vais pour vous aux Dieux faire des vceux fecrets» SEVERE. PuifTe le jufle Ciel content de ma ruine Combler d'heur S: de jours Polyeude & Pauîinî,, PAULINE. Puide trouver Sévère après tant de malheur Une félicité digne de fa valeur, SEVERE, îl la trouvoit cd vous. PAULINE. Je dépendois d'un perc;. SEVERE. O devoir qui me perd & qui me défefpére i Adieu , trop vertueux objet & trop charmann. PAULINE. Adieu j trop malheureux & trop parfait amant,. 150 P O L Y E U C T E , '^ùir^'^ SCENE II L. PAULINE, STRATONICE. STRATONICE. J E vous ai plaint tous deux, j'en verfe cncor cîeî- Jarmes , Mais du moins votre efprit eft hors de Tes alarmes. Vous voyez clairement que votre fonge eft vain j.. Sévère ne vient pas la vengeance à la main. PAULINE. Laiffe-moi icfpircr du moins fi tu m'as plainte. Au fort de ma douleur tu rappelles ma crainte , Souffre ua peu de relâche à mes efprits troublés^ Et ne m'accable point par des maux redoubles.. STRATONICE. Quoi, vous- craignez encor l P A U L I N E. Je tremble , Scratonicc> Et bien^ne je m'effraie avec peu de juftice , Cette injuPte frayeur fans cefTc reproduit l'image des malheurs que j'ai vus cette nuit, STRATONICE. Scvcre eft généreux PAULINE. Malgré fa' retenu* 3^oIyeu- SCENE rv: POLYEUCTE, NEARQUE.. PAULINE, STRATO NICE, POLYEUCTE. 'Efl: trop verfer de pleurs , il eft temps qu'ils ca* rilfenc , Que votre douleur cefTe , & vos craintes fini/Tent r M-îîgié Jes faux avis par vos Dieux envoyés , Je fuis vivant. Madame , Se vous me revoyez». PAULINE. Le jour eft encor long, & ce qui plus m'ef?iaic^., La moitié de l'avis Ce trouve déjà vraie 3 ^ J'ai cru Sévère mort , 6^ je le vois ici. POLYEUCTE. Je le fçais , mais enfin j'en prends peu de Coucl^ Je fuis dans Mélitaine , & quel que Toit Sévère , Votre pcre y commande , Se l'on m'y confîderei-. Et je ne penfe pas qu'on puiHe avecraifon D'un cœur tel que le fien craitidre une trahilbn, - Ou-m'avoit alTuré qu'il vous Faifoit vifite , Et je venois-Iui rendre un honneur qu'il mérite, - P A U L I N E. ïl vient de me quitter auèz trifbe & confcis ;, Mais j'ai gagné fur lui qu'il ne me verra plus? POLYEUCTE.' Quel, vous me foupçonnez déjà de quelque ombragei'^ PAULINE; JFciexoij-à tous twis ua trop fenilble outrée, - 251 POLYEUCTE, J'alfuic mon repos que troublent Tes regards ^ La vertu !a plus ferme évite les halnrds , Qui s'expofe au péril veut bien trouver fa perte 5 Ec pour vous en parler avec une amc ouverte , Depuis qu'un vrai mérite a pu nous enflammer , Sa préfence toujours a droit de nous charmer. Outre qu'on doit rouç;ir de s'en laifTcr furprendre,- On foufFre à réfiftcr , on foUxTre à s'en défendre^ Et bien que la vertu triomphe de ces feux , La viâioire cft pénible & le combat honteux. POLYEUCTE. O vertu trop parfaite & devoir trop fincerc l Que vous devez coûter de regrets à Sévère l Qu'aux dépens d'un beau feu vous me rendez heureux,, Et que vous êtes doux à mon cceur amoureux ! Plus je vois mes défauts, & plus je vous contemple 3^ Plus j'admire. . . . '^- ■ '>'■'. ^gffci^. ■ — pi S C E N E V. ï>OLYEUCTE , PAULINE , NEARQUE ^ STRATONICE , CLEON. C L E O N. vJEigneur , Félix vous mande au Temple^ La viélime eft choifie & le peuple à genoux , Ec pour facrifîer on n'attend plus que vous. POLYEUCTE. Va, nous allons te fuivre. Y venez-vous. Madame } PAULINE. Sévère craint ma vue , elle irrite fa flamme. Je lui tiendrai parole & ne veux plus le voir, Adieu» Vous l'y verrez , pcnfez à Ton pouvoir^ i T R A G Ê D r E. 255 Et rc/Touvenez-vous que fa faveur eft grande. POLYEUCTÊ. Allez, tout fon crédit n'a rien que j'appréhende > Et comme je connois fa gcnérolité , Nous ne nous combattrons que de civilité. :i»M2?s;éfe SCENE V L POLyEUCTE,NEARQUE, N E A R Q U E. o U penfez-vous aller } POLYEUCTE. Au temple où l'on m'appelle, N E A R Q U E. Quoi! vous mêler aux vœux d'une troupe infidelle t. Oubliez-vous déjà que vous êtes Chrétien ? POLYEUCTE. Vous par qui je le fuis vous en fouvient-il bien?. N E A R Q U E. J'abhorre ks faux Dieux. POLYEUCTE, Et moi je les déteftca N E A R Q U E. Je tiens leur culte impie. POLYEUCTE. Et je le tiens funeftci. N E A R Q U E. îuyez donc leurs autels. POLYEUCTE. Je les veux renverfçf ^ It mourir dans Içur tçmple ou les y terrafler^ :rf4 P O L Y E U C T E , Allons, mon cher Néajrq.ue, allons aux ycuxider- hommcs- Braver l'idolâtrie, & montrer c\u\ nous fommes j C'cll: ^attente du Ciel , il nous la faut remplir , Je viens de le promettre Se je vais l'accomplir. Je rends grâces au Dieu que tu m'as fait connoîtrc De. cette occafion qu'il a fî-tôt fait naître , Ou déjà fa bonté pictcà me couronner , Daigne éprouver la foi. qu'il vicuic de. me. donner. N E A R Q U E. Cezelêeil'trop ardent, fouffrez qu'il fc nvodérc- POLYEUCTE. On n'en peut avoir trop pour le Dieu qu'on révcrc*'.. N E A R Q U E, Vous trouverez, la mort. POLYEUCTE. Je la cherche pour luîy.. N E A R Q U E, £t iî ce cccur s'ébranle ? POLYEUCTE. Il fera mon appui,-. NE ARQUE. 21 ne commande point que l'on s'y précipite, POLYEUCTE. Plus elle efl; volontaire , & plus elle mérite. . N E A R Q U E, 51 fuffit fans chercher d'attendre & de fouffrîr. POLYEUCTE. On foufFre avec rcg.ret quand. on n'ofe. s'offrir, N E A R Q U E. Mais dans ce temple enfin la mcwrt cft afTurée.. POLYEUCTE. Mais (kas. k Ciçl déjà la. palrae eu pjéparcc. .. TRAGÉDIE*. 2sr N E A R Q U E, Far une fainte vie il faut la mcricer. P O L Y E U C T E. Mes crimes en vivant me la pourroienc otcr; Pourquoi mertre au liafard ce que la mort afllire ?. Quand elle ouvre le Ciel , peut-eîlc fembler dure? Je fuis Chrcrfen, Kéarque., & le fuis tout-àrfait > La foi que j'ai reçue afpire.à foR' afFct , Qui fuit, croit lâchement , & n'a qu'une foi nrortç*; N E A R Q U E,. Ménagez votre vie , à Dieu même elle importe j^. Yivez pour-ppotéger les Ciircticns en ces lieux, . POLYEUCTE. li'exemple de ma mort les fortifiera mieux, N E A R Q U E. Vous voulez donc mourir ! POLYEUCTE. Vous aimez donc à vivre L N E A R Q U E. Je ne puis déguifcr que j'ai peine à vous fuivrc , Sous l'horreur des tourmens je crains de fuccomber.. POLYEUCTE. Qui marche aflurément n'a point peur de tomber ^^, Dieu fait part au befoin de fa force infinie i Qui craint de le nier dans fon ame Le nie , îl croit le pouvoir faire & doute de fa foi, N E A R Q U E. Qui n'appréhende rien préfume trop dé foi.' POLYEUCTE. J'attends tout de fa grâce & rien de ma foibleflè ; Mais loin de me preiîèr , il faut que je vous preiT^î- D'où vient cette froideur ? N E A R Q U E. Dieu même a craint la mort, . POLYEUCTE. il s'efl oiFçit pourtant ^ fuivons ce faint eifort, , 25^ P O L Y E U C T E ; Drcllons-Iui des autels fur des monceaux d'idoles^ . II faut , je me fouviens cncor de vos paroles , Négliger pour lui plaire, & femme , & biens, &rang,\ Expofer pour fa gloire , & verfer tout fon fang. Hélas l qu'avez-vous fait de cette amour parfaite Que vous me fouhaitiez & que je vous fouhaite? S'il vous en redc cncor ,. n'ctes-vous point jaloux Qu'à grand peine Ciirctien j'en montre plus que vous : N E A R Q U E. Vous fortez du baptême , & ce qui vous anime C'eft fa grâce qu'en vous n'affoiblit aucun crime ; Comme encor tout entière elle agit pleinement. Et tout fcmble poflVble à fon feu véhément. Mais cette mcme grâce en moi diminuée , Et par mille péchés fans cefle exténuée , Agit aux grands effets avec tant de langueur , Que tout ferable impoffibleà fon peu de vigueur. Cette indigne raolefle & ces lâches défenfes Sont des punitions qu'attirent mes offenfcs} Mais Dieu donton ne doit jamais fe défier. Me donne votre exemple à me fortifier. Allons , cher Polyeude , allons aux yeux des lioiïl*- mcs Braver l'idolâtrie & montrer qui nous fommes ; Puiflai-je vous donner l'exemple de fouffrir , Comme vous me donnez celui de vous offrir. POLYEUCTE. A cet heureux rranfport que le Ciel vous envoie Je rcconnois Néarque , & j'en pleure de joie. Ne perdons plus de temps, le facrificeePtprct, Allons-y du vrai Dieu foutenir l'intérêt. Allons fouler aui pieds ce foudre ridicule Dont arme un boi-^ pourri ce peuple trop crédule^ Allons en éclairer l'aveuglement fatal. Allons brifei ces Diçux de pierre Se de tnét^ly TRAGÉDIE. 1^7 Abandonnons nos jours à cette ardeur célefte, Faifons triompher Dieu, qu'il dirpoTc du reftc. N E A R Q U E. Allons faire éclater fa gloire aux yeux de tous , Et répondre avec zèle à ce qu'il veut cenous. Fin du fécond Acic, z^S P O L Y E U C T E , ACTE I I L SCENE PREMIERE. PAULINE. o Uc de foucis flottans Î.Qp£ deconfus nnagcs Prcfcntcnt à mes yeux d'inconftcntes images l Douce iraiicjuillitc que je n'ofc efpércr , Que ton divin rayon tarde à les éclairer l Mille agitations que mes troubles produi(ent Dans mon cœur ébranlé tour- à-tour fe détruifent^ Aucun cfpoir n'y coule où j'ofe perfifter; Aucun effroi n'y règne où j'ofe m'arréter. Mon efprit embrasant tout ce qu'il s'imagine. Voit tantôt mon bonheur & tantôt ma ruine J Et fuit leur vaine idée avec fi peu d'effet , Qu'il ne peut efpcrer ni craindre tout-à fait. Sévère incelTamment brouille ma fântaific, J'efpcre en fa vertu , je crains fa jaloufie ; Ht je n'ofc penfer que d'un ncil bien égal Polyeu(fle en C2S lieux puiiïe voir fon rival. Comme entre deux rivaux la haine cft naturelle , L'entrevue aifément fe termine en querelle, '^ L'un voit aux* mains d'autrui ce qu'il croit mériter-. L'autre un dcfefpéré qui peut tour attenter j Quelque haute raifon qui règle leur courage , L'un conçoit de l'envie & l'autre de l'ombraf^e y La honte d'un affront que chacun d'eux croit voir^ Ou de nouveau reçue , ou prête à recevoir , Confumant des l'abord toute leur patience , îorrae de la colcre & de la défiance , Et faififfantenfemble & l'époux & l'amant ,„ lin dépit d'eux les livre-à leur rcfrcntiment». TRAGÉDIE. 25^ Mais que je me figure une étrange chimère , Ec que je traite mal Polyeude & Sévère , Comme fi la vertu de ces fameux rivaux Ne pouvoit s'affranchir de ces communs-défauts l Lrurs âmes à tous d'eux d'elles-mêmes maîtrefies Sont d'un ordre trop haut pour de telles balfelfes^ Ils fe verront au Temple en hommes généreux j Mais las l ils fe verront, & c'eft beaucoup pour eux.. Que fert à mon époux d'être dans Mélitaine 3. Si contre lui Sévère arme l'aigle Romaine, Si mon père y commande & craint ce favori 3. Et fe repent déjà du choix de mon mad ; Si peuque j'aid'efpoir ne luit qu'avec contrainte^ En najflnnt il avorte & fait place à la crainte. Ce qui doit l'affermir fcxt à le diiliper : Dieux 1 faites que ma peur puilfe enfin fe tromper^ Mais fçachons-en riiTue» •j^^^g?^^»- !.. ■ ■ I ^rj. SCENE IL PAULINE, STRATONICE. PAULINE. E bien , ma Stratonice , Comment s'eft terminé ce pompeux facrifice? Ces rivaux généreux au Temple iè font vus 2 S T R A T O N I C E» Ah l Pauline. PAULINE. Mes vopux ont-ils été déçus ? J'en vois fur ton.vilage une mauvaife marque. Se font-ils querellés: STRATONICE. Polycudc,^\éârque i6o P O L Y E U C T E, Los Chrétiens.. .. PAULINE. Parle donc , les Chiéciens ? STRATONICE. Je ne puis* PAULINE. Tu prépares mon amc à d'étranges ennuis. STRATONICE. Vous n'en fçauriez avoir une plus jufte caufe» P A U L I N E. L'ont-ils afiafllné ? STRATONICE. Ce (croit peu de chofe , Tout votre fonge eft vrai , Polyeuâ:e n'eft plus. . ; 'PAULINE. II eft mort l STRATONICE. Non , il vit, mais ô pleurs fupcrflusî Ce courage Ci grand , cette amc fi divine N'eft plus digne du jour ni digne de Pauline. Ce n'eft plus cet époux fi charmant à vos yeux , C'eft l'ennemi commun de l'Etat & des Dieux , Un méchant, un infâme, un rebelle, un perfide^ Un traître, un fcclcrat, un lâche, un parricide^ Une pcfte exécrable à tous les gens de bien , Un facrilegc impie , en un mot un Chrétien, PAULINE. Ce mot auroit fufïi fans ce torrent d'injures, STRATONICE. Ces titres aux Chrétiens font-ce des impoftures^ PAULINE. 11 cft ce que tu dis , s'il crr.braffc leur foi , Mais il cft mon époux , & tu parles a moi. STRATONICE. Ne confidérez plus que le Dieu qu'il adore. PAULINE. Je l'aimai par devoii" j^ ce devoir dure encoro^ TRAGÉDIE. 261 STRATONICE. Il vous donne à prcfent fujcc de le hair : Qui trahit tous nos Dieux auroit pu vous trahir. PAULINE. Je l'aimcrois encor quand ii m'auroit trahie j Et fi de tant d'amour tu peux être ébahie , Apprends que mon devoir ne dépend point du (îen. Qu'il y manque s'il veut , je dois faire le mien. Quoi , s'il aimoit ailleurs, ferois-je difpenfée A fuivre à fon exemple une ardeur infcnfée ? / Quelque Chrétien qu'il foit, je n'en ai point d'hoc* reur , 1 Je chéris fa perfonne , & je hais fon erreur. Mais quel rcirentimcnt en témoigne monpcreî STRATONICE. Une fecrete rage , un excès de colère. Malgré qui toutefois un refte d'amitié Montre pour Polycuclc encor quelque pftié ; Il ne veut point fur lui faire agir fa jufiice , Que du traître Néarque ii n ait vu le fupplice, PAULINE. Quoi 1 Néarque en cfl donc } STRATONICE. Néarque Ta féduit , De leur vieille amitié c*tO: là l'indigne fruit. Ce perfide tantôt , en dépit de lui-même , L'arrachant de vos bras le rtaînoic au baptême ^^ " Voilà ce grand fecrct & Ci myftérieux Que n'en pouvoir tirer votre amour curieux, PAULINE. Tu me blâmois alors d'être trop importune, STRATONICE. Te ne prévoyois pas une telle infortune. PAULINE. Avant qu'abandoûner mon ame à mes douleurs ^ Il me faut clfayer la force de mes pleurs , i(Si P O L Y E U C T E, En cjualitc de femme ou de fille , j'efpcre Qu'ils vaincront un époux ou fléchiront un pcre ; Que Fi fur l'un fi: l'autre ils manquent de pouvoir ^ Je ne prendrai confeil que de mon défefpoir. Apprends-moi cependant ce qu'ils ont fait au Temple^ STRATONICE. C'cftune impiété qui n'eut jamais d'exemple , Je ne puis y penfcr fans frémir à l'inftant , Et crains de faire un crime en vous la racontant. Apprenez en deux mots leur brutale infolcncc. -Le Prêtre avoit a. peine obtenu du filencc , Et devers l'orient alTuré fon afpeit , Qu'ils ont fait éclater leur manque de rcfpcét ; A chaque occafion de la cérémonie , A l'envi l'un & l'autre ét.oloit fa manie,, Des myftcres facrés hautement fe moquoit. Et traitoit de mépris les Dieux qu'on invoquoit , Tout le peuple en murmure , & fcîix s'en offenfe. Mais tous deux s'emportanc à plus d'irrévérence. Quoi , lui dit Polyeude en élevant fa voix, yidore^-vous des Dùux ou de pierre ou de bois ? Ici difpenfez-moi du récit des blafphcmes Qu'ils ont vomi tous deux contre Jupiter même. L'adultère & Tincefte en étoient les plus doux. Oye^ , dit-il, enfuite, oye^ , Peuple , oyeT^ tous. Le Dieu de Po/yeucîe & celui de Néarquc De la terre 6' du Ciel efl l'abfolu Monarque , Heul Etre indépendant , feul maître du dejiin. Seul principe éternel ^ & fouverainc fin. C'efi ce Dieu des Chrétiens qu'il faut quon remercie Des vicîoires qu'il donne a l'Empereur Décie , Lui feul tient en fa main le f accès des combats , Il le veut élever , il le peut mettre a bas j Sa bonté , fon pouvoir yfajujlice efi immenfe , C'ejl lui feul qui punit , lui feul qui récompenfe j,' Vous^ adorej^ en vain des monfires impuijfans* Se jettant à ces mors fur le vin &: Tencças » T R A G É D I E. i5| Tîprès en avoir mis les faints vafes par terre. Sans crainte de Félix , fans crainte du tonnerre , D'une fureur pareille ils courent à l'autel. Cieux , a-t-on vu jamais , a-t-on rien vu de tel ? Du plus puiiTaut des Dieux nous voyons la ilatiie Par une main impie à leurs pieds abattue , Les myftcres troublés , le Temple profané, La faire & les ciamcurs d'un peuple mutiné. Qui craint d'être accablé fous le courroux célefle; Félix . . . Mais le voici cjui vous dira le xefte. PAULINE. Que Ton vifage efl: fombre & plein d'émotion! Qu'il montre de triftelTe & d'indignation l s C E N E I I I. ÏELIX, PAULINE, STRATONÎCE, FELIX. Ne telle indolence avoit oCé paroîtrel ïn public 1 à ma vue 1 il en. mourra le traître» PAU L IME. ' Souffrez que votre fille. embralîe vos genoux. FELIX. Je parle de Néarque & non de votre époux. Quelque indigne qu'il (bit de ce doux nom Je gendre. Mon amc lui conferve un fenriment plus tendre 3 La grandeur de fbn crime & de mon dcplaifîr N'a pas éteint l'amour qui«ie l'a fait cJioifir, PAULINE. Je n'attendois pas moins de la bonté d'un perc. .,,••;'-• F E L IX. - Je jpouybis l'inimolei à ma juile colcrc , : r,4 P O L Y E U C T E, Car vous n'ignorez pas à quel comble d'horreur De foji audace impie a monte la fureur : Vous l'avez pu fçavoir du moins de Stratonice. PAULINE. Je fçais que de Néarcjue il doit voir le Tupplice» FELIX. Du confcil qu'il doit prendre il fera mieux inftruit , Quand il verra punir celui qui l'a fcduir. Au fpcdlade fanglanc d'un ami qu'il faut fuivrCiJ La crainte de mourir & le defir de vivre Refaiinfent une ame avec tant de pouvoir. Que qui voit le trépas ccfle de le vouloir ; L'exemple touche plus que ne fait la menace, Cette indifcrette ardeur tourne bientôt en glace > Et nous verrons bientôt fon cœur inquiété Me demander pardon de tant d'impiété. PAULINE. Vous pouvez efpérer qu'il change de courage î FELIX. Aux dépens de Néarque il doit fe rendre fage. PAULINE. Il le doit , mais hélas l où me renvoyez-vous , Et quels triftcs hafards ne court point mon époux» Si de fon inconftance il faut qu'enfin j'efpere Le bien que j'efpérois de la bonté d'un- père "î F EL I X. Je vous ca fais trop voir , Pauline , à confentir Qu'il évite la mort par un prorqpt repentir 5 Je devois même peine à des crimes fcmblables , Et m&ctant différence entre ces deux coupables , J'ai trahi la juftice à l'amour paternel , Je me fuis fait pour lui moi-mcme criminel j Et j'attendois de vous au milieu de vos craintes , Plus de remcrcicmcns que je n'entends de plaintes, P A U L I N E, . De quoi remercier qui ne me donne rien? Je fçais quel cft l'humeur Se i'efprit d'un Chrétien,, - TRAGÉDIE. i^î Dans robftination iurqu'au bout il demeure , Vouloir Ton repentir c'eft ordonner qu'il meure. FELIX. Sa^race cft dans fa main , c'eft à lui d'y rêver, PAULINE. Faites-la toute entière. f E L I X. Il la peut achever. PAULINE. Ne l'abandonnez pas aux fureurs de fa re<5le, FELIX. Je l'abandonne aux loix qu'il faut que je refpectc, PAULINE. Eft-ce ainfi que d'un gendre un beau -père efl l'ap-* pui? . . . FELIX. Qu'il fafle autant pour foi comme je fais pour lui, PAULINE. Mais il eft aveuglé. FELIX. Mais il fe plaît à l'ctrc. Qui chérit Ton erreur ne la veut pas connoître» PAULINE. Mon perc , au nom des Dieux. . . . FELIX. Ne les réclamez pas Ces Dieux dont l'intérêt demande Ton trépas» PAULINE. Ils écoutent nos vœux. FELIX. Hé bien , qu'il leur en fafTe. . T PAULINE. Au nom de l'Empereur dont vous tenez la place. . , T FELIX. J'ai fon pouvoir en main ; mais s'il me l'a commis, C'eft pour le déployer contre Tes ennemis. Tome /» M iC:6 POLYEUCTE, PAULINE. Poîycude l'efl-il ? f E L I X. Tous Clucticns font rebelles. PAULINE. N'écoutez point pour lui ces maximes cruelles 5 En épou£ànc Pauline il s'eft fait votre fang. FELIX. Je regarJe fa faute & ne vois plus fon rang. Quand le crime d'Etat £e mêle au fncrilege , Le lang ni l'amitié n'ont plus de privilège, PAULINE, Quel excès de rigueur l FELIX. Moindre que (on forfait; PAULINE. O de mon fonge affreux trop véritable effet ! "Voyez-vous qu'avec lui vous perdez votre fîlle ? FELIX. Les Dieux &: l'Empereur font plus cjue ma famille* PAULINE. La perte de tous deux ne vous peut arrêter l FELIX. J'ai les Dieux & Dccie enfemble à redouter. Mais nous n'avons encore à craindre rien de trifîc ^ Dans fon aveuglement penfcz-vous qu'il perfîfteî S'il nous fembloit tantôt courir à fon malheur, C'efl d'un nouveau Chrétien la première chaleur, PAULINE. Si vous l'aimez encor , quittez cette efpérance Que deux fois en un jour il change de croyance 5 Outre que les Chrétiens ont plu<; de dureté , Vous attendez de lui trop de légèreté. Ce n'cft point une erreur avec le lait fucée , Que fans l'examiner fon ame ait embrafiee j Polyeudle eft Chrétien parce qu'il l'a voulu, £t vous porioit au Temple un efprii; réfolu. TRAGÉDIE. 257 Vous ^evez prcfumer de lui comme du refte. Le trépas nd\ pour eux ni honteux ni funefte > Ils clierchenç de la gloire à méprifer nos Dieux ^ Aveugles pour la terre, ils afpirent aux Cieux ; Et croyant que la mort leur en ouvre la porte ^ Tourmentés , déchirés , aifafrmés, n'importe , Les fupplices leur font ce qu'à nous les plai(îrs. Et les mènent au but où tendent leurs defirs ; La mort la plus infâme ils l'appellent martyre. FELIX. Hé bien donc , Polyeu6le aura ce qu'il dcfîre. N'en parlons plus. PAULINE. Mon perc .... < '--^ ' * *■ =igr '^'^ iiT S C E N E I V. fELIX, ALBIN, PAULINE; STRATONICE. FELIX. A Lbin , eneft-ce fait ? A L B I N. Oui , Seigneur , & Néarquc a payé foa forfait, FELIX. Et notre Polyeudc a vu trancher fa vie? ALBIN. îl l'a vu , m^is hélas l avec un œil d'envie , Il biûlc de le fuivre au lieu de reculer , Et fon cœur s'affermit au lieu de s'ébranler. PAULINE. Je vous le difois bien. Encore un coup , mon perc j Si jamais mon refpedl a pu vous fatisfaire , Si vous l'avez prifé , fi vous l'avez chéri. . , M ij i68 POLYEUCTE, FELIX. Vous aimez trop , Paulii>c , un indigne mari. PAULINE. Je l'ai de ^'otrc main , ir.on amour eft fans crime , Il cil: vie votre choix la glorieufc cflime , Ec j'ai pour l'acccpcer éteint le plus beau fc-u Qui d'une ame bien née ait mérité l'aveu. Au nom de cette aveugle & prompte obéiffancc Que j'ai toujours rendue aux loix de la naidance. Si vous avez pu tout fur nK)i , fur mon amour. Que je puifle Cm vous quelque chofe à mon tour. Par ce jufte pouvoir à préfcnt trop à craindre , Par ces beaux fentimens qu'il m'a fallu contraindre , Ne m'ôtez pas vos dons , ils font cliers à mes yeux. Et iTî'ont aflez coûté pour m'étre précieux. FELIX. Vous m'importunez trop , bien que j'aie un cœur tendre , Je n'aime la pitié qu'au prix que j'en veux prendre; Employez mieux l'effort de vos juflcs douleurs , Malgré moi m'en toucher , c'eft perdre & temps & pleurs , J'en veux être le maître , & je veux bien qu'on fçachfi Que je la défavoue alors qu'on me l'arrai-he. Prépaiez-vous à voir ce malheureux Chrétien , Et faites votre effort quand j'aurai fait le mien : Allez , n'irritez plus un père qui vous aime. Et tachez d'obtenir votre époux de lui-même. Tantôt jufqu en ce lieu je le ferai venir j Cependant quittez-nous , je veux l'entretenir, ^ PAULINE. De srace, permettez. . . . ^ ALBIN. Laiffez-nous feuls , vous dis-je j Vôtre douleur m'offcnfc autant qu'elle m'afflige, A î^agncr Polyeufte appliquez tous vos foins, yousavancçrcz plus en m'importunanc moins. TRAGÉDIE.. 2.69 -Jîî=î,îJfc^f^ SCENE V. IELIX,ALBlîSr, FELIX. Lbin , comme eft-il mort? ALBIN. En brutal , en fmpie^ En bravant les tourmens , en dédaignant la vie. Sans regret , fans murmure , & fans étonnemenc 5.' Dans l'ûbftination & l'endurcilfement , Comme un Chrétien enfin , le blafphême à la boucbov. FELIX. Et l'autre ^ ALBIN. Je l'ai dit déjà, rien ne le touche ; Loin d'en être abattu Ton cœur en eft plus haut* On l'a violenié pour quitter l'échafaud , Il eft dans la prifon où je l'ai vu conduire ; Mais vous êtes bien loin encor de le réduire, FELIX. Que je fuis malheureux l ALBIN. Tout le monde vous plaint. FELIX. On ne fçaît pas les maux doiit mon cœur efl: atreinîTa- De penfers fur penfcrs mon ame eft agitée , De foucis fur foucis elle eft inquiétée 5 Je fens l'amour , la haine , & la crainte , & l'efpoir ; La joie & la douleur tour-à-tour l'émouvoir. J'entre en des (êntimens qui ne font pas croyables , J'en ai de violens , j'en ai de pitoyables, M iij î7<3 P O L Y E U C T E, J'en ai de gcncreiix c]ui n'oferoient agir. J'en ai rncme de bas , & qui me font rougir. J'nimc ce malheureux (]ue j'ai choifî pour gendre^ Je hais l'aveugle erreur qui le vient de furprendrc^ Je déplore fa perte ; & le voulant fauver , J'ai la gloire des Dieux cnfcmblc à confervsr , Je redoute leur foudre & celui de Décie j Il y va de ma charge , il y va de ma vie : A'mfi tantôt pour lui je m'expofe au trépas, £t tantôt je le perds pour ne me perdre pas. ALBIN. Décie excufcra l'amitié d'un beau-pere , £t d'ailleurs Pclyeude eft d'un fang qu'on reVcrCi FELIX. A punir les Chrétiens Ton ordre eft rigoureux; Et plu<; l'exemple cft grand , plus il efl: dangereux. On ne diftingu;; point quand i'offenfe eft publique ,. Et lorfqu'on dij[|imule un crime domeftiqus , Par quelle autorité peut-on , par quelle loi Châtier en auîrui ce qu'on fouitre chez foi? A L 3 I N. Si vous n'ofez avoir d'égard à fa perfonne , Ecrivez à Dccie afin qu'il en ordonne. P E L I X. Sévère me perdroit i\ j'en ufois ainfi : Sa haine Si (on pouvoir font mon plus grand fouci ; Si j'avois différé de punir un tel crime, Quoiqu'il foit généreux , quoiqu'il foit magnanimiC^ Il cfi: homme S: fcnfible , & je l'ai dédaigné. Et de tant de mépris fon-efprit indigné, Que met au défefpoir cet hymen de Pauline, Du courroux de Dccie obticndroit ma ruine. Pour venger un affront tout femble être permis , Et les occafions tentent les plus remis. Peut-être , & ce Toupçon n'cft pas fans apparence ^ 11 rallume en Ton caur déjà quelque efpérancc^ TRAGÉDIE. vj% Et croyant bientôt voir Polycudc puni , II rappelle un amour à grand peine banni. ïugc il fa colère en ce cas implacable Me feroit innocent de faaver un coupable , Et s'il m'épaigncroit , voyant par mes bontés Une féconde fois fcs dclfeins avortes. Te dirai- je un penfer indigne , bas , & lâche ? Je l'écoufTe , il renaît^ il me flatte & me fàcliej L'ambition toujours me le vient prcfenter ,. Kr tout ce que je puis c'eft de le dctcfter, Polycuclc efl: ici l'appui de ma famille 5 Mais h par fon trépas l'autre tpoufoit ma HIIc ,. J'accjuerrois bien par-là de plus puilfans appuis Qui me mettroienc plus haut cent fois que je ne fiiisi Mon cœur en prend par force une maligne joie , Mais que plutôt le Ciel à tes yeux me foudroie , Qu'à des penfcrs (i bas je puilfe confentir , Que jufqucs-là ma gloire ofe fe démentir. ALBIN. Votre -cœur cfl trop bon & votre ame trop haute} Mais vous réfoivez-vous à punie cette faute ?. F E L I x: Je vais dans la prifon faire tout mon efTort- A vaincre cet efprit par l'effroi de la mort, Lt nous verrous après ce que pourra Pauline,, A L B I N, Que ferez-vous enfin fi toujours il s obftine ? FELIX. Ne me prcfie point tant, dans un tel déplaifir Je ne puis que.réfoudre & ne fçais que choifir. ALBIN. Je dois vous avertir en ferviteur fidèle Qu'en fa faveur àéf^ la Ville fe rebelle , Et ne peut voir paffer par la rigueur des loix Sa dcrmere efpérance & le fang de Tes Rois. M iv àyi P O L Y E U C T E, Je tiens fa prifon mcme a/fez mal affurcc , J'ai lailfc tout au tour une troupe éplorce. Je crains qu'on ne la force. FELIX. Il faut donc l'en tircr^ Et l'amener ici pour nous en aifurer. ALBIN. Tirez-l'en donc vous-même , & d'un cfpoir de grac© Appaifez la fureur de cette populace. FELIX. Allons , & s'il perfiftc à demeurer Chrétien , Nous en difpoferons fans qu'elle en fçaclie rien.. Fin du troifume ASîe^ TRAGÉDIE. 273 ACTE IV. SCENE PREMIERE, POLYEUCTE, CLEOM-. Trois autres Gardes. G POLYEUCTE. Ardcs , que me veut-on V. C L E O N. Pauline vous demande. POLYEUCTE. O préfencc , ô combat que fur- tout j'appréhende î Félix , dans la piifon j'ai triomphé de toi , J'ai ri de ta menace , & t'ai vu fans effroi , Tu prends pour t'en venger de plus puilfantes armes '-, Te craignois beaucoup moins tes bourreaux que fcs larmes. Seigneur , qui vois ici les périls que je cours ^ En ce prelTant befoin redouble ton fecours. Et toi qui tout (brtant encor de la victoire Regarde mes travaux du féjour de la gloire , Cher N^arquc , pour vaincre un fi fort ennemi ,. Prête du haut du Ciel la m.ain à ton ami. Gardes , ofcriez-vous me rendre un bon ofKcc ^ Non pour me dérober aux rigueurs du fupplice , Ce n'efl: pas mon deffein qu'on me faHe évader j. Mais comme il fufHra de trois à me garder ,, L'autre m'obligcroit d'aller quérir Sévère j Je crois que fans péril on peu: me ratisfaire3 Si j'avois pu lui dire un lecret important , 21 vivrtùt pjus heureux, & je mourrois contect. . M. y» 274 P O L Y E U C T E, C L E O N. Si vous me l'ordonnez , j'y cours en diligence. POLYEUCTE. Sévère a mon défaut fera ta rccompenfe. Va , ne perds point de temps , & revient prompte» nient. C L E O N. Je ferai de retour , Seigneur, dans un moment. S s c E N E I I. POLYEUCTE. Les Gardes fe retirent au côté du Théâtre, Ource délicieufe en mifcres féconde , Que voulez-vous de moi , flatteufes voluptés 1 Honteux attachemens de la chair & du monde. Que ne me quittez-vous quand je vous ai quittés 1 Allez, honneurs , plaifirs , qui me livrez la guerre;. Toute votre félicité Sujette à l'inftabilité En moins de rien tombe par terre j: Et comme elle a l'éclat du verre , Elle en a la frafîilité. Ainfi n'cfpércz pas qu'aprùs vous je foupire. Vous étalez en vain vos charmes impuifTans, Vous me montrez en vain par tout ce valte Empira Les ennemis de Dieu pompeux & florifTansâ 11 étale à Ton tour des revers équitables Par qui les Grands font confondus^ Et les glaives qu'il tient pendus Sur les plus fortunés coupables , Sont d'autant plus inévitables , Que leurs coups foût nioias attendus. T R A G É D I E. ~ ij^ Tigre altère de fang , Dccie impitoyable , Ce Dieu t'a trop long-temps abandonné les {îeiis , De ton heureux dcftin vois la fuite effroyable , Le Scythe va venger la Perle Se les Chrétiens. Encore un peu plus outre , ôc ton heure eft venue , Rien ne t'en fçauroit garantir j Et la foudre qui va partir , Toute prête à crever la nue , Ne peut plus être retenue Par l'attente du repentir. Que cependant Félix m'immole à ta colère \, Qu'un Rival plus puiffant éblouiffe Cqs yeux. Qu'aux dépens de ma vie il s'en falfe beau-perc , Ht qu'à titre d'efclave il commande en ces lieux > Je confèns , ou plutôt j'afpire à ma ruine : Monde , pour moi tu n'as plus rien ; Je porte en un cœur tout Chrétien Une flamme toute divine , Et je ne regarde Pauline Que comme un obftaclc à mon bieii». Saintes douceurs du Ciel , adorables idées. Vous remplirez un cœur qui vous peut recevoir ^ De vos facrés attraits les âmes pofTédées Ne conçoivent plus rien qui les puilfe émouvoir; Vous promettez beaucoup Se donnez davantage ; Vos biens ne font point incon flans ^ Et l'heureux trépas que j'attends Ne vous fert que d'an doux palfage Pour nous introduire au partage Qui nous rend à jamais contiens. Ceft vous , ô feu divin , que rien ne peut étein- dre , 2.ui Hî'allcz faire voir Pauline fans la craindre. M vj 175 P O L Y E U C T E , Je la vois , mais mon cœur d'un faintzelc enflammé * N'en goûte plus Tappas dont il croit charme j Et mes yeux éclairés des célcftes lumières Ne trotivcut plus aux fiens leurs grâces coutumieresw SCENE I I î. P O L Y E U c T E , P A u L r N E. Gardes. M F o L Y E u c T E. Adame , quel defTein vous fait me demander? Elt-cc pour me combattre ou pour me féconder î Cet effort généreux de votre amour parfaite Vient il à mon fccours ? Vient-il à ma défaite : Apportez-vous ici la haine ou l'amitié. Comme mon ennemie ou ma chère moitié } PAULINE. Vous n'avez point ici d'ennemis que vous-même , Seul vous vous haïffez , lorfque chacun vous aime , Seul vous exécutez tout ce que j'ai rcvé; Ne veuillez pas vous perdre , & vous êtes (àuvé,. A quelque extrémité que votre crime paffe , Vous êtes innocent fî vous vous faites grâce. Daignez confidérer le fang dont vous forcez , Vos grandes aélions, vos rares qualités 3 Chéri de tout le peuple , cftiraé chez le Prince , Cendre du Gouverneur de toute la I*rovince 3 Je ne vous compte à rien le nom de mon ép(7ux , Ceft un bonheur pour moiquin'cfl: pas grand pouî^ vous } Mais après vos exploits , après votre nai-lTance, Après. YQue pouvoir. vo)cz lioîrs çfpérance; A TRAGÉDIE. 277 Ivt n'abandonnez pas à la main d'un bourreau Ce qu'à nos jufles vœux piomcc un fort fi beau. POLYEUGTE. Je confidere plus , je fçais mes avantage? Et refpoir que fur eux forment les grands courages»' Ils n'afpircnc enfin qu'à des biens pafTagers Que troublent les foucis , que fuivent les dangers 5 La mort nous les ravit , la fortune s'en joue , Aujourd'hui dans le trône , & demain dans la boue, Et leur plus haut éclat fait tant de mécontent , Que peu de vos Céfars en ont joui long- temps. J'ai de l'ambition , mais plus noble & plus belle,' Cette grandeur pcric , j'en veux une immortelle , Un bonheur affuré , fans mefure & fans fin. Au delTus de l'envie, au-defius du deftin. Eft-ce trop l'acheter que d'une trifte vie Qui tantôt, qui fbudain me peut être ravie, Q'ji ne me fait jouir que d'un inftant qui fuit. Et ne peut m'alTurer de celui qui le fait 2 PAULINE. Voilà de. vos Chrétiens les ridicules fongcs. Voilà jufqu'à quel point vous charment leurs ruen- fonges , Tout votre fang ert: peu pour un bonheur û doux 3 Mais pour en difpofer ce fang eft-il à vousî Vous n'avez pas la vie ninfi qu'un héritage , ie jour qui vous la donne en même- temps l'engage ^ Vous la devez au Prince , au Public , à l'Etat. POLYEUCTE. Je la voudrois pour eux perdre dans un combat. Je fçais quel en eft l'heur & quelle en eft la gloire 5 Des Aïeux de Décie on vante la mémoire , Et ce nom précieux encore à vos Romains , Au bout de fix cens ans lui met l'Empire aux mainj. Je dois ma vie au Peuple , au Prince , à fa Couronne ^ hUis je. la. dois bien plus au Disu qui me la donne.; lyS P O L Y EU C T E, Si mourir pour Ton Prince efl un illuftre fort , Quand on meure pour Ton Dieu , quelle fera ia mort T- PAULIN E, Quel Dieu V POLYEUCTE. Tout beau , Pauline , il entend vos paroles^. Et ce n'cft pas un Dieu comme vos Dieux frivoles, Infenfibles & fourds , impuilTans , mutiles , De bois , de marbre , ou d'or , comme vous le voulez, C'cft le Dieu des Chrétiens , c'eft le mieii , c'cft h votre; Et la terre & le Ciel n'en connoilTent point d'autre. PAULINE. Adorez. le dans l'amc , & n'en témoignez rien. POLYEUCTE. Que je fois tout enfcmbîc Idolâtre & Chrétien I PAULINE. Ne feignez qu'un moment , laiflez partir Sévère , Et donnez heu d'agir aux bontés de mon père. POLYEUCTE. Les bontés de mon Dieu font bien plus à chérir : Il m'ôte des périls que j'aurois pu courir, E: lans me laiffer lieu de tourner en arrière , Sa faveur me couronne entrant dans la carrière , Du premier coup de vent il me conduit au port , Et forrant du Baptême il m'envoie à la morr. Si vous pouviez comprendre , 3c le peu qu'eft la vie , Et de quelles douceurs cette mort efl: fuivie. . . Mais que fert de parler de ces tréfors caches A des efprits que Dieu n'a pas encor touchés ? PAULINE. Cruel , car il efl: temps que ma douleur éclate. Et qu'un jufte reproche accable une ame ingrate; Efl-cc là ce beau feu ":' Sont-cc là tes fermens ? Témoignes-tu pour moi les m.oindrcs fentimcns î Je ne te parlois point de l'état déplorable Où ta rru)rt va laifTer ta femme iaconfolablc3 TRAGÉDIE. 27g Te croyois que l'amour t'en parleroic alTez, Et je ne voulois pas de fentimens forcés^. Mais cette amour fi ferme Se fi bien méritée Que tu m'avois promife & que je t'ai portée , Quand tu me veux quitter, quand tu me faismouiir^ Te peut-elle arracher une larme ^ un foupir ? Tu me quittes , ingrat, & le fais avec joie 3. Tu ne la cache pas , tu veux que je la voie y, Ec toa coeur infenfiblc à ces triftes appas Se figure un bonheur oa je ne ferai pas ! C'eft donc là le dégoût qu'apporte l'hyménéel. Je te fuis odicufe après ra'étre donnée 1 POLYEUCTE.. Hélas ! PAULINE. Que cet hélas a de peine à fortir l Encor s'il commençoit un heureux repentir , Que tout forcé qu'il eft j'y trouverois de charmes l Mais courage, il s'émeut, je vois couler des larmes> POLYEUCTE. J'en verfe , & plut à Dieu qu'à force d'en verfer. Ce cœur trop endurci le pût enfin percer 1 Le déplorable état où je vous abandonne Eft bien digne des pleurs que mon amour vous donne.. Et fi l'on peut au Ciel fèntir quelques douleurs. J'y pleurerai pour vous l'excès de vos malheurs : Mais fi dans ce téjour de gloire & de lumière Ce Dieu tout jufte & bon peu: foufFrir ma prière.. S'il y daigne écouter un conjugal amour , Sur votre aveuglement il répandra le jour. Seigneur , de vos bontés il faut que je l'obtienne j Elle a trop de vertu pour n'être pas Chrétienne 3 Avec trop de mérite il vous plut la former, Pour ne vous pas connoître & ne vous pas aimer j> Pour vivre des enfers efclave infortunée , Et fous leur trifle joug mourir comme çlk efl nde. i8o P O L Y E U C T E", PAULINE. Que dis-tu , malheureux ? Qu'ofes-tu fouhaitcr? POLYEUCTE. Ce que de tout mon fang je voudrois acheter. PAULINE. Que plutôt. . . POLYEUCTE. C'eil: cil vain qu'on fe met en défenfc ,'. Ce Dieu touche les coeurs loiTque moins on y penfe ,. Ce bienheureux moment n'eft pas cncor venu , U viendra , mais le temps ne m'en eft pas connu.. PAULINE. Quittez cette chimère, & m'aimez. POLYEUCTE. Je vous aime Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus quc- moi-mcme. PAULINE. Au nom de cet amour ne m'abandonnez pas, POLYEUCTE. Au nom de cet amour daignez Oïivit mes pas. PAULINE. C'eft peu de me quitter , ni veux donc me fcduirc > POLYEUCTE. C'eft peu d'aller au Ciel , je vous y veux conduire, PAULINE. Imaginations î P O L Y PAU Etrange aveuglement l P O L Y PAU Tu préfères la mort à l'amour de Pauline l POLYEUCTE. ,\ûus préftiez'k monde à la bomç diviaei- E U C T E. Céleftes vérités î': L IN E. E U C T E. Eternelles clartés L L I N E. TRAGÉDIE. lU PAULINE. Va , cruel , va mouiir , tu ne m'aimas jamais. rOLYEUCTE. Vivez hcureiîfc au monde , & me laiilez en paix. PAULINE. Oui , je t'y vais lailFer , ne t'en mets plus en peine; Je vafs. . . e=>^=$g^=i^= » S C E N E I V. POLYEUCTE, PAULINE;, SEVERE, FABIAN. Gardes. M PAULINE. Ais quel deflcin en ce lieu vous amené , Sévère ? Auioic-on cru qu'un cœur fi généreux Pût venir jufqu'ici braver un malheureux ? POLYEUCTE. Vous traitez mal , Pauline , un fi rare mérite, A ma feule prière il rendt cette vifite. Je vous ai fait , Seigneur , une incivilité Que vous pardonnerez à ma captivité. Pofielfeur d'un tréfor dont je n'étois pas digne , Souffrez avant ma mort que je vous le rédgne , Et lailfc la vertu la plus rare à nos yeux Qu'une femme jamais pût recevoir des Cieux , Aux mains du plus vaillant & du plus honnête hom- me Qu'ait adoré la terre & qu'ait vu na?tre Rome. Vous êtes digne d'elle , elle cil: digne àc vous , Ne la refufez pas de la main d'un époux ; S'il vous a défunis , fa mort vous va rejoindre; Qu'un feu }adis fi beau n'en devienne pas moindre , aSr P O L Y E U C T E, Rendez- lui votre cœur , Se recevez fa foi , Vivez heureux cnfembic , & mourez comme moi y C'cft le bien i]u'à cous deux Polycudc dclirc. Qu'on me mené à la mort , je n'ai plus rien à dire ,. Allons, Gardes , c'elt fait. |C — ^^~"""^"~~"" -^/jj^A" SCENE V. SEVERE, PAULINE, FABIA>;,. SEVERE. D Ans mon ctonnemcnR Je fuis confus pour lui de Ton aveuglement 5 Sa réfolution a û peu de pareilles Qu'a peine je me fie encore a mes oreilles. Un cœur qui vous chérit , mais quel coeur aflcz bas- Auroit pa vou*; connoître & ne vous chérir pas ? Un homme aimé de vous , C\-i6i qu'il vous polfcde , Sans regret il vous quirrc , il fait plus, il vous cède j: "Et comme Ci vos feux ctoienc un don fatal , II en fait un pré'cnt lui-même à Ton rival? Certes , ou les Chrétiens ont d'étranges manies,. Ou leurs félicités doivent être infinies , Puifque pour y prétcndie ils ofent rejetter Ce que de tout l'Empire il faudroit acheter. Pour moi fi mes deftins un peu plutôt propices^ EufTcnt de votre liymcn honoré mes fcrviccs , Je n'aurois adoré que l'éclat de vos yeux , J'en aurois fait mes Rois , j'en aurois fait mes Dieur. On m'auroit mis en poudre , on m'auroit mis eu. cendre Avant que. . . PAULINE. Brifons-là, je craius de trop entendre,; TRAGÉDIE. iSi Et que cette chaleur qui fent vos premiers feux , Ne poulTe quelque fuite indigne de tous deux. Sévère , connoiircz Pauline toute entière. Mon Poiyeude touche à fon heure dernière , Pour achever de vivre il n'a plus qu'un moment : Vous en crcs la caufe , encor qu'innocemment. Je ne fçais (i votre ame à vos defîrs ouverte Auroit ofé former quelque efpoir fur fa perte ; Mais fçachez qi'.'il n'eft: point de fi cruels trépas Où d'un Front alluié je ne porte mes pas , Qu'il n'eft point aux enfers d*horreurs que je n'en» dure y.. Plutôt que de fouiller une gloire (î pure , Que d'cpoufer un homme après fon trifte fort. Qui de quelque façon foit caufe de fa mort j Er (î vous me croyez d'une ame fi peu faine , L'amour que j'eus pour vous tourneroit tout en haine. Vous êtes généreux , fbyez-Ie jufqu'aû bout,. Mon père eft en état de vous accorder tout , Il vous craint ; & j'avance encor cette parole , Que s'il perd mon épouï c'eft à vous qu'il l'immole. Sauvez ce malheureux , employez-vous pour lui , Taites-vous un effort pour lui fervir d'appui. Je fçais que c'eft beaucoup que ce que je demande , Mais plus l'effort eft grand,, plus la gloire en cit grande ; Confcrver un rival dont vous êtes jaloux , C'eft un trait de vertu qui n'appartient qu'à vous 5 Et fi ce n'eft affcz de votre renommée , C^eft beaucoup qu'une femme autrefois tant aimée , Et dont l'amour peut-être encor vous peut toucher , Doive à votre grand coeur ce qu'elle a de plus cher,. Souvenez-vous enfin que vous êtes Sévère. Adieu. Réfolvez fcul ce que vous devez faire; Si vous n'êtes pas tel que je l'ofe efpércr , Pour vous prifer encor , je le veux ignorer. 2S4 P O L Y E U C T E, M I i.t.1-^*''>a-.«i'.'r, ^ SCENE VI. SEVERE, FABIAN. SEVERE. V^ U'cfl ceci , Pabian , cjuel nouveau coup Je foudre Tombe fur mon bonheur & le réduit en poudre 1. Plus je l'eftime près , plus il cft éloigné , Js nouve tour perdu quand je crois tout gagné > Et toujours la fortune à me nuire obftince Tranche mon efpérancc auffitôt qu'elle cft née. Avant qu'offrir des vœux je reçois des refus , Toujours triftc , toujours & honteux & confus,. De voir que lâchement elle ait ofé renaître, Qu'encor plus lâchement elle ait ofé paroître. Et qu'une femme enfin dans la calamité ^Ic fafTe des leçons de générofité. Votre belle amc eft haute autant que malheureufè ^^ Mais elle eft inhumaine autant que généreufe, Pauline , & vo*; douleurs avec trop de rigueur D'un amant tout à vous tyrannifcnt le cœur. Ccft donc peu devons perdre , il faut que je vou5 donne , Que je ferve un rival lorfqu'il vous abandonae 5 Et que par un cruel & généreux effort , Pour vous rendre en fcs mains je l'arrache à lamorr. FABIAN. Laiffez à Ton deftin cette ingrate famille; Qu'il accorde , s'il veut , le père avec la fille ^ Polyeude & Félix , l'époud; avec l'époux, D au ii cruel effort quel prix cfpércz-voui î^ TRAGÉDIE, 2Sî s E V E Pv £. Xa oloirc de monrrcr à cette ame fi belle Que Sévcrc l'égale , & qu'il cft Jigiic d'clk, Qu'elle m'ctoic bien due , 6c c]ae l'ordre des Cieux En me la rcfufanc m'eft trop injurieux. F A B 1 A N. Sans accufer le fort ni le Ciel d'injnflicc , Prenez garde au péril qui fait un tel lervice. Vous haiardez beaucoup , Seigneur, penfez y bien. Quoi , vous entreprenez de fauver un Chrétien B Pouvez-vous ignorer pour cette kcte impie Quelle cfl: & fut to'jjours la haine de Décie ? C'efl: un crime vers lui fi grand , fi capical. Qu'a votre faveur même il peut être fatal. SEVERE. Cet avis feroit bon pour quelque ame commune S'il tient encre Tes mains ma vie &: ma fortune, Je fuis encor Sévère , & tout ce grand pouvoir Ne peut rien fur ma gloire & rien fur mon dévoie Ici l'honneur m'oblige , & j'y veux fatisfaire ^ Qu'après le fort fe montre ou propice ou contraire^ Comme fon naturel elt toujours inconftant , Péritlaar glorieux je périrai content. Je te dirai bien plus , mais avec confidence , La fecîle des Chrétiens n'ell pas ce que l'on penfe. On les hait , la railon , je ne la connois point. Et je ne vois Décie injufte qu'en ce point. Par curiolîcé j'ai voulu les connoître , On les tient pour forciers dont l'enfer efl: le maître 5 Et fur cette croyance on punit dii trépas Des mvfteres fecrers que nous n'entendons pas. Mais Cérès , E'eufine, & la bonne Déefic Ont leurs fecrets comme eux à Rome ôc dans la Grèce ; Encore impunément nous fouffrons en tous lieux. Leur Dieu feul excepté , toute forte de Dieux j 286 P G L Y E U C T E, Tous les monftrcs d'Egypte ont leurs temples dans Rome , Nos aïeux à leur gié faifoicnt un Dieu d'un homme. Et leur fang parmi nous confervant leurs erreurs , Nous rcraplillons le Ciel de tous nos Empereurs j Mais à parler fans fard de tant d'Ap théofcs , L'effet cft bien douteux de ces métamorphofes. Les Chrétiens n'ont qu'un Dieu , maître abfolu dc tout. De qui le feul vouloir fait tout ce qu'il réfout : Mais (I i'ofe entre nous dire ce qui me femblc , Les nôtres bien fbuvent s'accordent mal enfemblc 5 Et me dut leur colère ccrafer à tes yeux , Nous en avons beaucoup pour être de vrais Dieux. Enfin che?. les Chrétiens les mœurs font innocentes. Les vices dételles, les vertus floridantcs. Ils font des vœux pour nous qui les perfécutons , Et depuis tant de temps que nous les tourmentons p Les a t on vus mutins ? Les a-t-on vus rebelles ? Nos Princes ont-ils eu des foldats plus fidèles ? Furieux dans la guerre ils foufFrent nos bourreaux. Et lions au combat ils meurent en agneaux. J'ai trop de pitié d'eux pour ne les pas défendre. Allons trouver Félix , commençons par fon gendre, Et contentons ainfi , d'une feule axî^ion , Ec Pauline , & ma gloire , 6c ma compaffion. Fin du quatrième Acie% ^ TRAGÉDIE. 387 ACTE V, SCENE P R E M I E R E. r E L I X , A L B I N , C L E O xN. FELIX. A Lbin , as-tu bien vu la fourbe de Sjvcre ? As-tu bien vu fa haine , & vois-tu ma mifeie? A L B 1 N. Je n'ai vu rien en lui qu'un rival généreux , Ec ne vois rien en vous qu'un père rigoureux, F E L I X. •Que tu difcernes mal le coeur d'avec la mine l X)ans l'ame il haie Félix & dédaigne Pauline 5 Et s'A l'aima jadis , il cftime aujourd'hui Les reftcs d'un rival trop indignes de lui. Il parle en fa faveur , il me prie , il menace , Et me perdra , dit-il , fî je ne lui fais grâce ; Tranchant du généreux il croit m'épouvanter , L'artifice eft trop lourd pour ne pas l'éventer: Je fçais des gens de Cour quelle eft la politique. J'en connois mieux que lui la plus fine pratique ; Ceft en vain qu'il tempête & feint d'cure en fureur. Je vois ce qu'il prétend auprès de l'Empereur , De ce qu'il me demande , il m'y feroit un crime , Epargnant fon rival je ferois fa vidlimc ; Et s'il avoir affaire à quelque mal- adroit. Le piège eft bien tendu , fans doute il le perdroit. Mais un vieux courtifan eft un peu moins crédule. Il voie quand on le joue & quand on diUimulej Et moi j'en ai tant vu de toutes les façons , Qu'à lui même au befoin j'en ferois des leçons. iS8 P O L Y E U C T E, ALBIN. Dicur , que vous vous géncz par cette défiance ! F t L I X. Four rubfifter en Cour c'elt la haute fcience. Quand un homme une fois a droit de nous haïr , Nous devons picfumcr qu'il cherche à nous trahir. Toute Ton amuic nou"; doit être fijfpcde : Si Polyeu^de enfin n'abandonne fa (ede , Quoi que fon protcdeur ait pour lui dans rcfprit , Je fuivrai hautement l'ordre qui m'cft prefcrit. ALBIN. Grâce, grâce. Seigneur, que Pauline robciennc, FELIX. Celle de l'Empereur ne fuivroit pas la mienne , Et loin de le tirer de ce pas dangereux , Ma bonté ne fcroic que nous perdre tous deux. ALBIN. Mais Sévère promet. . . FELIX. Albin , je m'en défie , Et connois mieux que lui la haine de Dccie > En faveur des Chrétiens s'il choquoit fon courroux^ Lui-même allurément fe perdroic avec nous. Je veux tenter pourtant encore une autre voie» Amenez Polyeudle , & fi je le renvoie , S'il demeure infenfibie a ce dernier effort. Au fortir de ce lieu qu'on lui donne la more ALBIN, Votre ordre cft rigojreux. FELIX. Il faut que je le fuivc Si je veux empêcher qu'un dcfordre n'arrive. Je vois le peuple ému pour prendre fon parti; Er toi même tantôt tu m'en as averti. Dans ce ze!e pour lui qu'il fait déjà paroître , Je ne fçais û long-temps j'en pouirois être maître : Peut-être TRAGÉDIE. 18^ Pcut-ctrc dès demain , dès la nuit , dès ce foir , J'en verrois des cifecs que je ne veux pas voir > Ec Sévère aufli-toc couinnt à fa vengeance M'rroic calomnier de quelque intelligence. Il fauc rompre ce coup qui me feroic fatal. ALBIN. Que tant de prévoyance cfl: un étrange mal 1 Tout vous nuit , tout vous perd, tout vous fait dp l'ombrage ; Mais voyez que fa mort mettra ce peuple en rage , Que c'efl mal le guérir que le défcfpérer, FELIX. En va^in après fa mort il voudra murmurer; Et s'il ofe venir à quelque violence , C'efl: à faire à céder deux jours à l'infolence; J'aurai fait mon devoir , quoiqu'il paille arriver. Mais Polyeude vient , tâchons à le fauver. Soldats , retirez- vous & gardez bien la porte. :iï^î^î^=^^' SCENE IL rELIX,POLYEUCTE, ALBIN. I E L I X. A S-tu donc pour la vie une haine fi forte , Malheureux Polyeude , 8c la loi.des Chrétiens T'ordonne- t-el!e ainfi d'abandonner les tiens ? POLYEUCTE. Je ne hais point la vie , & j'en aime l'ufage , Mais fans attachement qui fente l'efclavage , Toujours prêt à la rendre au Dieu dont je la tiens } La raifon me l'ordonne & la loi des Chrétiens , Et je vous montre à tous par-là comme il faut vivre; Si vous avez le cœur aflez bon pour me fuivre. Tome L N 290 P O L Y E U C T E, FELIX. Te Tuirrc dans l'abvmc où ni veux :c iccrcr? r O L Y E U C T E. Mais plutôc dans la gloire où je m'ca vais monter, F E L 1 X. Donne. moi pour le moins le temps de la connoîtrc , Pour me Faire Chrétien (ers moi de guide à Ictre, Er ce dédaigne pas de m'inliruirc en ta toi , Ou roi-ir.Jme à ton Dieu tu repondras de moi. POLYEUCTE. N^cn liez point , Féliï , il (Ira votre juge , Vous ne trouverez point devant lui de refuge. Les Rois & les Bergers y font d'un même rang ; De tous les Cens fur vous il vengera le faog. FELIX. Je n'en répandrai plus , & OjUoi qu'il en arrive , Dans la Foi des Chrétiens je {ouvrirai qu'on vive > J'en ferai prorcdcur. POLYEUCTE. Non , non , perfécutrz , Et icyez lir-fticment de nos kiicitcs. Celle d'un vrai Chrétien n'eft que dans les louifran- Les plus cruels tourmcns lui Ton: des récompcnles j Dieu qui rend le centuple aux bonnes .lifbiors , Pour comble donne cncor les j»crl"ccutions. ^lais ces kcrcts pour vous font fâcheux à coraprto- drc , Ce n'eft qu'à (es Elus que Dieu les fait entendre. FELIX. Je ic parle fans fard & veux être Chrétien. POLYEUCTE. Qui peut donc retarder lelîèt d'an fi gtand bien ? FELIX. La préfcncc importune. . . . POLYEUCTE. I:dc qui ; De Scvcrc^ TRAGÉDIE. 291 FELIX. ?o'JT lui Cq^ contre toi j'ai feint tant de colère j DiJlImale un moment jufques à Ton départ. POLYEUCTE. Fclir , ceft donc ainfî que vous parlez fans fard ? •'ortez à vos Païens , portez à vos idoles Le fucre empoifonné que fcment vos paroles. Un Chrétien ne craint rien , ne diftimule rien , Aux yeux de coût le monde il cft toujours Chrético^ FELIX. Ce zele de ta foi ne fert qu'à te féJuire , Si tu cours à la mort plutôt que de ra'inflruirc» POLYEUCTE. Je vous en parlerois ici hors de faifoa , Elle eft un don du Ciel & non de la raifon ; ht c'cft la que bientôt voyant Diea face a face. Plus aifément pour vous j'obtiendrai cette grâce. FELIX. Ta perte cependant me va dcfelpérer. POLYEUCTE. Vous avez en vos mains de quoi la réparer ; En vous ôtant un gendre on vous en donne un autre Dont la condition répond mieux à la vôrre j i>la perte n'cft pour vous qu'un change avantageux, FELIX. Ccfle de me tenir ce difcours outrageui. Je t'ai confidéré plus que tu ne mérites ; Mais malgré ma bonté qui croît plus tu l'irrites ^ Cette infolence enfin te rendroit odieux , t: je me vengerois aufîî-bien que nos Dieux. POLYEUCTE. Qnoi '. Vous changez bientôt d'humeur &: de langage! Le zele de vos Dieux rentre eu votre courage 1 Celui d'être Chrétien s'échappe , & pa' hafard Je vous vieas d'obliger à me parler fans fard, N ii 291 P O L Y E U C T E, FELIX. Va , Ec prcfumc pas que quoique je te jure , De tes nouveaux Dodeurs je fuive rimpofiure; 3e fîattois ta manie afin de t'aiTachci- Du honteux précipice où tu vas trébucher. Je voulois gagner temps pour ménager ta vie Après réloignemcnt d'un flatteur de Dccie ; Mais j*ai fait trop d'injure a nos Dieux tout-pui/Tans , Cboilîs de leur donner ton fang ou de l'encens. P O L y E y C T E. Mon choix n'cft point douteux ; mais i'appcrçois Pauline. O Ciel! ^ -^=i^^ SCENE III. r^LIX, PO LYEUCTE, PAULINE. ALBIN. PAULINE. V^ Ui de vous deux aujourd'hui m'afTafllncî Sont- ce tous deux enfemble ou chacun à (on tour ? Ne pourrai-je flétrir la nature ou l'amour. Et nobiiendrai-jc rien d'un époux ni d'un père ? FELIX. Parlez à votre époux. POLYLUCTE. Vivez avec Sévcr-c, PAULINE. Tigre , alïaflrincmoi du moins fans m'outrager. POLYEUCTE. Mon amour par pitié cherche à vous foulagcr j 11 voit quelle douleur dans l'amc vous poflede , Et fçait qu'une autre amour en cft le feul remède. Puifqu'un fi grand mérite a pu vous enflammer , Sa prcfence toujours a droit de vous charmer , TRAGÉDIE. 193 Vous l'aimez , il vous aime , & fa gloire augmentée. . . PAULINE. Que t'ai- je fait , cruel , pour être ainfi traircc , Et pour me reprocher , au mépris de ma foi , Un amour fi puillantquc j'ai vaincu pour toi ? Vois , pour te faire vaincre un Ci fort adverfaire. Quels efforts à moi-même il a fallu me faire , Quels combats j'ai donnés pour te donner un cœur Si juflement acquis à fon premier vainqueur j Et l'i l'ingratitude en ton cœur ne domine , Fais quelque effort fur toi pour te rendre à Pauline, Apprends d'elle à forcer ton propre fentiment , Prends fa vertu pour guide en ton aveuglement, Soutfre que de toi-même elle obtienne ta vie , Pour vivre fous tes loix à jamais alfervie. Si tu peux rejetter de fî jaftes deiirs , jRegatde au moins fes pleurs , écoute fes foupirs-. Ne défcfpere pas une ame qui t'adore. POLYEUCTE. Je vous l'ai â^'fd. dit & vous le dis encore. Vivez avec Sévère ou mourez avec moi. Je ne méprifc point vos pleurs ni votre foi i Mais de quoique pour vous notre amour m'entre- tienne , Je ne vous cocnois plus Ci vous n'êtes Chrétienne^ C'en eft aHez , Félix, reprenez ce courroux. Et fur cet infoient vengez vos Dieux & vous. PAULINE. Ail l mon pcre , fon crime à peine ert: pardonnable. 5 Mais s'il elt infenfé , vous êtes raifonnab'e 5 La nature eft trop forte , & fes aimables traits Imprimes dans le fang ne s'effacent jamais ; Un père eft toujours père , & fur cette afiurance J'ofe appuyer encore un refte d'efpérancc. Jettez fur votre fille un regard paternel , M^ mort fuivra. la n^ort de ce cher criminel , N ii; 194 POLYEUCTE, Er les Dieux trouveront fa peine illégitime , Pullqu'cllc confondra Tinnoccnce & le crime, E: qu'elle changera par ce redoublement En injufle rigueur un jufte châtiment. Nos dcftins par vos mains rendus infëparables Nous doivent rendre heureux enfemblc ou mirera?- blés , Et vous feriez cruel jufques au dernier point , Si vous dcfunillicz ce que vous avez joint. Un cœur à l'autre uni jamais ne fe retire. Et pour l'en fcparcr il faut qu'on le déchire, Jvlais vous êtes fenfible à mes jufles douleurs , Et d'un œil paternel vous regardez mes pleurs. FELIX. Oui , ma fîllc , il ell: vrai qu'un père eft toujours pcre , Kien n'en peut effacer le facré caradcrc , Je porte un cœur fenfible , Se vous l'avez percé s Je me joins avec vous contre cet infenfé. Malheureux Polyeuélc , es-tu fcul infenfible. Et veux-tu rendre feul ton crime irrémiflible ? Peux- tu voir tant de pleurs d'un œil fi détaché l Peux-tu voir tant d'amour fans en être touché î Ne reconnois-tu plus ni beau-pere ni femme , Sans amitié pour l'un & pour l'autre fans flammée Pour reprendre les noms & de gendre U d'cpoux. Veux-tu nous voir tous deux embraffcr tes genoux ? POLYEUCTE. Que tout cet artifice eft de mauvaifc grâce l Après avoir deux fois effayé la menace , Après m'avoir fait voir Néarque dans la mort. Après avoir tenté l'amour & fon effort , Après m'avoir montré cette foif du baptême , Pour oppofer à Dieu l'intérêt de Dieu même , Vous vous joignez cnfemble 1 ah , rufes de l'enfer! ïaut-il tant de fois vaincre avant que triompher ? Vos réfolutions ufent trop de remife , Prenez la vôtre enfin , puifque U miemie eft prife. TRAGÉDIE. 29^ 3c n\i(iore qu'un Dieu Maître de PUnivers , Sous q.ii tremblent le Ciel , la Terre & les Enfers, Un Dieu qui nous aimant d'un amour inHnic Voulut mourir pour nous avec ignominie , Et qui par un effort de cet excès d'amour, Veut pour nous en vidlimc être offert chaque jour. Mais j'ai tort d'en parler à qui r.c peut m'en tendre , Voyez l'aveugle erreur que vous ofez défendre. Des crimes les plus noirs vous fouillez tous vos Dieux , Vous n'en punifTez point qui n'ait fou maitie aux Cieux. La proflitution , l'adultère , Tincefte, Le vol , l'airaflinar , & tout ce qu'on détefte, C'ell iexempîe qu'à fuivre offrent vos Immortel^ J J'ai profané leur Temple Se brifé leurs Autels , Je le ferois encor fi j'avois à le faire , Même aux yeux de Félix, même aux yeux de Sévère ^ Même aux yeux du Sénat, aux yeux de i'Empcrçur. FELIX. Enfin ma bonté cède à ma jufte fureur-.. Adore ks , ou m^urs. POLYEUCTE. Je fuis Chrétien. FELIX. Impie , Adore- Tes , te dis-je , ou renonce à la vie. POLYEUCTE. Je fuis Chrétien. FELIX. Tu l'es î O cœur trop obftiné l Soldats , exécutez l'ordre que j'ai donné, PAULINE. Ovi le conduifez • vous ? FELIX, A U motir. N iv 1^ P O L Y E U C T E, POLYEUCTE. A la gloiri; Chcre Pauline , adieu , confcrvcz ma mémoire. PAULINE. Je te fuivrai par- tout , & mourrai Ç\ tu meurs. POLYEUCTE. Mjc fuivcz point me pas , ou c]uitti.z vos erreurs» FELIX. Qu'on rôte de mes yeux & c]ue l'on m'obaHe l Puifqu'il aime à pcrir je confens qu'il pcrifle. SCENE IV. ïELIX, ALBIN, r E L I X. J E me fais violence , Albin , mais je l'ai dû. Ma bonté naturelle aifémcnt m'eût perdu. Que la rage du peuple à préfcnt fe déploie , Que Sévère en fureur tonne , éclate , foudroie^ M'étant fait cet effort j'ai fait ma sûreté. Mais n'es- tu point furpris de cette dureté? Vois- tu comuic le ficn des coiurs impénétrables^ Ou des impiétés à ce point exécrables ? Du moins j'ai fatisfait mon cfpric afflic^é. Four amollir fon coeur je n'ai rien négligé ; J'ai feint m^cme à tes yeux des lâchetés extrcmcs ; Et certes fans l'iiorrcur de fcs derniers blafplicmes Qui m'ont rempli foudain de colère & d'effroi , J'auTois eu de la peine à triompher de moi. ALBIN. Vous maudirez peut-être un jour cette vié^oire Qui tient je ne fçais quoi d'une a€lion trop noire ;^' Inrli^jie de Félix , indigne d'un Romain , Répandant votre fang par votre propre main.. TRAGÉDIE. 297 FELIX. Âinfi l'ont autrefois verfé Brute & Manlie, Mais leur gloire en a crû, loin d'en être afFoiblic 3 Et quand nos vieux héros avoKrnt de mauvais fang , Ils eulfent pour le perdre ouvert leur propre flanc. ALBIN. Votre ardeur vous féduit 3 mais quoi qu'elle vous die 3 Quand vous la fcntircz une fois refroidie, Quand vous verrez Pauline , & que Ton défcfpoir Par Tes pleurs & fes cris fçaura vous émouvoir. . , FELIX. Tu me fais fouvenir qu elle a fuivi ce traître , Et que ce défefpoir qu'elle fera paroître De mes commandemens pourra troubler l'effet. Va donc , cours y mettre ordre &: voir ce qu'elle fait , Romps ce que fes douleurs y donneroient d'obftacie ,. Tire-la , fi tu peux , de ce trifte Tpedacle , Tâche à la confolcr. Va donc , qui te retient : ALBIN. Il n'en e(l pas befoin , Seigneur , elle revient. ri^^^- à.àL. SCENE V,- FELIX, PAULINE, ALBIN» PAULINE. P Ere barbare , .achevé , achevé ton ouvrage ^ Cette féconde hoftie efl: digne de ta rage , r-r Joins ta fille à ton gendre , ofe , que tardes-tu , Tu vois le même crime ou la même vertu , Ta barbarie en elle a les mêmes matières. Mon époux en mourant m'a laifTé fes lumières. Son fang dont- tes bourreaux viennent de me coayric M'4 delTillé l<;s ysax j, & me ks vient d'ouvrir^ N V 19^ P O L Y E 1/ C T E, Je vois , je Içais , je crois , je fuis dcfabufcc,^ De ce bienheureux fang m rae vois baptifée j Je fuis Chrétienne enfin , n'eftce point afTez die, Confcrve en me perdant ton rang & ton crédicî Redoute l'Empereur, appréhende Sévère: Si tu ne veux périr , ma perte eft nécefTaire. Polyeuélc m'appelle à cet heureux trépas , Je vois Néarc]uc & lui qui me tendent les bras. Mené , mene-moi voir tes Dieux que je déteftc. Ils n'en ont brifé qu'un , je briferai le refte 5 On m'y verra braver tout ce que vous craignez , Ces foudres impuilTans qti'cn leurs mains vous pei- gnez j Et faintement rebelle aux loix de la naiflance , Une fois envers toi manquer d'obéiflance. Ce n'eft point ma douleur que par-là je fais voir ^ C'eft la grâce qui parle & non le défefpoir. le faut-il dire encor , Félix? Je fuis Chrétienne 5 Affermis par ma mort ta fortune & la mienne , Le coup à l'un & l'autre en fera précieux, Puifqu'il t'aflure en tsrre en m'élevant aux Cieux. Jto^Oa-*'. SCENE DERNIERE. SEVERE, FELIX, PAULIN E3;. ALBIN, FABIAN. SEVERE. JL Ere dénaturé, malheureux politique ; Efclave ambitieux d'une peur chimérique, Polyeuéle eft donc mort , & par vos cruautés Vous penfez confcrver vos rriftes dignités l La faveur que pour iui je vous avois offçriç^ Aw lieu de h fauver précipite fa perte > TRAGÉDIE. i99 Tai prié , menacé , mais fans vons émouvoir , Et vous m'avez cru fourbe ou de peu de pouvoir. Hé bien , à vos dépens vous verrez que Sévère Ne £è vante jamais que de ce qu'il peut faire 5 Et par votre ruine il vous fera juger Que qui peut bien vous perdre eût pu vous protéger. Continuez aux Dieux ce fervice fîdele , Par de telles horreurs montrez-leur votre zele. Adieu 5 mais quand l'orage éclatera fur vous , Ne doutez point du bras dont partiront les coups. FELIX. Arrêtez-vous , Seigneur , & d'une ame appaifée Souffrez que je vous livre une vengeance aiféc. Ne me reprochez plus que par mes cruautés Je tâche à conserver mes triftes dignités. Je dépofê à vos pieds l'éclat de leur faux luftre ^ Celle où j'ofe afpirer eft: d'un rang plusilluilre. Je m'y trouve forcé par un (ecret appas , Je cède à des tranfports que je ne connois pas. Et par un mouvement que je ne puis entendre De ma fureur je pafle au zele de mon gendre. C'ert lui , n'en doutez point , dont le fang innocent Pour fon perfecuteur prie un Dieu tout-puiflant j Son amour épandu fur toute la famille Tire après lui le père auilî-bien que la fille : J'en ai fait un Martyr , fa mort me fait Chrétien ^ J'ai fait tout fon bonheur , il veut faire le mien, C'efl ainfî qu'un Chrétien fe venge & fe courrouce : Heureufe cruauté dont la fuite eft fi douce l Donne la main , Pauline. Apportez des liens , Immolez à vos Dieux ces deux nouveaux Chrétiens î Jje le^fuis, cHd'eft, fuivez votre colère. PAULINE. Qu'heurcufement enfin je retrouve mon pereî Get heureux changement rend mon bonheur parfak; FELIX. Ma filU j il n apparîieiit <^u'â la main qui le fait). Nvj. ^,00 FOLYEUCTE,TRAGÈDIE^ SEVERE. Qui ne fcroit touché d'un h tendre fpcdlacle ?" De pareils changernens ne vonc point fans miracle ^ S?.ns ûouie 'vos Chrétiens qu'on pciTécute en vain, ont quelque chofe en eux qui furpafle l'humain 3 Ils mènent une vie avec tant d'n-inocence , V^uc le Ciel leur en doit quelque rcconnoiifance. Se relever plus forts , plus ils font abattus , N'cft pas aulTi l'cfFct des communes vertus. Je les aimni toujours , quoiqu'on m'en ait pu dire , Je n'en vois point mourir que mon cœur n'en fbupire ji, Et pcut-ctrc qu'un jour je les connoîtrai mieux. J'approuve cependant que chacun ait Tes Dieux, Qu'ils les (crve à fa, mode & fans peur de la peine. Si vous êtes Chrétien , ne craignez plus ma haine ^ Je les aime , lélix, & de leur proteéieur Je n'en veux pas en vous faire un perfécuteur. Gardez votre pouvoir , reprenez-en la marque ;> Servez bien votre Dieu , fervez notre Monarque ^ Je perdrai mon crédit envers Sa Majefté , Ou vous verrez finir cette (evéritéj Par cet injufîe haine il fe fait trop d'outrage, FELIX. Daigne le Ciel en vous achever fon ouvrage 5 Et pour vous rendre un jour ce que vous méritez ^ Vous infpirer bientôt toutes fes vérités. Nous autres , bénilTons notre hcurcufe aventure^ Allons à nos Martyrs donner la fépulture , Baifer leurs corps facrés , les mettre en digne lieu ^, El faire retentir par-tout le nom de Dieu» F 1 N.. 301- JUGEMENT s Cr R LA TRAGÉDIE DE POLYEUCTE^ MARTYR. \^/ Ucique heureux fucces qu'ait eu cettz Tragédia-. de M. Corneille ,. elle n'a cependant pas échap- pé la cenfure des Auteurs graves par rapport au:-': libertés qu'il a prifes de faire monter les Saints furjon Théâtre , ^ pour y avoir corrompu Us ver ' tus Chrétiennes, Il avoue lui-même qu'il s'y eji donné la licence de changer l'HiJloire en quelque chofe j 6* d'y mêler des Epi/odes d'invention j mais il prétend pouvoir jujlifier fa conduite , fous prétexte que fon fujet n'eft pris que de l'HiJloire V.ccléfiaflique j qui n$. peut être que l'objet d'une croyance pieufe, Au rejie le ffiylù n'en ejî pas fi fort ni fi majej- îueux que celui de Cinna j mais il a quelque chofe- de plus touchant , 6' Us tendreffes de l'amour hu» main y font un fi agréable mélange avec la fer met t' du divin ( c'ejî le langage de l'Auteur ^ ) que Ja re- préfentation a fatisfait tout enfembU Us DivQiS à UmodèO les gens du m onde» 301 JuG. SUR L.4. Tr. de Polyeucte; M, Corneille ajoute qu'à Jon gré il n'a point fait de Pièce ou [ordre du Théâtre foit plus beau ^ l'enchaînement des Scènes mieux ménagé. L'unité d'A«5lion , celle cîe Jour , & celle de Lieu y ont toute la juflejfe re/^uife. ■ - ,t • ^^ ^^^^^î^^^ LA MORT DE POMPÉE, TRAGÉDIE, ACTEURS. JULES CÉSAR. MARC ANTOINE. LÉPII>E. CORNÉLÏE , femme de Pompée,. PTOLOMÉE , Roi d'Egypte. CLÉOPATRE , Sœur de Ptolomée. PHOTIN , Chef du Confell d'Egypte. ACHILLAS , Lieutenant - Général des Armées du Roi d'Egypte. SEPTIME , Tribun Romain , à la folde du Roi d'Egypte. CHARMION , Dame d'honneur de Cléo- pâtre. ACHORÉE 5 Ecuyer de Cléopatre.. PHILIPPE , affranchi de Pompée,,. Troupe de Romains.. Troupe d'Egyptiens, La Scène efl en Alexandrie , dans k Palais de Ptolomée^. LA MORT DE POMPÉE 5 TRAGEDIE. \^ — =^=^^^'!i^^ ==^ ACTE PREMIER. SCENE PREMIERE. PTOLOMÉE, PtfOTIN, ACHILLAS, S E P T I M E. PTOLOMÉE. î^ic^^^^E dcftin fc déclare, -& nous venons si ^^ f *v ji» entendre r! lï*, ^A« if Ce qu'il a réfolu du beau -père & du Quand les Dieux étonnas fembloient Cz partager , rharfale a décidé ce qu'ils n ofoient juger. Ses fleuves ceints de fang , &: rendus plus rapides. Par le débordemenc de tant de parricides , Cet horrible débris d'aigles , d'armes , ue chars y Sur ces champs empeftés confufément épars , 3o6 LA MORT DE POMPÉE, C« montagnes de morts prives d'honneurs fupic- mcs , Que la nature force a fe venger eux- mêmes. Et dont les troncs pourris exhalent dans les vents De quoi faire h guerre au reflc des vivans , Sont les titres affreux dont le droit de l'épéc Juftifiant Céfar a condamne Pompée, Ce déplorable chef du parti le meilleur. Que fa fortune lafl'c abandonne au malheur. Devient un grand exemple , & lailfe à la mémoire Des changemens du fort une éclatante hiftoire. II fuit , lui qui toujours triomphant & vainqueur Vit fes profpérités égaler fon grand cœur 5 II fuit , & dans nos ports , dans nos murs , dans nos Villes > Et contre fon beau-pere ayant befoin d'afyles. Sa déroute orgucilleufe en cherche aux mêmes lieux Où contre les Titans en trouvèrent les Dieux. 11 croit que ce climat en dépit de la guerre , Ayant fauve le Ciel , fauvera bien la Terre, Et dans fon défefpoir à la nn fe mélanc ' Pourra prêter j'épaule au m^nde chancelant. Oui , Pompée avec lui porte le fort du Monde , Et veut que notre Egypte en miracles féconde Serve à fa liberté de fépulcre ou d'appui , Et relève fa chute ou uébuche fous lui. C'tft de quoi , mes amis , nous avons à réfoudre y Il apporte en ces lieux les palmes ou la foudre , S'il couronna le pcre , il hafarde le fils , Et nous l'ayant donnée il cxpofe Mcmphis. 11 faut le recevoir ou hâter fon fupplice , Le fuivre ou le pouffer dedans le précipice , L'un me fcmblc peu sûr, l'autre peu généreux. Et je crains d'être injuftc 5c d'être malheureux 3 Quoi que je faffc enfin , la fortune ennemie M'offre bien des périls ou beaucoup d'infamie. Otft à moi de clîoifir ,. c'eft a vous d'avifer TRAGÉDIE. 307 A quel choix vos confeils me doivenr difpofcr : II s'agit de Pompée , & no Qui vengeroicnt lur lui le fang de leurs Provinces , Leurs Etats Se d'argent & d'hommes épuifés , Leurs trônes mis en cendre & leurs fceptres brifés 3 Auteur des maux de tous , il eft à tous en butte , Et fuit le monde entier écrafé fous fa chute. Le défendrez-vous feul contre tant d'ennemis ? L'efpoir de fon faluc en lui feul étoit rais , Lui feul pouvoir pour foi , cédez alors qu'il tombe, Soutiendrez-vous un faix fous qui Rome fuccombe , Sous qui tout l'univers fe trouve foudroyé , Sous qui le grand Pompée a lui-même ployé V Quand on veut foutenir ceux que le fort accable , A force d'être jufte on eft fouvent coupable > Et la fidélité qu'on garde imprudemment Après un peu d'éclat , traîne un long chârimcnt , Trouve un noble revers dont les coups invincibles Pour êtie glorieux ne font pas moins feulibks. 3oS LA MORT DE POMPÉE, Seigneur , n'attirez point le tonnerre en ces lieux. Rangez-vous du parti des dcftins &: des Dieux , Lt fans les accufcr d'injudice ou d'outrage , Puilqu'ils font les heureux , adorez leur ouvrage j, Quels que foicnt leurs décrets , déclarez-vous pouf i eux , . Er pour leur obéir perdez le malheureux. Prelié de toutes parts des colères célcftes Il en vient delTus vous faire fondre les rcftesj E: fa tête qu'à peine il a pu dérober Toute prête de cheoir cherche avec qui tomber. Sa retraite -chez vous en ct^cz n'cft qu'un crime ,, EHe marque fa haine & non pas Con eftime , Il ne vLent que vous perdre en venant prendre port.. Et vous pouvez douter s'il eft digne de mort 1 Il devoit mieux remplir i os voeux & notre attente ,. Faire voir fur fes nefs la vidtoire flottante j Il n'eût ici trouvé que joie*& que feftins , Mais puifqu'il eft vaincu , qu'il s'en prenne aux def- tias. J'en veux à fa difgrace & non à fa perfonne. J'exécute à regret ce que le Ciel ordonne. Et du m'jrae poignard pour Céfar deftiné Je perce en foupirant fon cœur infortuné. Vous ne pouvez enfin qu'aux dépens de (a tetfi îviettre à l'abri la vôtre & parer la tempête. Laiîfez noiîimer fa mort un injufte attentat , La juftice n'efl pas une vertu d'Etat , Le choix des aélions ou mauvaifes ou bonnes. Ne fait qu'anéantir la force des couronnes. Le droit des Rois confifle à ne rien épargner,, La timide équité détruit l'art de régner , Quand on craint d'être injufie on a toujours à crain- dre , Et qui veut tout pouvoir doit ofer tout enfreindre , Fuir comme un dé'-honncur la vertu qui le perd , Et Yolcj- fans fcrupale au crime qui le fert.. TRAGÉDIE. 309 C'cfl; là mon fcntimenc 3 Achillas & Septime S'actacheionc peut-être à quelque autre maxime , Chacun a Ton avis ', mais quel que foir le leur. Qui punit le vaincu ne craint point le vainqueur. ACHILLAS. Seigneur , Pliotin dit vrai 5 mais quoique de Pompée Je voie & la fortune & la valeur trompée , Je regarde fon fang comme un fan g précieux Qu'au milieu de Pharfale ont refpecfté les Dieu::. Non qu'en un coup d'Etat je n'approuve le crime ," Mais s'il n'eft nécelTaire il n'efl: point légitime. Et quel befoin ici d'une extrême rigueur } Qui n'eft point au vaincu ne craint point le vaiiv- queur , Neutre jufqu'à préfent vous pouvez Têtre encore , Vous pouvez adorer Céfar , (î l'on l'adore : Mais quoique vos encens le traitent d'immortel , Cette grande viétime eft trop pour Ton autel 3 Et fa tête immolée au Dieu de la viéboirc Imprime à votre nom une tache trop noire j Ne le pas fecourir fuflic fans l'opprimer. En ufant de la (brte on ne vous peut blâmer. Vous lui devez beaucoup , par lui Rome animée A fait rendre le fceptre au feu Roi Ptolomée, Mais la reconnoillancc & rhofpiralité Sur hs âmes des Rois n'ont qu'un droit limité. Quoique doive un Monarque , 6c dût - il fa cou- ronne , Il doit à Tes fujets eucor plus qu^à perfbnn^ , Et celTe de devoir , quand !a dette eft d'un rang A ne point s'acquitter qu'aux dépens de leur fang. S'il eft juftc d'ailleurs que tout fe confidere , Que hafardoit Pompée en fervant votre perc ? 11 fe voulut par-là faire voir tourpuilfant. Et vit croître fa gloire en le récabliifant. Il le fcrvit enfin , mais ce fut de la langue , La bourfe de Céfar fît plus que fa harangue 5 310 LA MORT DE POMPÉE, Sans fcs mille talent , Pompée de Tes difcours Pour rentrer en Egypte croient un froid fccours. Qu'il ne vante donc plus fcs mérites frivoles , Les effets de Céfar valent bien Tes paroles 5 Et Cl c'eft un bienfait qu'il faut rendre aujourd'hui ,' Comme il paîla pour vous , vous parlerez pour lui. Ainfî vous le pouvez & devez rcconnoître , Le recevoir chez vous c'eft recevoir un maître ■Qui tout vaincu qu'il cft , bravant le nom de Roi , Dans vos propres Etats vous donncroit la loi. Fermez-lui donc vos ports, mais épargnez fa tctc. S'il le faut toutefois , ma main eft toute prête , J'obéis avec joie , & je fêrois jaloux Qu'autre brss que le mien portât les premiers coups, S E P T I M E. Seigneur , je fuis Romain , j€ connois l'un & l'autre: Pompée a befoin d'aide , il vient chercher la vôtre , Vous pouvez, comme maître abfolu de fon for:^ Le fervir , le chafler , le livrer vif ou mort : Des quatre le premier vous feroit trop funefte , SouiFrez donc qu'en deux mots j'examine le refte. Le chafTer , c'eft vous faire un puiffant ennemi ,' Sans obliger par-là le vainqueur qu'à demi , Puifquc c'eft lui laiffer & fur mer & fur terre La fuite d'une longue & difficile guerre , Dont peut-être tous deux également la/Tes Se vengcroicnt fur vous de tous les maux palTcs.] Le livrer à Céfar n'eft que la même chofe. Il lui pardonnera s'il faut qu'il en difpofe 3 Et s'armant à regret de générofité , D'une fauffe clémence il fera vanité 5 Heureux de l'afTervir en lui donnant la vie , Et de plaire par-là même à Rome affervie j Cependant que forcé d'épargner fon rival , Auflî-bien que Pompée il vous voudra du mal. Il faut le délivrer du péril & du crime , AlTurer fa puiffance & fauvcr fon eftiroe. TRAGÉDIE. 311 Ec du parti contraire en ce grand Chef détruit Prendre fur vous la honte & lui laifTcr le fruit. C'eft là mon fentimcnt , ce doit être le vôtre , Par-là vous gagnez l'un &: ne crai SCENE I I 1. PTOLOMÉE, CLEOPATRE, PHOTIN. CLEOPATRE, Cj Eigncur , Pompée arrive , 6c vousctcs ici i PTOLOMÉE. J'attends dans mon Palais ce guerrier magnanime ^ Et loi viens d'envoyer Achilias & Septime, CLEOPATRE. Quoi l Ssptime à Pompcc l à Pompée Acliillas ! PTOLOMÉE.. Si ce n'eft alTez d'eux , allez, fuivez leurs pas. CLEOPATRE. Donc pour le recevoir c'efl trop que de vous-mjmc ï PTOLOMÉE. Ma fccur , je dois garder l'iionneur du diadème» CLEOPATRE. Si vous en portez un , ne vous en fouvcncz Que pour baifer la main de qui vou<; le tenez. Que pour en faire hommage aux pieds d'un fi grani homme. PTOLOMÉE. Au fortir de Pharfale eft-ce ainfi qu'on le nomme ? CLEOPATRE. fût-il dans Ton malheur de tous abandonné , U eft: toujours Pompée & vous a couronné. Tgmç In O 3Î4 LA MORT DE POMPÉE, P T O L O M É E. Il n'en eH: plus que l'ombre, & couronna mon père Poiu lombrc , & non pas moi , lui doit ce qu'il cfperc. ÎJ peut aller, s'il veut , de/Tus Ton niorvumenc Kccevoir Tes devoirs & fon remerciement. CLEO PATRE. /près un tel bienfait c'cft ainfi qu'on le traite! P T O L O M É E. Je m'ca fouviens , ma fœur , & je vois fa défaite^ CLEOPATRE. Vous la voyez de vrai , mais d'un œil de mépris» P T O L O M É E. Te temps de chaque chofe ordonne & fait le prix ; Vous qui l'eftimez tant , allez lui rendre liommat^e , Mais fongez qu'au port même il peut faire naufrage. CLEOPATRE. Il peut faire naufrage &: même dans le port! Quoi , vous auriez ofc lui préparer la mort ? P T O L O M É E ?'ai fait ce que les Dieux m'ont infpirc de faire, Lt que pour mon Etat j'ai ji>gé néceflaire, CLEOPATRE. Te ne le vois que trop , Photin & fcs pareils Vous ont empoifonné de leurs lâches confeils ; Ces amcs que le Ciel ne forma que de bouc. . . , P FI O T I K. Ce font de nos conseils, oui, Madame, & j'avoue..; CLEOPATRE. î^iotin , je parle au Roi , vous répondrez pourtour ^aaad je m'abailTcrai juflra'à parler à vous. TRAGÉDIE. 5ïî TTOLOMÉEà Photîn. 1R faut un peu fouffiir Je cette humeur hautaine ^ Je fçais votre innocence , &: je connois fa haine j Après tout , c'eft ma fœur , oyCL fans repartir» CLEOPATRE. •Ah ! s'il cO: encor temps «ie vous en repentir , Affranchifiez-vous d'eux &: de leur tyrannie ; Rappeliez la vertu par leurs confeils bannie. Cette haute vertu dont le Ciel & le fan^ Enflent toujours les coeurs de ceux de notre rang[» P T O L O Kl É E„ Quoi! d'un frivole crpoir déjà prcoccupéc Vous me parlez en Reine en parlant de Pompée , Et d'un faux zele ainfî votre orgueil re'ctii -Fait agir l'int-érct fous le nom de vertu l Confefn;2,-le, ma foeur, ^^ous fçauriez vous en taire ^ N'étoic le teftamenc du feu Roi notre perc , Vous fçavez qu'il le garde. CLEO PATRE. Et vous fçaurcz au/^ 'Que la feule vertu me fait parler ainfi j ■ïic que fi l'intérêt m'avoic préoccupée , J'agirois.pour Céfar & non pas pour Pompée, Apprenez un fecret que je voulois cacher, lEi cefiez déformais de me rien reprocher. Quand ce peuple infolent qu'enferme Alexandrio^ Tit quitter au feu Roi fon trône & fa pstrif ^ Et que jufques dans Rome il alla du Sénat Implorer la pitié contre un tel attentat , Il nous mena tous deux pour toucher fon coursge j Vous affez jeune encor , moi déjà dans un âge Où ce peu de beauté que m'ont donné les Cicux D'un affez vif éclat faifoiî briller mes yeux. Céfar en fut épris , & du moins j'eus la gloire O-e le voir bauceaicnc domier lieu de le croire ^ Q H hï6 LA MORT DE POMPÉE, ^lais voyant contre lui le Sénat irrité , II Ht agir Pompée & fon autorité. Ce dernier nous fcrvit à fa feule prière Qui de leur amitié fut la preuve dernière 5 Vous en fçavez l'effet & vous en jouiffez , Mais pour un tel amant ce ne fut pas affez. iVprès avoir pour nous employé ce grand homme Qui nous gagna foudain toutes les voix de Rome , Son amour en voulut féconder les efforts , Et nous ouvrant fon cœur nous ouvrit fcs tréfbrs. Nous eûmes de fes feux , encore en leur naiffancc jj Et les nerfs de la guerre & ceux de la puiflancei Et les mille talens qui lui font encor dus Kem.irent en nos mains tous nos Etats perdus. Le Roi qui s'en fouvint à fon heure fatale Me laiffa comme à vous la dignité royale 5 Et par (on teftament il vous fit cette loi , Pour me rendre une part de ce qu'il tint de moî, C'eft ainfî qu'ignorant d'où vint ce bon office Vous appeliez faveur ce qui n'eH: que juftice , Et l'ofez accufer d'une aveugle amitié , iQuand du tout qu'il me doit il me rend la moitié. PTOLOMÉE. Certes , ma fcxur , le conte cft fait avec adrefTè, CLEOPATRE. Céfar viendra bientôt , & j'en ai lettre expreffc ; Et peut-être aujourd'hui vos yeux feront témoins De ce que votre cfprit s'imagine le moins. Ce n'efi pas fans fujet que je parlois en Reine j Je n'ai reçu de vous que mépris & que haine. Et de ma part du fceptre indigne raviHeur , Vous m'avez plus traitée en efcîave qu'en focur 5 Même pour éviter des effets plus fîniflres. Il m'a fallu flatter vos infolcns Minières , Dont j'ai craint jufqu'ici le fer ou le poifon j Mais Pompée ou Céfar m'en va ftire raifoni TRAGÉDIE. sit '£t quoîqu'avcc Photin Achillas en ordonne , Ou l'une ou l'autre main me rendra ma Couronne; Cependant mon orgueil vous laiire à démêler Quel éroit l'intérêt qui me faifoic parler. < i llJL^^,'^^:^ *Ai.-S*^ SCENE IV. TPTOLOMÉE, PHOTIN, P T O L O M É E. \^ Ue dites-vous , ami , de cette ame orgueilleufe ? PHOTIN. Seigneur , cette furprife eft pour moi merveilleufe ^ Je n'en fçais que penfer , & mon cœur étonné D'un fecret que jamais il n'auroit foupçonné y Inconftant & confus dans Ton incertitude y Ne Te léfout à rien qu'avec inquiétude. PTOLOMÉE. Sauverons-nous Pompée? P H O t I N. Il faudroic faire cflfbrcV Si nous l'avions fauve pour conclure Ca mort. Cléopatre vous haie , elle eft fiere , elle eft belle ,- Et fi riieuieux Céfar a de l'amour pour elle , La tête de Pompée eft l'unique préfent Qui vous faiïc contre elle un rempart fuffifanu PTOLOMÉE. Ce dangereux efprit a beaucoup d*artificc.. PHOTIN. Sou artifice eft peu contre un iî grand fervicc; O iij 3i8 LÀ MORT DE PONfPÊE^ P T O L O M É E. Mais a tout grand qu'il eft il cedc à Tes appas, P H O T I N. JI la faudra flatter, mais ne m'en croyez pas,' Li pour mjjiix cm^v-chcr qu'elle ne vous opprime^, Conlultcz-cn encore Achiilas & Septinae. P T O L O M É E. Alîons donc les voir faire , & montons à la Touî, tt nous en réfoudrons cufemble à leur retDur, Fin du premUr Acig., 4^- aô.. T -»«: "^^^"^l^^ TRAGÉDIE. 329, ACTE IL SCENE P Pv E M I E R E; GLEOPATRE, CHAR M 10 N> CLEOPATRE. J E Taime ,. mais l'éclat d'une fi belle flamme^ Quelque brillant qu'il foit , n'éblouit point mon arnÇjr Et toujours ma vertu retrace dans mon cœur Ce qu'il doit au vaincu , brûlant pour le vainqueur," Auili qui lofe aimer porte une ame trop hiure Pour foufFrir feulement le fonpçon d'une faute y Et je le traiterois avec indignité , Si j'arpirois à lui par une lâcheté, C H A R M I O N; Quoi î' vous aimez CéCac , 3l iT^ôUS édt*Z- CTVlè ^ L'Egypte pour Pompée armeroit à fa vue , En prcndroit la défenfe, & par un prompt fecours. Du dcRin de Pharfaic arréteroit il cours l L'amour certes lîjr vous a bien peu de puiiTancc, GLEOPATRE. Les Princes ont cela de leur haute nailTance : Leur nme dans leur fang prend les impreiïîons Qui dcflous leur vertu rangent leurs pallions,. Leur générofité foumet tout à leur gloire. Tout ei\ illuftre en eux quand ils daignent fe croire r Et il le peuple y voit quelques déréglemens , C'eft quand l'avis d'autrui corrompt leurs fentimeus». Ce malheur de Pompée achevé la ruine ; Le Roi l'eût fecouru , mais Photin l'aflafTine ;: II croit cette ame balfe & fe montre fans foi , Mais s'il.croyoit la lîenne il agiroit en Roi, O iv 310 LA MORT DE POMPÉE^ CHAR M I O N. 'Ainfi donc de Ccfar l'amante & rcnncmic. , ; CLEOPATRE. Je lui garde une flamme exempte d'infamie^ Va coeur digne de Iiii. C H A R M I O N. Vous pofTcdcz le fient CLEOPATRE. le crois le polFédcr. C H A R M I O N. Mais Je rçavcz-vous bieaî CLEOPATRE. Apprends cju'unc PrincelTe aimant fa renommée , Quand elle dit qu'elle aime , clt siàre d'être aimée. Et que les plus beaux feux dont fon coeur foit épris ,. N'oferoient l'expoTer aux hontes d'un mépris. Notre fcjour à Rome enflamma Ton courage 5 La j'eus de fon smour le premier témoignage, ît depuis julqu'ici chaque jour fes couriers ivi'apportent en tribut fes vœux & fes lauriers. Par-tout, en Italie , aux Gaules, en Efpagne La fortune le fuit & l'amour l'accompagne j Son bias ne domre point de peuples ni de lieux Dont il ne rende hommage au pouvoir de rxKs ycus^ Et de la même main dont il quitte l'épéc Eumantc encor du fang des amis de Pompée, Il trace des foupirs , & d'un flyle plaintif Dans fon champ de viâ:oire il fe dit mon captifa Oui , tout vidoricux il m'écrit de Pharfalc, Et fi fa diligence à fês feux cft égale , Ou plutôt fi la mer ne s'oppofe à fes feux, L'E^^ypte le va voir me préfcnter fes voeux, 11 vient , ma Charmion , jufqucs dans nos muraillss Chercher auprès de moi le prix de fes batailles , M'ofFrir toute fa gloire , & foumetrre à mes loix Ce cœur &: cette main qui commandent aux Rois 3 TRAGÉDIE. 311 Et ma rigueur mélcc aux faveurs 11 croyoit que le Roi touché de fcs miferes , Par un beau (entiment d'honneur Se de devoir ^ Avec toute fa Cour le vencit recevoir 3 Mais voyant que ce Prince ingrat à fes mérites N'cavoyoic qu'un cfquif rempli de fatcllites , 11 foupçonne aufïï-tôt fon manquement de foi, It fe Uiife furprendrc à quelque peu d'effroi. Enfla voyant aos bords & notre flotte en armes-^ U condamne en fon ca-ur ces indignes alarmes ;^ TRAGÉDIE. 313 Et rcJuit tous les foins d'un fi prcfTant ennui A ne Iiafarder pas Cornélie avec lui. N'ex'pofjns y lui dit-il , que cette feule tête A U réception que l'Egypte m'apprête ; lE.t tandis que moi feul j'en courrai le danger ^ Son^e à prendre la fuite afin de me venger. Le RoiJuba nous garde une foi pins Jincere , Che^ lui tu trouveras & mes fils & ton père ; Mais quand tu les verrais dcfcendre che^ PlutOtl 3 , I^e défefpere point du vivant de Caion. Tandis que leur amour en cet adieu contefle , Achillas à fon bord joint ron^cfquif funefte , Scptime Te pré fente , & lui tendant la main Le falue Empereur en langage Romain ; Et comme député de ce jeune Monarque , Vajfc^ y Seigneur , dit-il , p^Jf*-^ dans cette barque ^ Les fables 6' les bancs cachés dejfous les eaux Rendent l' accès mal sûr h de plus grands vaijjeaux. Ce jj'jros voit la fourbe &i s'en moque dans i'anic>, , Il reçoit les adieux des fîens te de fa femme , Leur défend d-^ le fuivrc , & s'avance au trépas Avec le même front qu'il don noir les Etats. ■ La même majefté fur fon vifage empreinte , Entre ces alfafîins montre un efprit fans crainte .^ . Sa vertu toute entière à la mort le conduit j • Son affranchi Philippe eft le féal qni le fuit , C'eft de lui que j'ai fçu ce' que je viens de dire. Mes yeux ont "vu le refte & mon cœur en fbupirc j, . Et croit que Céfar même à de (î grands malheurs-' Ne pourra rcfu(èr des foupirs & des pleurs. C L E O P A T R E. N'épargner: point les miens , achevez , Aciïoréej" , L'-hiftoire d.'une mort que j'ai ài^Ji. pieurée, A C H O R É E. On l'amené , Se du porrnous le voyons "venir' Sàjis q^ii«î>pas>un d'entre eux daigne 1 entreteni.%'- O v;. ^24 LA MORT DE POMPÉE, Ce mc'pris lui fait voir ce cju'i! en doit attendre ; Si tôt qu'on a pris terre on l'invite à dcfccndrc , li (c levé , &i foudain pour fignal Achillas Derrière ce héros tirant fon coutelas, Septimc & trois des Tiens , lâches enfans de Rome ,' Percent à coups preirés les fîancs de ce grand homme , Tandis qu'AciïilIas même épouvanté d'horreur De ccs-c[uatre enragés admire la fureur. CLEOPATRE. Vous qui livrez la terre aux difcordes civiles ; Si vous vengez fa mort , Dieux,. épargnez nos villes. N'imputez rien aux lieux , rcconnoiflez les mains. Le crime de l'Egypte cfl: fait par des Romains. Mais que fait & que dit ce généreux courage "i A C H O R É E. D'un des pans de fa robe il couvre fon vifage ;; A fon mauvais dcftin en aveugle obéit , Et dédaigne de voir le Ciel qui le trahit. De peur que d'un coup d'oeil contre une telle ofFcn{V II ne femble implorer fon aide ou fa vengeance. Aucun gémiflemcnt à fon cœur échappé Ne le montre en mourant digne d'être frappé , Immobile à leurs coups en lui-même il rappelle Ce qu'eut de beau fa vie & ce qu'on dira d'elle , Et tient la trahifon que le Roi leur prcfcric Trop au-defibus de lui pour y prêter l'efprit. Sa vertu dans leur crime augmente ainfi fon luftre Et fon dernier foupir eO: un.foupir illuftre , Qui de celte grande ame achevant les deftins , Etale tout Pompée aux yeux des aflafTins. Sur les bords de l'cfquif fa tcte enfin penchée , Par le traître Scptime indignement tranchée , PafTc au bout d'une lance en la main d'Achillas Ainfî qu'un grand trophée après de grands combats'. On defcend , & pour comble à fa noire aventure On donne à ce héros la nier pour fé.pukure y tragédie: iii £t h tronc fous les flots roule dorénavant Au gré de la fortune , & de l'onde & da vent. La trifte Cornclic à cet affreux fpedade Par de longs cris aigus tâche d'y mettre obflacle , Défend ce cher époux de la voix & des yeux , Puis n'efpérant plus rien levé les mains aux Cieux j; Et cédant tout-à-coup à la douleur plus forte Tombe dans fa galère évanouie ou morte. Les fiens en ce défaftre à force de ramer L'éloignent de la rive & regagnent la mer; Mais fa fuite eft mal sûre , & l'infâme Scptimc Qui fc voit dérober la moitié de Ton crime , Afin de l'achever prend i\x vaiiTeaux au Port , Et pourfuit fur les eaux Pompée après fa morr. Cependant Achillas porte au Roi fa conquête, . Tout le peuple tremblant en détourne la tcte , "Un elfroi général offre à l'un fous fcs pas Des abymes ouverts pour venger ce trépas ; L'autre entend le tonnerre , Se chacun fe figure^ Un défordre foudain de toute la nature , Tant l'cxc'is du forfait troublant leurs jugemeus Préfente à leurs terreurs l'excès des châtiracns. Philippe d'autre part , montrant fur le rivage Dans une ame {ervile un généreux courage , JBxamine d'uii œil & d'un foin curieux Où les vagues rendront ce dépôt précieux , Pour lui rsndrc , s'il peut , ce qu'aux morts on doit rendre. Dans quelque urne chctive en ramalTer la cendre , Et d'un peu de poufTiere élever un tombeau A celui qui du monde eut le fort le plus beau. Mais comme vers l'Afrique on pourfuit Cornélie , On voit d'ailleurs Céfar venir de ThefTalie , Une flotte paroît qu'on a peine à compter. . . . CLEOPATRE. C'eftlui-meme, Achoiée, iliVen faut point douter; ?i5 LA ^ÎORT DE POMPÉE"'; Tremblez , tremblez , mcchans , Yoici venir la foiZrr dre » CIcopatrc a de quoi vous mettre tous en poudre ; Céfar vient , elle eft Reine , 3c Poinpce c(ï vengé, La ryrannie cft bas , & le fort cft chanf^é. Admirons cependant le dcftin dzs grands hommes ^. Plaignons-les , & par eux jugeons ce que nous foi^ mes. Ce Prince d'un Sénat maître de l'iinivcrs , Donc le boniiear fembloit au-delTus du revers , Lui que Ca Rome a vu plus craint que le tonnerre ^ Triompher en trois fois des trois parcî de la terre , E: qui voyoit encore en ces derniers hafards L'u.i 5c l'autre Conful fuivre Tes étendards , Si-twC que d'un malheur fa iortune clt fuivie , Les inonftrcî de l'Egypte ordonnent de fa vie 5 On voir un Achil'as , un Sepiime , un Photin, Arbitres foiiverains d'^iri G noble deftin ; Un Roi qui de les mains a reçu la Couronne, A ces pelles de Cour lâchement l'abandonne : Ainfi finit Porapire , Se peut-être qu'un jour Céiar éprouvera mime fort à Ton tour. Rendez l'augure faux , Dieux qui vovcz mes larmes , . £t lerondez par-t;^j: &. mes vcxux &: f'is ariECS» CHAR M 1 O ^7. Madame , le Pvoi yisct qui pourra vous ouïr. •Çuî' TRAGÉDIE. ^iT SCENE III. S PTOLOMÉE, CLEOPATR E, C H A R M I O N. PTOLOMÉE. Çavcz«vous le bonheur do Pt nous allons jouir ^' Ma iœur ? CLEOPATRE. Oui 5 ')2 îc fçais , le grand Ccfar arrive , Sous les îoix de Photi.i je ne fjis plus cai-tive. PTOLOMÉE, Vous haïflez toujours ce fidcîc fujcr. CLEOPATRE. Non , niais en l"bcrtc je ris de Ton projet. PTOLOMÉE; Quel projet fnifoic il dont vous puifTiez vous plain- - drc ? CLEOPATRE. J'en ai fouffcrt beaucoup , U j'avois plus à craindre^ . Un Cl grand policiquc c(l: capable de tout , Et vous donnez ks ir.nins à tout ce qu'il reloue. PTOLOMÉE. Si je fuis Cçs confeils , j'en conaois la prudence* CLEOPATRE. Si j'en cia^ins ki tfFcts, j'en vois la violence, PTOLOMÉE. Pour le bien de l'Etat tout eft jufte en r.n Roi, . CLEOPATRE. Ce genre de jurrice eft à ciamdre pour moi 3 Après ma part du fceptre à ce titre ufurpée j^. U Cil coûte Ja vie & ja tête à Pocipéc^ 3iS LA MORT DE POMPÉE^ PTOLOMÉE. Jamais un coup d'Etat ne fut mieux entrepris ^ Le voulant fccourir Céfar nous eût furpiis , Vous voyez fa vîtcflc , Se l'Egypte troublée Avant qu'être en dcfenfe en (croit accablée. Mais, je puis maintenant à cet heureux vainqueur Oiîrir en sûreté mon trône &: votre coeur. CLEOPATRE. Je ferai mes préfens , n'ayez foin que des vôtres , Et dans vos intérêts n'en confondez point d'autrcS» PTOLOMÉE. tes vôtres font les miens , étant de mcmc fang, CLEOPATRE. Vous pouvez dire encore étant de même rang ,' Etant Rois l'un & l'autre ; & toutefois je pcnfe Que nos deux intérêts ont quelque différence. PTOLOMÉE. Oui , ma focur , car l'Etat dont mon coeur efl: con-- tent Sur quelques bords du Nil à grand'peine s'étend : Mais Céfar à vos loix foumettant fon courage , Vous va faire régner fur le Gange & le Tage, CLEOPATRE. J'ai de l'ambition , mais je la fçais régler , Elle peut m'cblouir & non pas m'aveuglcr. Ke parlons point ici du Tage ni du Gange , Je connois ma portée Se ne prends point le changti- PTOLOMÉE. L'occafîon vou*; rit Se vous en uff:rcz. CLEOPATRE; Si je n'ea ufe bien , vous m'en accufercz. PTOLOMÉE. J'en cfpcre beaucoup va l'amour qui l'engage, CLEOPATRE. Vous la craignez peut-être encore davantage; Mais quelque occafion qui me rie aujourd'hui , N'ayez aucune peur , je ne veux lien d'autruL TRAGÉDIE. 325 Te ne (!;âr(3e pour vous ni haine ni colère , Et je fuis bonne focur , lî vous n'êtes bon frcre. PTOLOMÉE. Vous montrez cependant un peu bien du méprisii CLEOPATRE. •le temps de chaque chofe ordonne & faiï le pris^ PTOLOMÉE. Votre façon d'agir le fait affez connoître. CLEOPATRE. Le grand Céfar arrive , & vous avez un maître; PTOLOMÉE. II l'eft de tout le monde , & je l'ai fait le mîen.^ CLEOPATRE, Allez lui rendre hommage , & j'attendrai le fîen ^ Allez , ce n'eft pas trop pour lui que de vous-même» Je garderai pour vous l'honneur du diadcme.. Phorin vous vient aider à le bien recevoir , Confultez avec lui quel cft votre devoir. je ■ ■ ■*'^--j>,f?ite^éJ^ SCENE IV. PTOLOMÉE,PHOTIN. PTOLOMÉE. J 'Ai fuivi tes confeils , mais plus je l'ai flattée ^ Et plus dans l'infolence elle s'eft emportée , Si bien qu'enfin outré de tant d'indignités , Je m'allois emporter dans les extrémités ; Mon bras dont Tes mépris forçoient la retenue N'eût plus confîdéré Céfar ui fa venue ,. r,o LA MOPvT de; POMPÉE^ îc l'eût mifc en crac , maigre tout Ton appiû , De i'cn plaindre à Pompée auparavant c]u*a lui. L'arrogante l à loiiir , elle eft déjà ma Reine j £t fi Céfar en croit Ton orgueil & fa haine , Si , comme elle s'en vanre , elle cft Con cher objet,. De fou frerc & Ton Roi je dcâcns Ton fujet. Kon , non , prcvenons-la , c'eft foibkfiç d'atten- dre Le mal qu'on voit venir fans vouloir s'en défendre,, Otons-lui les moyens de nous plus dctlaigner , Otons-lui les moyens de plaiic & de régner ; Et ne permettons pas qu'après tant de bravades Mon fceptre foit le prix d'une de fes oeillades. ? H O T I N» Seigneur , ne donnez point de prétexte à Céfar Pour attacher l'Egypte aux pompes de fon char, Ge coeur ambitieux qui par toute la terre Ne cherche qu'à porter l'efclavagc & la guerre,. Enflé de fa vidoire & des reflentimens Qu'une perte pareille imprime aux vrais amans , Quoique vous ne rendiez- qu2 juftice à vous-même y. Prendroit i'occafion de venger ce qu'il aime , Et pour s'afTujettir de vos Etats & vous , împureroit à ciîme un fî jufle courrou-x,. PTOLOMÉE. Si Cléopatrc vit , s'il la voit , eJIe efl: Reine. ? H O T I N. Si Cléopatre meurt , votre perte eft certainCé P T O L O M É E. Je perdrai qui me perd ne pouvant me fauvcr. P H O T I N. Pour la perdre avec joie il faut voue confcrver... PTOLOMÉE. Quoi ^ pour voir far fa tcte éclater ma couronne ? Sceptre , s'il faut enfin que ma main t'abandonne, SalTc., pail^, plutôt en celle du Yaincjacur». TRAGÉDIE. 33Î P H O T I N. ^ous Tarrachcrez mieux de celle d'une Cœur» Quelques feux que d'abord il lui falfe paroîcre ^ Il partira bientôt , Ôc vous ferez le maître. L'amour a Ces pareils ne donne point d'ardeur Qui ne ccdc aifcment aux foins de leur grandeur 5; Il voit encor l'Afrique & l'Efpagne occupées Par Juba , Scipion , & les Jeunes Pompées f Et le monde à (es loix n'eO: point alfujetti. Tant qu'il verra durer ces relies du parti. Au fortir de Pliarfale un il i^rand Capitaine Sçauroit mal fon métier , s'il laifloit prendre KarainCj^ Et s'il donnoit loiGr à des cœurs h hardis De relever du coup dont ils fonr étourdis. S'il les vainc , s'il parvient où fon defir afpirt, IJ faut qu'il aille à Rome établir fon Empire, Jouir de fa fortune & de fon attentat , Et changer a. fon gré la forme de l'Etat; Jugez durant ce temps ce que vous pourrez faire. Seigneur , voyez Céfar , forcez-vous à lui plaire ^.^ En lui déférant tout, veuillez vous fouvenir Que les événcmens régleront l'avenir, y.emettez en Tes maiiîs trône , fceprre , couronne 5. Et fans en murmurer foufFrez qu'il en ordonne j_ 11 en croira fans doute ordonner juftcraenc En fuivant du feu Roi l'ordre & le tcftament , L'importance d'ailleurs de ce dernief fervice Ne permet pas d'en craindre une entière injuftice r. Quoi qu'il en faffe enfin , feignez d'y confentir , Louez fon jugement , 3c lailfez-le partir. Après , quand nous verrons le temps propre aux vca*» geanceç , Nous aurons & la force & les intelligences :. Jufques-là réprimez ces tranfports violens , Qu'excitent d'une fœur les mépris infolens^ Les bravades enfin font des difcours frivoles^ Et qui fonge aux effets néglige les paroles.. 331 LA MORT DE POMPÉE;. PTOLOMÉE. Ah '. tu me rends la vie & le fceptre à la fois , Un Gige Confeiller eft le bonheur des Rois. Cher appui de mou Trône , allons fans plus attcn» drc Offrir tout à Céfar afin de tout reprendre , Avec toute ma flotte allons le recevoir , ît pai- ces vains honneurs féduirc fon pouvoir». Fin dujccond A^e» \''^ C*^^"^^ TRAGÉDIE. 335 ACTE III. SCENE PREMIERE; CHARMION, ACHORÉE. C H A R M I O N. o CJi , tancîis que le Roi va luî-mcme en pcrfonnei JufOjU'aux pieds de Céfar profr^m'^r fa ccui'oniic, Cléopatre s'enferme en fon appartement , Et fans s'en émouvoir atrend îbn compliment. Comment nommerez- vous une humeur fi hautaine ^ ACHORÉE. Un orgueil noble & juflc , & digne d'une Reine ^ Qui fouticnt avec cœur 8c magnanimité L'honneur de fa nailîance & de fa di2;nité. Lui pouirai-jc parler "i CHARMION. Non , mais elle m'envoie oçavoir à cet abord ce qu'on a vu de joie , Ce qu'à ce beau préfcnt Céfar a témoigné , S'il a paru content , ou s'il l'a dédaigné , S'il traite avec douceur , s'il traite avec empire^ Ce qu'à nos affarfins enfin il a pu dire. ACHORÉE. La tcte de Pompée a produit des effets Dont ils n'ont pas fujet d'être fort fatisfaits. Je ne fçais fi Céfar prendroit plaifir à feindre 5 Mais pour eux jufqu'ici je trouve lieu de craindre 5 S'ils aimoient Ptolomée , ils l'ont fort mal fervi. Vous l'ayes vu partir , 5c moi je l'ai Cmi. "534 'LA MORT DE POMPÉE, Ses vaillcaux en bon ordic ont cIoii^iK la Ville , Ec pour joinuic Cclar n'ont avancé cju'un irille^ II venoit à pleine voile , Se (i dans les hafards II cpiouva toujours pleine faveur de Mars, Sa Âocrc qu'à l'cnv: favorifoic Neptune Avoic le vent en pouppc ainlî que fa fortune. Des le premier nbcrd roirc Prince étonné Ne s'cft plus fouvcnu de fon front couronné ; Sa fiayeur a paru fous fa faulTc alégrefle , Toutes fcs actions ont feiui la bafTerte , J'en ai rouj;i i-.ioi-n-::^,ne , 5c me fuis plaint à moï De voir là Ptoloméc , & n'y voir point de Roi} Et Céfar qui iifoit fa peur fur fon vifage Le rîattoit par piiié pour lui donner courage. Lui d'une voix tombante offrant ce don fatal , Seigneur , %)ous n'ave^ plus , lui dit- il , dé rival ^ Ce que n'ont pu les DieuK dans votre Thejfalie , Je vdis mettre en vos mains Pompée & Cornctie , "En voici déjà l'un , 6* pour l'autre elle fuit , Mais avec /ix vaijfeaux un des miens ia pour/ai (^ A ces mots Achillas découvre cette tête , îl fembic qu'à parler encore clic s'apprête , Qu'à ce nouvel affront un rcfle de chaleui: En fanglots mal formés exhale fa douleur. Sa bouche encore ouverte & fa vue égarée Rappellent fa gtcindc amc à peine fcpaicc ; Et ion courroux mourant fait un dernier effort Pour reprocher aux Dieux fa défaite & fa mort, Céfar à cet afpeél comme frappé du foudre , E: comme ne fçachant que croire ou que réfoudre ^ Immobile , & les yeux fur l'objet attachés , Nous tient affcz long-temps fes fentimens cachés g Et je dirai , fi j'ofe en faire conje^uie , Que par un mouvement commun à la nature Quelque maligne joie en Con cœjr s'clcvoic , Dont fa gloire indignée à peine le fauvoit. L'aifc de voir la terre à fou poavoir founùfc TRAGÉDIE. îîî Chatouilloit maigre lui Ton amc avec furprife ^ £c de cette douceur Ton efpric combattu Avec un peu d'effort ran'uroi: fa vertu. S'il aime fa grandc^jr , il hait la perfidie > II Te juge en autrui , fe zatc , s'étudie , E-vamii^e en Cccrct Oi joie Si. tes douleurs. Les balance , cîioiftc , lailTe couler des pleurs g te forçant fa vcvzn d'être encor la maîtrefTe , Se montre g Et le Trône Se le Roi fe feroient ennoblis A foutcnir la main qui les a rétablis. Vous eufTiez pu tomber , mais tout couvert de gloire , Votre chute eût valu la plus haute vidoire> Et fî votre dcftin n'eût pu vous en fauvcr , Céfar eût pris plaifir à vous en relever. Vous n'avez pu former une fî noble envie ; Mais quel droit avicz-vous fur cette iiluftre vie ? Que vous devoir fon fang pour y tremper vos mains p Vous qui devez icfpcdl au moindie des Romains ? TRAGÉDIE. 337 Ai-je vaincu pour vous dans les champs de Pliarfale ? Ec par une vidoire aux vaincus trop fatale. Vous ai-je acquis fur eux en ce dernier cfForc La puilVance abfolue Se de vie & de mort ? Moi qui n'ai jamais pu la fouffrir à Pompée , La foulFrirai-jc en vous fur lui-même ufurpcv* $ Ec que de mon bonheut vous ayez abufé Jufqu a plus attenter que je n'aurois oCé ? De quel nom après tout penfez-vous que je nomme Ce coup où vous tranchez du fouverain de Rome, Et qui fur un feul chef lui fait bien plus d'affront Que fur tant de milliers ne fit le Roi de Pont î Penfez-vous que j'ignore ou que je diilinvjîe Que vous n'auriez pas eu pour moi plus de fcrupulc £ Et que s'il m'eût vaincu, votre efprit complaifaut Lui faifoit de ma tête un femblable prcfent ? Grâces à ma victoire on me rend des hommages Où ma fuite eût reçu toutes fortes d'outrages > Au vainqueur , non à moi , vous faites tout l'honneur^ Si Céfar en jouit, ce n'eft que par bonheur. Amitié dangcreufe & redoutable zèle , Que règle la fortune & qui tourne avec ellel Mais parlez , c'eft trop être interdit 8c confus, PTOLOMÉE. Je le fuis , il efl vrai , fi jamais je le fus , Et vous-même avouerez que j'ai fujet de l'être. Etant né Souverain , je vois ici mon maître , Ici , dis-je, où ma Cour tremble en me regardant. Où je n'ai point encore agi qu'en commandant. Je vois une autre Cour fous une autre puifiance. Et ne puis plus agir qu'avec obéifiance. De votre feul afpetl je me fuis vu furpris , Jugez fi vos difcours raffurent mes efprits. Jugez par quels moyens je puis forcir d'un trouble Que forme le rcfped, que la crainte redouble. Et ce que vous peut dire ua Prince épouvanté Tome /, P 3^8 LA MORT DE POMPÉE, De voir tant de colcre & tant de majefté. Dans ces (ftonncmcns dont mon ame eft frappée De rencontrer en vous le vengeur de Pompée , II me fouvient pourtant que s'il fut notre appui , Nous vous dûmes dès-lors autant & plus qu'à lui. Votre faveur pour nous éclata la première , Tout ce qu'il fit après fut à votre prière : Il émut le Sénat pour des Rois outragés Que fans cette prière il airoit négligés. Mais de ce grand Sénat les faintcs ordonnances Eu/Tcut peu fait pour nous , Seigneur , fans vos finan^ ces ; Par-là de nos mutins le feu Roi vint à bout. Et pour en bien parler, nous vous devons le tout. Nous avons honoré votre ami , votre gendre , Jufqu'à ce qu'a vous-même il ait ofé fc prendre 5 Mais voyant Ton pouvoir de vos fuccès jaloux rafler en tyrannie & s'armer contre vous. . . . CESAR. Tout beau , que votre haine en Ton fang alTouvic N'aille point à fa gloire, il fuffitde fa vie. N'avancez rien ici que Rome ofe nier , Et juftificz-vous fans le calomnier. P T O L O M É E. Je laifTe donc aux Dieux à juger fes penfécs , Et dirai feulement qu'en vos guerres paflces Où vous fûtes forcé par tant d'indignités , Tous nos vœux ont été pour vos profpérités :. Que comme il vous traitoit en mortel adverfaire , J'ai cru fa mort pour vous un malheur néccffaire. Et que fa haine injufte augmentant tous les jours , Jufques dans les enfers chercheroit dufecours ; Ou qu'enfin , s'il tomboit deiîous votre puiifancc, II nous falloit pour vous craindre votre clémence , Et que le fentiment d'un cœur trop généreux Ufant mal de vos droits vous tendit malheureux. TRAGÉDIE. 339 Tai donc confidcrc qu'en ce pcril extrême Nous vous devions , Seigneur , f^Tvir maigre vous-; mcme 5 Et (ans attendre d'ordre en cette occafîon , Mon zcle ardent l'a prife à maconfufion. Vous m'en dcfavouez, vous l'imputez à crime: Mais pour ^rvir Céfarxien n'eft illégitime. J'en ai fouillé mes mains pour vous en préfervcr. Vous pouvez en jouir & le défaprouver ; Et plus j'ai fait pour vous , plus l'aflion <:ft noire , Puifque c'eft d'autant plus vous immoler ma gloire^ Et que ce facrifîcc offert par mon devoir Vous affure la vôtre avec votre pouvoir. CESAR. Vous cherchez, Ptolomée, avecque trop de rufès De mauvaifes couleurs & de froides excufcs. Votre zele étoit faux , d feul il redoutoit Ce que le monde entier à pleins vœux fouhaitoit. Et s'il vous a donné ces craintes trop fubtiles Qui m'ôtent tout le fruit de nos guerres civiles , Où l'honneur feul m'engage , & que pour terminer Je ne veux que celui de vaincre & pardonner 5 Oii mes plus dangereux & plus grands adverfaires Si-tôt qu'ils font vaincus, ne font plus que mes frères J Et mon ambition ne va qu'à les forcer , Ayant domté leur haine , à vivre & m'cmbraffer, O combien d'alégrefTe une Ci trifte guerre Auroit-elle lailfé deflus toute la terre , Si Rome avoit pu voir marcher en même char. Vainqueurs de leur difcorde & Pompée & Céfar! Voilà ces grands malheurs que craignoit votre zelc ,' O crainte ridicule autant que criminelle i Vous craigniez ma clémence 1 ah l n'ayez plus cefoin^ Souhaitez-la plutôt , vous en avez befoin. Si je n'avois égard qu'aux loix de la juftice. Je m'appaiferois Rome avec votre fupplice , ^46 LA MORT DE POMPÉE, Sans que ni vos refpeds , ni votre repentir , Ni votre dignité vous puncnt garantir 3 Votre trône luimcme en feroit le théâtre: Mais voulant épargner le fang de Cléopatrc , J'impute à vos flatteurs toute la traliifon. Et je veux voir comment vous m'en ferez raison j^ Suivant les fcntimcns dont vous ferez capable. Je fçaurai vous tenir innocent ou coupable. Cependant à Pompée élevez des autels , Rendez-lui les honneurs qu'on rend aux Immortels 5 Par un prompt facrificc expiez tous vos crimes , Et fur-tout penfcz bien aux choix de vos vi<5limcs. Allez y donner ordre & me laiffez ici Entretenir les miens fur quelqu'autie fouci. i^:._ jf^'Jj^lfh^ SCENE III. tESARjANTOINEjLEPIDE. CESAR. jtXNtoinc , avez-vous vu cette Reine adorable ? ANTOINE. Oui , Seigneur , je l'ai vue , elle eft incomparable , Le Ciel n'a point encor par de fi doux accords Uni tant de vertus aux grâces d'un beau corps 3 Une majefté douce épand fur fon vifagc De quoi s'alTujettir le plus noble courage; Ses yeux fçavent ravir , fon difcous fçait charmer ,' Et fi j'étois Ccfar , je la voudrois aimer. CESAR. Comme a-t-elle reçu les offres de ma flamme "i ANTOINE, pomme nofact la croire & la croyant dans l'amc^ TRAGÉDIE. 34^ Par un refas modefte & fait pour inviter , Elle s'en dit indigne , &c la croit mériter. CESAR. En pourrai-je être aimé ? Antoine! Douter qu'elle vous aime^ Elle qui de vous feul attend (on diadème , Qui n'efpere qu'en vous l Douter de fes ardeurs» Vous qui pouvez la mettre au faite des grandeurs! Que votre amour fans crainte à (on amour prétend^^ Au vainqueur de Pompée il faut que tout fc rende , Et vous réprouverez. Elle craint toutefois L'ordinaire mépris que Rome fait des Rois, Et fur-tout elle craint l'amour de Calpliurnie ; Mais l'une & l'autre crainte à votre afpedl bannie. Vous ferez fuccédcr un efpoir alfcz doux , JLor(t]ue vous daignerez lui dire un mot pour vous» CESAR. Allons donc l'afFranchir de fes frivoles craintes , Lui montrer de mon cceur les fenfibles atteintes,, Allons, ne tardons plus. ANTOINE. Avant que de la voir Sçachez que Cornélie eft en votre pouvoir 5 Scptime vous l'amené, orgueilleux de fon crime. Et penfe auprès de vous fe mettre en haute eftime. Dès qu'ils ont abordé , vos chefs par vous inf^ruits. Sans leur rien témoigner les ont ici conduits. CESAR. Qu'elle entre. Ah , l'importune & faclieufe nouvelle! Qu'à mon impatience elle femble cruelle l 0 Ciel ! Se ne pourrai-jc enfin à mon amour Dounei: en liberté ce qui refle du jour > P iij Ui LA MORT DE POMPÉE, SCENE IV. •CESAR^ ANTOINE, LEPIDE; S E P T 1 M E. S E P T I M E. ijEigneur '..... CESAR. Allez , Septimc , alicz vers votre maître, 'Céfar ne peut foufîrir la préfence d'un traître , D'un P.omain lâche alTcz pour fervir fous un Roi, Apres avoir fervi fous Pompée & fous moi. >-*^^r^^if^ SCENE V. CORNELIE, CESAR, ANTOINE, L E P I D E. CORNELIE. V^ Efar , car le deftin que dans tes fers je brave Me fait ta prifonniere, & non pas ton cfclave; Et tu ne prétends pas qu'il m'abatte le cœur Jufqu'a te rendre hommage &: te nommer feigneur ; De quelque rude trait qu'il m'ofe avoir frappée , Veuve du jeune Cralfe , & veuve de Pompée, Pille de Scipion , &: pour dire encor plus , Romaine , mon courage eft encore au-delfus^ Et de tous les aflauts que fa rigueur me livre , Rien ne me fait rougir que la honte de vivre. TRAGÉDIE. 34j ♦ J'ai va mourir Pompée & ne l'ai pas fuivi , Et bien que le moyen m'en ai: éié ravi , Qu'une pitié cruelle à mes douleurs profondes M'ait ôté le fecours 6c du fer 6c des ondes , Je dois rougir pourtant aptes un tel malheur De n'avoir pu mourir d'un excès de douleur. Ma mort étoit ma gloire , & le deftin m'en prive Pour croître mes malheurs 6c me voir ta captive. Je dois bien toutefois rendre grâces aux Dieux De ce qu'en arrivant je te trouve en ces lieux. Que Céfar y commande , 6c non pas Ptolomée. Hclas ! 6c fous «quel aftre , ô Ciel m'as- tu formée , Si je leur dois des vœux de ce qu'ils ont permis Que je rencontre ici mes plus grands ennemis , i-t tombe entre leurs mains piutat qu'aux mains d'uiî Prince , Qui doit à mon époux Ton trône 6c fa Province l Céfar de ta vidioire écoute moins le bruit , Elle n'eft que l'effet du malheur qui me fuit j Je l'ai porté pour dot chez Pompée Se chez Cra/îe^ Deux fois du monde entier j'ai caufé la difgrace. Deux fois de mon hymen le nœud mal alfortl A chaifé tous les Dieux du plus jufte parti. Heureule en mes malheurs , h ce zni\: hyméne'c Pour le bonheur de Rome à Céfar m'eût donnée , Et fi j'euffe avec moi porté dans ta maifon D'un aftre envenimé l'invincible poifon. Carenfîn n'attends pas que j'abailfe ma haine , Je te l'ai déjà dit , Céfar , je fuis Romaine ; Et quoique ta captive, un cœur comme le mien De peur de s'oublier ne te demande rien. Ordonne , Se fans vouloir qu'il tremble ou s'humilie , Souviens-toi feulement que je fuis Cornélic. CESAR. O d'un illuftre époux noble & digne moitié Dont le courage étonne & ie fort fait pitié l P iv 544 LA MORT DE POMPÉE, Certes vos fcntin-icns font nlfcz reconnoîcre Qui vous doDna la main , &c qui vous donna l'ctre,' Et l'on juge aifémcnt au coeur que vous portez Où vous êtes entrée , & de qui vous fortcz. L'amc du jeune C rafle & celle de Pompée , L'une & l'autre vertu par le malheur trompée, Xe lang des Scipions protcdcur de nos Dieux , Parlent par votre bouche & brillent dans vos yeuxj ît Rome dans fcs murs ne voit point de famille 'Qui foit plus honorée ou de femme ou de fille. Plùt au grand Jupiter, plût à ces mêmes Dieux Qu'Annibal eut bravés jadis fans vos aïeux. Que ce héros G cher dont le Ciel vous fépare N'eût pas fi mal connu la Cour d'un Roi barbare-^ Ni mieux aimé tenrer une incertaine foi, Que la vieille amitié qu'il eût trouvée en moi ; Qu'il eût voulu fouffrir qu'un bonheur de mes aimes Eût vaincu Tes foupçons , dilïîpé fes alarmes j Et qu'enfin m'attendant , fans plus fc défier , 11 m'eût donné moyen de me juftifier. Alors foulant aux pieds la difcorde & l'envie. Je rculfe conjuré de fe donner la vie. D'oublier ma vidoire, &c d'aimer un rival Heureux d'avoir vaincu pour vivre Ton égal. J'cufle alors regagné fon ame fatisfaite , Jufv.ju'à lui faire aux Dieux pardonner fa défaire , Il eut fait à fon tour , en me rendant fon cœur. Que Rome eût pardonne la vidoirc au vainqueur. Mais puifque par fa perte à jamais fans féconde Le fart a dérobé c?ttc alégreflc au monde, Céfar s'efforcera de s'acquitter vers vous De ce qu'il voudroit rendre a cet illuftre époux. Prenez donc en ces lieux liberté toute entière > Seulement pour deux jours foyez ma prifonnicre," Afin d'crrc témoin comme après nos débars Je chéris fa mémoire & venge fon trépas. Et de pouvoir apprendre à toute l'Italie tragédie: 345 De que! orgueil nouveau m'enfle la Theflalie. Je vous laills à vous-même , & vous quitte un mo« ment. ChoifîfTez-Iui, Lépide, un digne appartement; Et qu'on rhoilore ici, mais en Dame Romaine , C'eft-à-dire , un peu plus qu'on n'honore la Reine, .Commandez , & chacun aura foin d'obéir. C O R N E L I E. P Ciel l Que de vertus vous me faites haïr i Fia du troljieme Acld y ^ 346 LA MORT DE POMPÉE, ACTE IV. SCENE PREMIERE^ PTOLOMÉE, ACHILLA S, P H O T I N. PTOLOMÉE. \^ Uoi 1 de Ici mcme main & de h même cpes- Dont il vient d'immoler le malheureux Pompée, Septime par Céfar indignement chafTé , Dans un tel déferpoir à vos yeux a paiTé î A C H I L L A S. Oui , Seigneur , Se fa mort a de quoi vous apprendre- La honte qu'il prévient & qu'il vous faut attendre. Jugez quel eft Céfar à ce courroux û lent. Un moment poulTe Se rompt un traiifport violent,. Mais l'indignation qu'on prend avec étude Augmente avec le temps & porte un coup plus rude. Ainfî n'efpérez pas de le voir modéré , Par adreife il fe fâche après s'être afluré j Sa puilTance établie , il a foin de fa gloire; Il pourfuivoit Pompée & chérit fa mémoire , Et veut tirer à Coi par un courroux accord L'honneur de fa vengeance & le fruit de fa mort. PTOLOMÉE. Ah l Cl je t'avois cru , je n'aurois pas de maître» Je (crois dans le Trône où le Ciel m'a fait naître ; ,Mais c'eft une imprudence affez commune aux Rois D tcQUtçr trop d'avis & fe tromper au choix. TRAGÉDIE. 347 I.C dcnrin les aveugle au bord du précipice, p,i (il q'jel(]iie lumkrc en leur ame Ce glilFe , Cette faullc clarté dont il les éblouit ies plonge dans un gouffre & puis s'évanouir. P H O T I N. J'ai mal connu CasTarj mais puifcju'en Ton eftime Un Cl rare fcrvice elt un énorme crime , Il porte dans Ton flanc de c|uoi nous en laver , C'eft là qu'efi: notre grâce , il nous l'y faut trouver»- Je ne vous parle plus de fouffrir fans murmure , D'attendre Ton départ pour venger cette injure , Je fçais mieux confon-ner les remèdes au mai^. Juftifions fur lui la mort de Ton rival , Et notre main alors également trempée Et du fang de Ccfar & du fang de Pompée , Rome, fans leur donner de titres difFérens ^ Se croira par vous fcul libie de deux tyrans, P T O L O M É E. Oui , par-là feulement ma perte ell: évitable , C'eft trop craindre un tyran que j'ai fait redoutabJ Montrons que fa fortune eft l'oeuvre de nos mains Deux fois en même jour difpofons des Rom.ains , Faifons leur liberté comme leur efclavage. Céfar , que tes exploits n'enflent plus ton courage 3 Confidere les miens , tes yeux en font témoins ,.. Pompée étoit mortel , & tu ne Tes pas moins j, Il pouvoir plus eue toi , tu lui portois envie , Tu n'as non plus que lui qu'une ame & qu'une vis 5 Et fon fort que tu plains te doit faire penfer Que ton cccur eft fenfible & qu'on peut le percer. Tonne , tonne à ton gré , fais peur de ta juftice , C'eft à moi d'appaifer Rome par tan fupplice ^ C'eft à moi de punir ta cruelle douceur Qui n'épargne en un Roi que le fang de fa focur. Je n'abandonne plus ma vie & ma puiffancc Au hafàid de fa t^inc ou de toix inconftance j P vi • 3' » 34^ LA MOP.lT de POMPÉE^ Ne crois p. s que jamais :u puill'es à ce prix Rc.oiipenfcr fa fl;îmrne ou punir Tes mépris. J'cmploier.ii contre roi ce plus nobles maximes , Tu m'as prefcrit tantôt de choilir des vidimcs. De bien penfer au choix , j'obcis , & je voi Que je n'en puis cboifir de plus digne que roi , Ni dont le fang offert , la fumée & la cendre Piiifl'ent mieux fatisfaire aux mânes de ton gendres Mais ce n'cft pas aflcz , amis , de s'irriter , Il fcut voir quels moyens on a d'exécuter y Toute cette chaleur eft peut-être inutile , Les foldats du tyran font maîtres de la Ville , Que pouvons-nous contre eux ^Et pour le prévenir Quel temps devons-nous prendre , & qud ordre te- nir 'i A C H I L L A S. Nous pouvons tout, Seigneur, en l'état où.» nous fommes. A deux mille d'ici vous avez fix mille hommes j,. Que depuis quelques jours craignant des remuemenS- Je faifois tenir prêts à tous événemcns. Quelques foins qu'ait Céfar , fa prudence eft déçue ,^ Cette Ville a fous terre une fecrete i/Tue,. Par où fort aifémcnt on les peut cette nuic Jufques dans le Palais introduire fans bruit; Car contre fa fortune aller à force ouverte , Ce feroit trop courir vous-même à votre perte : 11 nous le faut furprendre au milieu du fcftin , Enivré des douceurs de l'amour & du vin. Tout le peuple eft pour nous , tantôt à fon entrée J'ai remarqué l'horreur que ce peuple a montrée, lorfqu'avec tantdc fafteil a vu fcs faifceaux Marcher arrogammcnt & braver nos drapeaujc. Au fpedacîeinfolent de ce pompeux outrage» Ses farouches regards étinccloient de rage. Je voyois fa fureur à peine fe domter j ÎEt pou^ peu ^u'oû le poulFe , il cft prêt d'éclater. TRAGÉDIE. 549 Mais fur-tout les Romains que commandoit Septimc , PielTcs de la terreur cjue fa mort leur imprime. Ne cherchent qu'à venger par un coup généreux: Le mépris qu'en leur chef ce fuperbe a fait d'eux. PTOLOMÉE. Mais qui pourra de nous approcher fa perfonnCj Si durant le feitin fa garde l'environne? P H O T I N. Les gens de Cornélie, entre qui vos Romains Ont déjà reconnu des frères , des germains Dont l'âpre déplaifir leur a laifle paroître Une foif d'immoler leur tyran à leur maître. Ils ont donné parole , & peuvent mieux que nous^ Dans les flancs de Céfar porter les premiers coups s Son faux art de clémence ou plutôt fa folie , Qui penfe gagner Rome en flattant Cornélie, Leur donnera fans doute un aflez libre accès Pour de ce grand deflein afTurer le fuccès. Mais voici Cléopatre , agiflez avec feinte. Seigneur , &: ne montrez que foiblefle & que crainte ^^ Nous allons vous quitter, comme objets odieux Dont l'aipecl importun ofFenferoit fes yeux. PTOLOMÉE, Allez , je vous rejoins. I 350 LA MORT DE POxMPÉE,. S C E N E I I. PTOLOMÉE,CLEOPATRr:,. A C H O R É E , C H A R M I O N. CLEOPATRE. J 'Ai vu Céfar, mon frersj Et de tout mon pouvoir combattu fa colère. PTOLOMÉE. Vous êtes gcnéreufe, Se j'avois attendu Cet office LiLac. SCENE III, CESAR, CLEOPATRE, ANTOINE^ LEPIDE , CHARMION, ACHORÉE^ Romains. R CESAR. Eine , tout eft paifiblc , & la Ville calmée ;, Qu'un trouble affez léger âvoit trop alarmée. N'a plus à redouter le divorce inteftin Du foldat infolent & du peuple mutin. Mais , ô Dieuï l ce moment que je vous aï quittée D'un trouble bien plus grand a mon ame agitée; Et CCS foins importuns qui m'arrachoient de vous Contre ma grandeur même allumaient moo cour- roux. Je lui voulois du mal de m'ctre fî contrafrc , De rendre ma préfcnce ailleurs fi nécelTaire.; Mais je lui pardonnois au fimple fouvenir Du bonheur qu'a ma flamme elle fait obtenir.. C'eft elle dont je tiens cette haute efpérance Qui flatte mes dcfirs d'une illuftre apparence. Et fait croire à Ccfar qu'il peut former des vœux 5, Qu'il n'eft pas tout-à-fait indigne de vos feux , Et qu'il peut en prétendre une jufte conquête , N'ayant plus que les Dieux au-dciTus de fa tête. - Oui , Reine., fi quelqu'un dans ce vafte univers- Pou voit porter plus haut la gloire dç vos feii», TRAGÉDIE. 355 S'il étoit quelque tronc où vous pufliez paroître Plus dignemcnc aflifc en captivant Ton maître, J'irois , j'irois à lui , moins pour le lui ravir Que pour lui difputcr le droit de vous fcrvirj Et je n'afpirerois au bonheur de vous plaire Qu'après avoir mis bas un fi grand adverfairc, C'étoit pour acquérir un droit fi précieux Que combattoit par-tout mon bras ambitieux 5 Et dans Pharfale même il a tiré l'épée Plus pour le confervcr que pour vaincre Pompée, Je l'ai vaincu , Princefie , &c le Dieu des combats M'y favorifoit moins que vos divins appas , Ils conduifoient ma main , ils enfloicnt mon courage. Cette pleine vi<5loire cft leur dernier ouvrage, C'eft l'effet des ardeurs qu'ils daignoient m'infpirer 5 Et vos beaux yeux enfin m'ayant fait foupirer. Pour faire que votre ame avec gloire y réponde. M'ont rendu le premier & de Rome & du monde, C'eft ce glorieux titre à pré'ent effectif Que je viens ennoblir par celui de captif. Heureux fi mon cfprit gagne tant fur le vôtre,' Qu'il en eftime l'un, & me permette l'autre CLEOPATRE. Je fçais ce que je dois au fouverain bonheur Dont me comble & m'accable un tel excès d'honneur ; Je ne vous tiendrai plus mes paffions fecretes , Je fçais ce que je fuis , je fçais ce que vous êtes > Vous daignâtes m'aimer des mes plus jeunes ans , Le fceptrc que je porte eft un de vos piéfens. Vous m'avez par deux fois rendu le diadème. J'avoue après cela , Seigneur , que je vous aime , Et que mon cœur n'efl: point à l'épreuve des traits Ni de tant de vertus, ni de tant de bienfaits. Mais hélas l ce haut rang, cette illuftre naiifance. Cet Etat de nouveau rangé fous ma puilfance , Ce fceptre par vos mains dans les miennes remis, A mes vœux innocens font autant d'ennemisL %U LA MORT DE POMPÉE; Ils allument contre eux une implacable haine, I s me font méprifable alors qu'ils me font Rcine^ Et fi Rome eft encor telle qu'auparavant , Le trône où je me fieds m'abailTc en m'clcvant ; Et ces marques d'honneur, comme titres infâmes ;. iMe tendent à jamais indii^nc de vos flammes. J'ok encor toutefois, voyant votre pouvoir. Permettre à mes defirs un généreux cfpoir. /près tant de combats je fçais qu'un fi grand homme A (iroit de triompher des caprices de Rome , Et que l'injufte horreur qu'elle eut toujours des Rois Peut céder par votre ordre à de plus juftes loix. Je Içais que vous pouvez forcer d'autres obftacles. Vous me l'avez promis , & j'attends ces miracles 5 Votre bras dans Pharfale a fait de plus grands coups > Et je ne les demande à d'autres Dieux qu'à vous. CESAR. Tout miracle crt: facile où mon amour s'applique ;, Je n'ai plus qu'à courir les côtes de l'Afrique , Qu'à montrer mes drapeaux au refte épouvanté Du parti malheureux qui m'a perfécuté. Rome n'ayant plus lors d'ennemis à me faire. Par impuilfance enfin prendra foin de me plaire j Et vos yeux la verront par un fuperbe accueil Immoler à vos pieds fa haine & ion orgueil. Encore une défaite , & dans Alexandrie Je veux que cette ingrate en ma faveur vous prie^ Et qu'un jufte refped conduifant fcs regards A votre charte amour demande des Céfars. C'eft l'unique bonheur où mes defirs prétendent , C'eft le fruit que j'attends des lauriers qui m'attendent^ Heureux , fi mon deftin encore un peu plus doux Me les faifoit cueillir fans m'éloigner de vous. Mais las 1 contre mon feu mon feu me follicite , Si je veux être à vous il faut que je vous quitte j En quelques lieux qu'on fuie , il me faut y courij? Pour achever de vaincre & de vous conquérir. TRAGÉDIE. 355 JPermcttez cependant cju'à ces douces amorces 3c prenne un nouveau cœur & de nouvelles forces Pour faire dire encore aux peuples pleins d'effroi. Que venir, voir, & vaincre cft même chofe enmoL, CLEOPATRE» C'td trop, c'eft trop , Seigneur, fouffrcz que j'eo abufe , Votre amour fait ma faute, il fera mon excufe. Vous me rendez le fceptrc , & peut-être le jour: Mais fi j'ofe abufer de cet excès d'amour. Je vous conjure encor par Tes plus puilTans charmes , Par ce jufte bonheur qui fuit toujours vos armes , Par tout ce que j'efpere & que vous attendez. De n'enfanglanter pas ce que vous me rendez. Paites grâce , Seigneur , ou fouffrez que j'en fafîe. Et montre à tous par-là que j'ai repris ma place ; Achillas & Photin font gens à dédaigner j> Ils font affez punis en me voyant régner. Et leur crime... CESAR. Ah î prenez d'autres marques de Reine ^ Deflus mes volontés vous êtes Souveraine ; Mais fi mes fcntimens peuvent être écoutés , Choififiez des fujets dignes de vos bontés. Ne vous donnez fur moi qu'un pouvoir légitime , Et ne me rendez point complice de leur crime. C'eft beaucoup que pour vous j'ofe épargner le Roi^ Et fi mes feux n'étoient. . . . ^. 3«)6 LA MORT DE POMPÉE, SCENE IV. CESAR, CORNELIE,CLEOPATREi ACHORÉE , ANTOINE , LEPIDE, CHAR M ION, Romains. C G R N E L I E. Efar , preiKÎs garde à toi : Ta mortefl rcfolue, on la jure, on l'apprête, A celle de Pcmpce on veut joindre ta tctcj Prends-y garde , Ccfar , ou ton fang répandu Bientôt parmi le fien Te verra confondu. Mes efclaves en font , apprends de leurs indices L'auteur de l'attentat, 6c l'ordre, & les complices 5 Je te les abandonne. CESAR. G cœur vrain-jent Romain ^ i.t digne du héros qui vous donna la main l Ses nianes qui du Ciel ont vu de quel courage Je prcparois la mienne à venger fon outrage. Mettant leur haine bas , me fauvcnc aujourd'hui Par la moitié qu'en terre il nous laifTe de lui. Il vit , il vit encore en l'objet de fa flamme , Il parle par fa bouche , il agit dans fon amc,. Il la pouffe, & l'oppofè à cette indignité. Pour me vaincre par elle en générofité. C O R N E L I E. Tu te flattes , Céfar , de mettre en ta croyance Que la haine ait fait place a la reconnoiflance> Ne le préfume plus , le fang de mon époux A rompu pour jamais tout commerce entre nous. TRAGÉDIE. 3Î7! î'attctrJs la liberté qu'ici tu m'as offerte , Afin de l'employer toute entière à ta perte 5 Et je te chercherai par-tout des ennemis. Si tu m'ofes tenir ce que ta m'as promis. Mais avec cette foif que j'ai de ta ruine , Je me jette au-devant du coup qui t'afTaflinc, Et forme des defirs avec trop de raifon Pour en aimer l'effet par une trahifon. Qui la fçait Se la fouffrc a part à l'infamie. Si je veux ton trépas , c'cft en jufte ennemie j Mon époux a des fi!s , il aura des neveux. Quand ils te combattront , c'eft là que je le veux^ Et qu'une digne main par moi-même animée, JDans ton champ de bataille , aux yeux de ton armée,' T'immole noblement & par un digne effort Aux mânes du héros dont tu venges la mort. Tous mes foins, tous mes veux hâtent cette ven^ geance , Ta perte la recule , & ton faîut l'avance 5 Quelque efpoir qui d'ailleurs me l'ofe ou puiffe offrir ^ Ma jufte impatience auroit trop à fouffrir. La vengeance éloignée eft à demi-perdue , Et quand il faut l'attendre , elle eft trop cher vendue' Je n'irai point chercher fur les bords Africains Le foudre fouhaité que je vois en tes mains , La tête qu'il menace en doit être frappée. J'ai pu donner la tienne au lieu d'elle à Pompée, Ma haine avoit le choix , mais cette haine enfin Sépare fon vainqueur d'avec fon adafîin. Et ne croit avoir droit de punir ta vicfloirc Qu'après le châtiment d'une aélion fî noire. Rome le veut ainfî , fon adorable front Auroit de quoi rougir d'un trop honteux affront. De voir en même jour après tant de conquêtes 5ous un indigne fer fes deux plus nobles têtes. Son grand cœur qu'à tes loix en vain tu crois fournis En veut aux criminels plus qu'à fes ennemis , 5^8 LA MORT DE POMPÉE; Ec tiendroit à malheur le bien de fe voir libre. Si l'attentat du Nil alfranchilToit le Tibre. Comme autre qu'un Romain n'a pu raf^ujcttir," Autre auffi qu'un Romain ne l'en doit garantir. Tu tombcrois ici fans être fa vidimc. Au lieu d'un châtiment ta mort (croit un crhiv.^ ;^ Et faus que tes pareils en conçuflent d'effroi ^ ' ' " ' L'exemple que tu dois périroit avec toi. Venge-la de l'Egypte à fon appui fatale. Et je la vengerai , (î je puis de Pharfalc. Va , ne perds point de temps , il prefTe. Adieu. Tu peuit Te vanter qu'une fois j'ai fait pour toi des voeux. .k.-i'T^.-Ui» ^jiL Et conlervez fon fang pour épargner mes larmes. ACHORÉE. Madame , alTurez-vous qu'il ne peut y périr. Si mon zèle & mes foins peuvent le îecourir. Fin du quatrième Acle% *lv.j^ •360 LA MORT DE POMPÉE, ACTE V. SCENE PREMIERE. CORNELIE tenant une petite urne en fa main 't, PHILIPPE. M CORNELIE. Es ycui , puis-je vous croire , & n'cft-cc poioc un fonge Qui fur mes triftes vœux a formé ce menfoMgeî Te revois-je , Philippe &: cet cpojx fi cher A-t-iJ reçu de toi les honneurs du bûcher ? Cette urne que je tiens contient-elle fa cendre? O vous , a ma douleur objet terrible & tendre^ Eternel entretien de hai^e & de pitié , Refte du grand Pompée , écoutez fa moitié. N'attendez point de moi de regrets ni de larmes , Un grand cœur à ces maux appiicjuc d'autres charmcs- Les foibles déplaiûrs s'a^^llfcnt a parler , Et quiconque fe plaint cherche à fc confoler. Jvloi , je jure des Dieux la puifiance fuprérae , E: pour dire cncor plus , je jure par vous même j Car vous pouvez bien plus fur ce cœur affligé Que !e refpcd des Dieux qui l'ont mal protégé i Je jure donc par vous , ô pitoyable refte , Ma divinité feule après ce coup f jnefte , Par vous qui feule ici pouvez me foulagcr , De n'éteindre jamais l'ardeur de le venger, Ptoloméc à Céfar par un lâche artifice , Rome , de tOQ Pompée a fait un facrifice, ^ Il TRAGÉDIE. 3^1 Et je n'entrerai point dans tes murs dcfolés , Que le Prêtre & le Dieu ne lui (oient immoles. Faites-m'en fouvenir & foutcncz ma haine , O cendres , mon cfpoir aufli-bien que ma peine; Et pour m*aidcr un jour à perdre fon vainqueur , Vcrlez dans tous les cœurs ce que re/Tenc mon ccear,' Toi , qui Tas honoré fur cette infâme rive D'une flamme picufe autant comme chctive. Dis-moi quel bon dcmoa a rais en ton pouvoir De rendre à ce héros ce funèbre devoir î PHILIPPE. Tout couvert de fon fang & plus mort que lui-même , Après avoir cent fois raajdi: le diadime , Madame, j'ai porté mes pas & mes fanglots Du coté que le vent poulloit encor les flots : Je cours long-rcraps en vain , mais enfin d'une roche J'en découvre le tronc vers un fable aiftz proche , Où la vague en courroux (embioit prendre pîaiiïr A feindre de le rendre & puis s'en refaifir. Je m'y jette & l'embralfe , & le poufl"i au rivage ; Et rainalfant fous lui ie débris d'un naufrage . Je lui drelfe un bûcher à la hâte 2c fans art , Tel que je pus fur l'heure &c qu'il plut aa hafarj. A peine brûloir il , que le Ciel pIuS propice Alcnvoie un compagnon en ce pieux oflice , Cordus , uo vieux Romain qui demeure en ces lieux. Retournant de la ville y détourne les yeux ; Et n'y voyant qu'un tronc dont la :c:e cîi coupée > A cette trifte marque il reconnoît Pompée. So idâin la larme à l'ocil , O coi , q::î que tu fois ^ A qui le Cid permet de Ji dignes exploits , _ Ton fon ejl bien , dic-il, autre que tu ne ptnfes ; Tu crains des châtimens , auends des récompenfes ; Céfa,r ejl en Egypte , 6* venge h.autemsni Celui pour qui tan ^ele a tant de fentimen: ; Tu. piJ-x faire éclater les foins quon t'en voit prendre , Tci peux même à fa veuve tr. rerorur la cer.d'C ,• Tcr.è /. ' ^ 5^2 LA MORT DE POiMPÈE, Son vainqueur l'a reçu avec tout le refpecï Qu'un Dieu pourrait ici trouver a fon afpecî. Achevé , je reviens. Il part & m'abnndonnc,^ Et rapporte aufli toc ce vafe qu'il me donne , Où fa main & la mienne enfin ont renfermé Ces rcftcs d'un héros par le feu confu-mé, C O R N E L I E. O que fa pièce mérite de louanges 1 PHILIPPE. ' En entrant j'ai trouvé des défordres étraup-es: J'ai vu fuir tout un peuple en foule vers le port OÙ le Roi , difoit-on , s'ctoit fait le plus fort. Les Romaiiis pourfuivoicnt , & Ccfar dans la place P^uiflclantc du fang de cette populace , Montroit de fa jufticc un exemple affez beau , Taifant parfcrPiiotin par les mains d'un bourreau : Aufli-tôt qu'il me voit il daigne me connoître , Et prenant de m.a main les cendres de mon maître , Rejies d'un demi-Dieu dont à peine je puis Egaler le grand nom , tout vainqueur que j'en fuis , De vos traîtres , dit-il , voye-^ punir Us crimes , Attendant des Autels receve:^ ces vicîimes. Bien d'autres vont les fuivre y 6* toi , cours au Palais Porter a fa moitié ce don que je lui fais y Porte a fes déplaifirs cette foible allégeance , E*. dis-lui que je cours achever fa vengeance. Ce grand homme à ces mots me quitte en foupirant , Et baife avec refpeâ: ce vafè qu'il me rend* C O R N E L I E. O foupirs l ô refpeâ: l ô qu'il eft doux de plaindre Le fort d'un ennemi , quand il n'cft plus à craindre I Qu'avec chaleur , Philippe , on court à !e venger , Lorfqu'on s'y voit forcé par fon propre danger , Et quand cet intérêt qu'on prend pour fa mémoire Fait notre sûreté , comme il croît notre gloire I Ccfar Cii généreux , j'en veux être d'accord; Mais le Roi k veut perdre , & fon rival cft morr. J TRAGÉDIE. 55î Sa vertu laiiTe lieu de douter à l'envie De ce qu'elle feroit , s'il le voyoit en vie ; Four grand qu'en foie le prix , Ton péril en rabat , Cette ombre qui la couvre en afFoiblic l'éclat. L'amour même s'y mêle , & le force à combattre 5 Quand il venge Pompée , il défend Cléopatre. Tant d'intérêts (ont joints à ceux de mon époux. Que je ne dcvrois rien à ce qu'il fait pour nous , Si comme par foi-même un grand coeur juge un autre f Je n'aimois mieux juger fa vertu par la nôtre , Et croire que nous feuls armons ce combattant , Parce qu'au point qu'il eft j'en voudrois faire autant. r^S^=^ =9; SCENE II. CLEOPATRE, CORNELIE, PHILIPPE, CHARMION. j CLEOPATRE. E ne viens point ici pour troubler une plainte Trop jufte à la douleur dont vous êtes atteinte. Je viens pour rendre hommage aux cendres d'un Héros Qu'un iîdeîc aiFranchi vient d'arracher aux flots , Tour le plaindre avec vous, & vous jurer. Madame^ Que j'aurois confervé ce maître de votre ame , Si le Ciel qui vous traite avec trop de rigueur M'en eût donné la force audi-bien que le cceLir, Si pourtant à l'afpeâ: de ce qu'il vous renvoie Vos douleurs lailfoient place à quelque peu de joie , Si la vengeance avoit de quoi vous foulager , Je vous dirois auffi qu'on vient de vous venger , Que le traître Photin. . . Vous le fçavez peut être? C O R N E L I 'e. Oui , Priace/Te, je fçais qu'on a puni ce traître, ^64 LA MORT DE POMPÉE, CLEOPATRE. XJn û prompt châtiment vous doit ctrc bien Houx. C O R N E L I E. S'il a quelque douceur , elle n'eft que pour vous, CLEOPATRE. Tous les coeurs trouvent doux le fucccs qu'ils efpc» rent. C O R N E L I E. Comme nos int(?rcts , nos fentimens diflTerent, Si Cél'ar a fa mort joint celle d'Achillas , Vous éces fatisfaite , & je ne la fuis pas. Aux mânes de Pompée il faut une autre offiande ; La vidlime cft trop ijafle , 3c l'injure efl trop grande J Et ce n'eft pas un fang que pour la reparer Son ombre & ma douleur daignent ccnfidcrer. L'ardeur de le venger dans mon ame allumée , En attendant Céfir demande Prolomée : Tout indigne qu'il cft de vivre & de régner , Je fçais bien que Céfar fe force à l'épargner 5 Mais quoi que (on amour ait ofé vous promet ire , Le Ciel plus jufte enfin n'ofcra le permettre 5 Et s'il t)cut une fois écouter tous mes voeux , Par la main l'un de l'autre ils périront tous deux. Mon ame à ce bonfieur , fi le Ciel me l'envoie , Oubliera (es douleurs pour s'ouvrir à la joie ; îvlais fi ce grand fouliaic demande trop pour moi , Si vous n'en perdez qu'un , 6 Ciel , perdez le Roi. CLEOPATRE. Le Ciel fur nos fouhaits ne règle pas les chofes. C O R N E L I E. Le Ciel règle louvent les effets fur les caufes , Et rend aux criminels ce qu'ils ont mérité. CLEOPATRE. Comme de la juftice il a de la bonté. C O R N E L ï E. Oui , mais il fait juger , à voir comme il commence, • Que (a jaftice agit & non pas fa clémence. TRAGÉDIE- 36^ CLEOP ATRE. Souvent de la juflicc il palfe à la douceur. C O R N E L I E. Reine , je parle en veuve. Se vous parlez en Cccnt ^ Chacun a (on objet d'aigreur ou de tendie/Te , Qui dans le fort du Roi juftement l'intércilc» Apprenons par le fang cju'on aura répandu A quels fouhaits le Ciel a le mieux repondu. Voici votre Achorée. SCENE I I L CORNELIE , CLEOPATRE , ACHORÉE , PHILIPPE, CHARMION. CLEOPATRE. H Elas 1 fur Ton vi{age Rien ne s'offre a mes yeux que de mauvais pré(age. Ne nous déguifez rien , parlez fans me flatter , Qu'ai-jc à craindre , Achorée , ou qu'ai-je à regretter t ACHORÉE. AiifK-tôt que Cifar eut fçu la perfidie. . . . CLEOPATRE. Ce ne Con: pas ces foins que je veux qu'on me die j Je fçais qu'il fît trancher & clorre ce conduit Par où- ce grand fccours devoit èirc introduit ; Qu'il manda tous les fîens pour s'afTurcr la place Où Phorin a reçu le prix de fon audace j Que d'un fî prompt fupplice Achillas étonné S'eft aifément faili du port abandonné. Que le Roi l'a fuivi , qu'Antoine a mis à terre Ce qui dans fes vaifTeaux reftoit de gens de guerre. Que Céfar l'a rejoint ; & je ne doute pas QSil aait f^a vaincre encore & punir Achillas. Q iij 366 LA MORT DE POMPÉE, A C H O R É E. Oui , Madame , on a vu Ton bonbcur ordinaire. . * ^ CLEOPATRE. Dites- moi feulement s'il a fauve mon frère , S'il m'a tenu promclfc. A C H O R É E. Oui , de tout Con pouvoir* CLEOPATRE. C'eft là l'unique point que je voulois fçavoir. Madame , vous voyez , les Dieux m'ont écoulée» C O R N E L I E. lis n'ont que différé la peine méritée. CLEOPATRE. Vous la vouliez fur l'heure , ils l'en ont garanti, A C H O R É E. Il faudroit qu'à nos vœux il eût mieux confenti. . . , CLEOPATRE. Que difiez- vous naguère? & que viens- je d'enten- dre ; Accordez ces difcours que j'ai peine à comprendre, A C H O R É E. Aucuns ordres ni foins n'ont pu le fecourir , Ma!g;ré Céfar & nous il a voulu périr 3 Mais il cfl mort , Madame , avec toutes les marques Que puiffcnt laiHer d'eux les plus dignes Monarques j Sa vertu rappelléc a foutenu fon rang , Et fa perte aux Romains a coûté bien du fang. Il combattoit Antoine avec tant de courage Qu'i! cmportoit déjà fur lui quelque avantage j Mais l'abord de Céfar a changé le deftin : Auffi-tôt Achillas fuit le fort de Photin , Il meurt , mais d'une mort trop belle pour un traître ^ Les armes à la main en défendant fon maître. Le vainqueur crie en vain qu'on épargne le Roi , Ces mots au lieu d'efpoir lui lonne de l'effroi j Son efprit alarmé les croit un artifice Pour réfcrver fa tête à l'affront d'un fupplice. TRAGÉDIE. 3^7 t\ poufTe dans nos rangs , il les perce , Si. fait vciï Ce c]ue peut la vertu qu'arme le dcfefpoir 5 Et fon cœur emporté par l'erreur qui l'abufc , Cherche par-tout ia mort que chacun lui rcfufe, £nfîn perdant haleine après ces grands efforts , Prêt d'être environné , Tes meilleurs foldats morts , II voit quelques fuyards fauter dans une barque , II s'y jette , & les fiens qui fuivent leur Monarque D'un Cl grand nombre en feule accablent ce vaiireail Que la mer l'engloutit avec tout fon fardeau. C'eit ainfi que fa mort lui rend toute fa gloire , A vous toute l'Egypte , à Céfar la vidoire. Il vous proclame Reine j &: bien qu'aucun Romain Du fang que vous pleurez n'ait vu rougir fa main. Il nous fait voir à tous un déplaifir extrême; II foupire , il gémit : mais le voici lui-même Q'-ii pourra mieux que moi vous montrer la doulcut Qj'- lui donne du Roi l'iiivinciblc malheur. Qh 368 LA MORT DE POMPÉE, ;^^^affi=;j^ — mjÇ SCENE IV. CESAR, CORNE LIE, CLEOPATRE; ANTOINE , LEP IDE , A CH ORÉE, CHAR MI ON, PHILIPPE. C O R N E L I E. Efar, tiens-moi parole , Se me rends mes galè- res , Achillas & PJiotin ont reçu leurs falaircs , Xc Roi n'a pu jouir de ton raur adouci , Et Pompée eft venge ce qu'il peut l'ctre ici. Je n'y fçaurois plus voir qu'un funefte rivage Qui de leur ctientat m'offre l'horrible image. Ta nouvelle vidoire , & le bruit éclatant Qu'au changement de Roi poulie un peuple inconf- tant 5 Et parmi ces objets ce qui le plus m'afflige , C'cft d'y revoir toujours l'ennemi qui m'oblige, Lailfe-moi m'affranchir de cette indignité , Et foufFre que ma haine agi (Te en liberté. A cet cmprciTemcnt j'ajoute une rcquccc , Vois l'urne de Pompée , il y manque fa tc:c , Ne me la retiens plus , c'eft l'unique faveur Dont je te puis encor prier avec honneur, CESAR. Il efl juflc , & Céfar eft tout prêt de vous rendre Ce rcftc où vous avez tant de droit de prétendre 3 Mais il eft jufte aufli qu'après tant de fanglots A Tes mânes errans nous rendions le repos , Qu'un bûcher allumé par ma main & la vôtre Le venge pleinement de la honte de l'autre 3 Que Ton ombre s'appaifc en voyant notre ennui y Et qu'une urne plus digne & de vous & de lui , TRAGÉDIE. 3^9 Après la flamme éteinte & les pompes finies j "Renferme avec éclat Tes cendres réunies. De cette m>:me mnin dont il fut combattu II;verra des autels drefles à fa vertu 5 II recevra des voci:x , de l'encen , des vicflimes," Sans recevoir par là d'honncjis que légitimes. Vov.r ces juftes devoirs je rie veux cjue demain , Ne me refufcz pas ce bonh tur fouverain 5 Paites un peu de force à votre impatience. Vous êtes libre après , p.irtez en diligence , Portez à notre Rome un fi digne tréfor , Portez. ... C O R N E L I E. Non pas , Céfar, non pas à Rome encoti ïl faut que ta défaite 8c que tes funérailles A> cette cendre aimée en ouvrent les murailles >* Et quoiqu'elle la tienne aufTi chère que moi , Elle n'y doit rentrer qu'en triomphant de icu Je la porte en Afrique , & c'cft là que j'efpere Que les fils de Pompée , & Caton , & mon père ,. Secondés par l'eifort d'un Pvoi plus eénéreux , A'inCi que la juflice auront le fore pour eux, Ç'dl là que tu verras fur la terre & fur l'nnds Le débris de Pharfalc armer un autre monde ,. Et c'cft là que j'irai , pour hâter tes malheurs , Porter de rang en rang ces cendres & mes pleurSé Je veux que de ma haine ils reçoivent des relies , Qu'ils fuivent au combat des urnrs au lieu d'aigles ;^, Et que ce trifte objet ports en leur (buvenir Les foins de le venger & ceux de te punir. Tu veux à ce héros rendre un devoir fupréme : L'hoEneur que tu lui rends rejaillit fur toi-même^: Tu m'en veux pour témoin , j'obéis au vainqueur,. Mais ne préfume pas toucher par- la mon coeur. . La perte que j'ai faite eft- trcjp irréparable , La fource de ma haine eft trop inépuifable , . A -l'égal Je mes jours je la ferai durer , Q V 370 LA MORT DE POMPÉE, Je veux vivre avec elle , nvec elle expirer. Je t'avouerai pourtant comme vraiment Romaine^ Que pour toi mon cftime cft égale à ma haine. Que l'une & l'autre cft juftc , & montre le pouvoir L'une de ta vertu , l'autre de mon devoir ; Que l'une cft géncrcufe & l'autre intérelfée , Et que dans mon efprit l'une & l'autre eft forcée^ Tu vois que ta vertu qu'en vain on veut trahir^ Me force de prifer ce que je dois haïr ; Ju2c ainfî de la haine où mon devoir me lie, La veuve de Pompée y force Cornclie. J'irai , n'en doute point, au fortir de ces Heur,; Soulever contre toi les hommes & les Dieux 5 Ces Dieux qui t'ont flatté, ces Dieux qui m'om trom* pce , Ces Dieux qui dans Pharfale ont mal fcrvi Pompée , Qui la foudre à la main l'ont pu voir égorger : Ils connoîtront leur faute, & le voudront venger» Mon 2ele à leur refus aidé de fa mémoire Te fçaura bien fans eux arracher la vidioire j Et quand tout mon elFort fe trouvera rompu , Cléoparre fera ce que je n'auiai pu. Je fçais quelle eft ta flamme & quelles font Tes forces ^ Que tu n'ignores pas comme on fait les divorces , Que ton amour t'aveugle , Se que pour l'époufer Rome n'a point de loix que tu n'ofcs brifcr x Mais fçachc aufli qu'alors la jeune/Te Romaine Se croira tout permis fur l'époux d'une Reine , Et que de cet hymen tes amis indignés Vengeront fur ton fang leurs avis dédaignés. J'empêche ta ruine empêchant tes careffes. Adieu. J'attends demain l'efFct de tes promcfïc*. TRAGÉDIE. 371 •ti^^2^=^ SCENE V. CESAR, CLEOPATRE, ANTOINE, LEPIDE, CHARMION. p CLEOPATRE. Lutôc c]u'à ces périls Je vous puifTe expofer. Seigneur , perdez en moi ce t]ui Jes peut caufer , Sacrifiez ma vie au bonheur de la vôtre , Le mien fera trop grand , & je n'en ve-^ix poinî d'autre , Indigne que je fuis d'un Céfar pour cpoux , Que de vivre en votre ame étant morce pour vous, CESAR. Reine , ces vains projets font le feul avantage Qu'un grand cœur impuiffant a du Ciel en partage î Comme il a peu de force , il a beaucoup de foins Et s'il pouvoit plus faire , il fouhaiteroit moins.- Les Dieux empêcheront l'effet de ces augures. Et mes fé'icirés n'en feront pas moins pures , Pourvu cjue votre amour gagne fur vos douleurs Qu'en favcir de Ccfar vous tarifîîcz vos pleurs j^ Et que votre bonté fenfible à ma prière , Pour un fidèle amant oublie un njauvais frère. On aura pu vous dire avec quel déplailir J'ai vu le délefpoir qu'il a voulu choifîr. Avec combien d'etforts j'ai voulu le défendre Des paniques terreurs qui l'avoient pu fui prendre 5 ïl s'eft de mes bontés jufqu'au bout défendu. Et de peur de fe perdre , il s'efl enfin perdu, O honte pour Céfar , qu'avec tant de puifTance, Tant ds foins ds vous rendre entière obéifTaace ,. Q vj 37Î LA MORT DE POMPÉE^ Il n'ait pu toutefois en ces cvéncmcns Obéir nu premier de vos commandemcns h Prenez-vous-en au Ciel dont les ordres fublimes , Malgré tous nos efforts fçavent punir les crimes ; Sa rigueur envers lui vous ouvre un fort plus doux , Puifcjuc par cette mort l'Egypte eft toute à vous;. CLEOPATRE. Je fçais cjus j'en reçois un nouveau diadème. Qu'on n'en peut accufer cjue les Dieux & lui- mcmc ^ Mais comme il eft , Seigneur , de la fatalité. Que l'aigreur Toit mêlée à la félicité , Ne vous t'ffenfez pas fi cet heur de vos armes , Qui me rend tant de biens , me coûte un peu da larmes , Et fi voyant fa mort due à fa trahifon , Je donne à la nature anfi qu'a la raifon. Je n'ouvre point les yeux fur ma grandeur fi proche ^ Qu'aufli-tot a mon cœur mon fang ne le reproche , 3'en reffens dans mon ame un murmure fecret , E: ne puis remonter au tiône fans regrec. SCENE DERNIER. E. CLEOPATRE, CESAR, ANTOINE, LEPIDE,ACHORÉE. u. A C H O R E E. N grand peuple , Seigneur, dont cette cour eiè pleine , Par des cris redoubkjs demande à voir fa Reine ;, £t tout impatient déjà Çz plaint aux Cieux Qu'on lui doiuiç trop tard un bieii fi prcckiur^ TRAGÉDIE. 375 CESAR. Ne lui refufons plus le bonheur qu'il dcfîre , Pijucelle , allons , par-la commencer votre Empire, Fade le jufte Ciel , propice à mes delu's , Que ces longs cris de joie étouffent vos foupirs , £c puillcnt ne laiiîer dedans votre penfée Que l'image des traits dont mon amc eft bleflecr. Cependant c]uà l'envi ma fuite &c votre Cour Prépareni: pour demain la pompe d'un beau jour ^ Ou dans un digne emploi l'un & l'autre occupée Couronne CIcopacrc, & m'appaife Pompée , Elevé a l'une un trône , à l'autre des autels , Et jure a tous les deux des refpcdls immortels,. FIN. ?% 'b?^^>V 374 JUGEMENT s 1/ R LA TRAGÉDIE DE POMPÉE. ON voit peu de Pièces de Théâtre ou l'Hifioiré foit plus confervée ^ plus faljifiée tout enjem^ hU que dans celle de Pompée. Les événemens hijio^ riques n'y font pas changés , mais on les fait arri* ver autrement qu'ils ne jont "véritablemsnt arrivés» La manière dont t Auteur a profité de Lucain y eji 2tn peu plus délicate & moins vifible que celle dont il avoit imité Séneque dans la NLédée y il ne lui efi inférieur nullt part , G' il n'y a point de compa» raifon a faire entr'eux dans les endroits ou le Frari'*, fois s'ejl pajfé du feccurs du Romain, Le fiylc de cette Pièce eJi plus élevé que celui de tous les autres Poèmes du même Auteur , 6* ce font fans contredit les vers les plus pompeu;î qu'il aii ' jamais faits. Il y a quelque chofe d'extraordinaire dans le titre de ce Poème qui porte le nom d'un Hé' ros qui ny parle point : mais il ne laijfe pas d*en être en quelque forte le pricipal Acieur , puijque fn^ mort eJi la caufe unique de tout ce qui ^yp^^Jfç» ENTREVUE DE SERTORIUS ET DE POMPÉE 7 Tirée du troijieme AU2 de la Tragédk d^ SertoriuSi "jkTOus terminons ce premier Volume par une des J.V f^^s belles Scènes que Al. Corneille aie jamais mije fur le Théâtre : il dit lui-même que cette Con- férence intérejfu tous les Specîateurs , 6* que qiicl- c]ues-uns des premiers dans la Cour, & pour la v\2l\C- fance , & pour l'cfpric , rcflimcrcnt autant qu'une Pièce entière. Les deux Généraux qu'il y fait par" les déploient toute La noblcjfe 6\ la fixrté des fenti- mens Romains , & paroijfent en même ■ temps épui- ftr les grandes rejfourccs de leur art & de leur poli'» tique : elle a eu les plus illujlrcç fujfragcs ; & M. de Xurenne étant un jour a une repréfentatinn de Ser» torius y s'écria a cet endroit de la Pièce : OÙ donc Corneille a-t-il appris l'Ait de la Guerre ? ACTEURS. SERTORIUS 5 Général du parti de MariuS en Efpagne. POMPÉE , Général du parti de Sylla. La SccTie ejî â Nertobrlge , Ville cTArragon , çonquijc^ar Sutorïus yà préf&nt Catalayud* ENTREVUE J)E SERTORIUS ET DE POMPÉE. SCENE PREMIERE. SERTORIUS, PO M. PÉE, 5^/r«. SERTORIUS. ÎM^^^^ i E'g"^^^» 'l^^ "^^s mortels eût jamais ofé slé S 5l» crouc rn - ^i HT Que la ti cve à tel point dût rchaufTer ma Qu'iiii nom à qui la guerre a fait trop applaudir Dans l'ombre de la paix trouvât à s'agrandira Certes je doute encor fi ma vue ell: trompée , Alors que dans ces murs je vois le grand Pompée, Et quand il lui plaira je fçaurai quel bonheur. Comble Sertorius d'un tel excès d'honneur. POMPÉE. Deux raifons. . . Mais , Seigneur , faites qu'on fe, rerire, Afît} qu'eu Ubçrcé je puiiTe vous les dire. 378 ENTRE\nLJE DE SERTORIUS rii^^S^^ SCENE IL SERTORIUS 8c POMPÉE aj/isi POMPÉE. L l'Inimitié c[ui règne entre nos deux partis K'y rend pas de l'honneur tous les droits amortis ^ Comme le vrai mérite a Tes prérogatives Qui prennent le de/Tus des haines les plus vives, L'eftime & le refpcdl font de juftcs tributs Qu'aux plus fiers ennemis arrachent les vertus , Et c'eft ce cjue vient rendre à la haute vaillance Dont je ne fais ici que trop d'expérience , L'ardeur de voir de près un fi fameux héros , Sans lui voir en la main piques ni javelots. Et le front défarmé de ce regard terrible Qui dans nos efcadrons guide un bras invincible. Je fuis jeune & guerrier , & tant de fois vainqueur. Que mon trop de fortune a pu m'enflcr le cœur j Mais , & ce franc aveu fied bien aux grands courages , J'apprends plus contre vous par mes défavantages , Que les plus beaux fuccès qu'ailleurs j'aie emportés Ne m'ont encore appris par mes profpérités. Je vois ce qu'il faut faire à voir ce que vous faites , Les fieges , les alfauts , les fçavantes retraites , Eien camper , bien choifir à chacun Ton emploi > Votre exemple eft par-tout une étude pour moi. Ah , fi je vous pouvais rendre à la république , Que je croirois lui faire un préfent magnifique l Et que j'irois , Seigneur , à Rome avec plaifir, Puifque la Trêve enfin m'en donne le loifir , Si je pouvois porter quelque foibie elpérance D'y conclure un accord d'une telle importance î Près de l'heureux Sylla ne puis-je rien pour vous , £t prcs de vous , Seigneur , ne puis-je rien pour tous ? ET DE POMPÉE. 37g ' SERTORIUS. Vous me pourriez fans doute épargner quelque peins Si vous vouliez avoir l'ame toute Romaine j Alais avant que d'entrer dans ces difficultés. Souffrez que je réponde à vos civilités. Vous ne me donnez rien par cette haute eftime Que vous n'ayiez déjà dans le degré fublime. La vidolre attachée à vos premiers exploits , Un triomphe avant 1 âge où le foufFrcnt nos loix^' Avant la dignité qui permet d'y prétendre , Tont trop voir quels refpeéls l'univers vous doit rendre» Si dans l'occaiion je ménage un peu mieux L'affiette du pays & la faveur des lieux , Si mon expérience en prend quelque avantage , Le grand art de la guerre attend quelquefois l'âge 5 Le temps y fait beaucoup , & de mes aélions S'il vous a plu tirer quelques inftruélions , Mes exemples un jour ayant fait place aux vôtres , Ce que je vous apprends , vous l'apprendrez à d'autres,. Et ceux qu'aura ma mort failis de mon emploi S'inftruiront contre vous , comme vous contre moi-. Quant à l'heureux Svlla , je n'ai rien à vous dire. Je vous ai montré l'arc d'afFoiblir Ton empire , Et fï je puis jamais y joindre des leçons Dignes de vous apprendre à rcpaffer les monts. Je fuivrai d'aflez près votre illuftre retraite , Pour traiter avec lui fans befoin d'interprète , Et fjr les bords du Tibre une pique à la main , Lui demander raifon pour le peuple Romain. r O M P É E. De fî hautes leçons . Seigneur , font difficiles , Etpourroient vous donner quelques foins inutiles ^^ Si vous faifiez deffein de me les expliquer , Jufqu'à m'avoir appris à les bien pratiquer, SERTORIUS. Auflî me pourriez-vous épargner quelque peine Si vous vouliez avoir l'am.e toute Romaine ^ Je vous l'ai déjà diï* 38o ENTREVUE DE SERTORIUS POMPÉE. Ce (lifcours rebattu Laflcroic une auftcre & farouche vertu. Pour moi , qui vous honore aflez pour me contraindre A fuir obftincment tout fujet de m'en plaindre , Je De veux rien comprendre en ces obfcurités. SERTORIUS. Je fij-ais qu'on n'aime point de telles vérités. Mais , Seigneur , étant feuls , je parle avec franchifc ^ Bannilfant les témoins vous me l'avez permifc, £t j[e garde avec vous la même liberté Que Cl votre Sylîa n'avoir jamais été. Eft-ce erre tout Romain qu'être chef d'une guerre Qui veut tenir aux fers les maures de la terre ? Ce nom , fans vous &: lui , nous feroit encor dû , Ccft par lui , c'cft par vous que nous l'avons perdu , C'eft vous qui fous le joug traînez des cœurs fi braves , Ils étoient plus que Rois , ils font moindres qu'cfclaves , Et la gloire qui fuit vos plus nobles travaux Ne fait qu'approfondir l'abyme de l^urs mauy» Leur mifere eft le fruit de votre illuflre peine , Et vous penfez avoir l'ame toute Romaine "i Vous avez hériré ce nom de vos aïeux , Mais s'il vous éroic cher , vous le rempliriez mieux, P O M r É E. Je crois le bien remplir , quand tout mon cœur s'applique Aux Coms de rétablir un jour la République j Mais vous jugez , Seigneur , de l'ame par le bras ,. Et fouvent l'un paroît ce que l'autre n'ell: pas. Lorfque deux faélions divifcnt un Empire, Chacun fuit au hafard la meilleure ou la pire , Suivant l'occaîîon ou la ncceflité Qui l'emporte vers l'un ou vers l'autre coté. Le plus jufte parti difficile à connoître Nous lai(fe en liberté de nous choifir un maître , Miis quand ce choix cfl fait , on ne s'en dédit plus-, J'ai fcivi fous S) lia du tcinps de Marius^^ ET DE POMPÉE. 381 Et fervirai fous lui tant qu'un deftin funefte De nos divifîons foiuiendra quelque reftc. Comme je ne vois pas dans le fond de Ton cccur. J'ignore quels projets peut former Ton bonJieur : S'il les poufle trop loin , moi-même je l'en blâme. Je lui prête mon bras , fans engager mon ame , Je m'abandonne au cours de fa fclicité , Tandis que tous mes vœux font pour la liberté ; Et c'eft ce qui me force à garder une place Qu'ufurperoicnt fans moi l'injuftice & l'audace. Afin que , Syila mort , ce dangereux pouvoir Ne tombe qu'en des mains qui (cachent leur devoir, 'Enfia je fçais mon but , & vous fcavez le vôtre. SERTORIÙS. Mais cependant , Seigneur , vous fervcz comme un autre , Et nous , qui jugeons tout fur la foi de nos yeux , Ec lailfons le dedans à pénétrer aux Dieux , Nous craignons votre exemple , & doutons fi dan5 Rome Il n'inftruit point le peuple à prendre loi d'un homme , Ec fi votre valeur fous le pouvoir d'autrui Ne fcme point pour vous lorfqu'elle agit pour lui. Comme je vous eftime , il m'eft aifé de croire Que de la liberté vous feriez votre gloire. Que votre ame en fccret lai domie tous fes vœux; Mais je m'en rapporte aux efprits foupçonneux. Vous aidez aux Romains à faire elfai d'un maître , Sous ce flatteur cfpoir qu'un jour vous pourrez Têtrc» La main qui les opprime &: que vous foutenez Les accoutume au joug que vous leur deflinez , Ec doutant s'ils voudront fe faire à l'efclavao-e » Aux périls d-e Sylia vous tâtcz leur courage. POMPÉE. Le temps détrompera ceux qui parlent ainfi , Mais juftihera-t-il ce que Ton voit ici } Permettez qu'à mon tour je parle avec franchi.^ , Votre exeinple à la fois m'iuilruic 3c m'aucorif^ , 38i ENTREVUE DE SERTORÎUS Je ]U2,c comme vous fur la foi de mes yeux , Et laillb le dedans à pcnccrer aux Dieux. Ne vit-on pas ici fous les ordres d'un homme? N'y commandez-vous pas comme Sylla dans Rome ^ Du nom de Dictateur , du nom de <2cnéral Qu'importe Ci des deux le pouvoir eft égal 3 Les titres différens ne font rien à la chofe , Vous impofez des loix ainfî qu'il en impofè» Et s'il eft périlleux de s'en faire haïr , II ne feroit pas sûr de vous défobéir. Pour moi , fî quelque jour je fuis ce que vous ctes ^ J'en ufcrai peut-être alors comme vous faitc_^s , Jufques-là. . . SERTORIUS. Vous pourriez en douter jufqucs-là g Et me faire un peu moins rcnembier à Sylla. Si je commande ici , le Sénat me l'ordonne, ^les ordres n'ont encore aiTaffiné perfonne ; Je n'ai pour ennemis que ceux du bien commun ,' Je leur fais bonne guerre , & n'en profcris pas un; Ceft un afyle ouvert que mon pouvoir fuprême , Et fi Ton m'obéic , ce n'eft qu'autant qu'on m'aimç« POMPÉE. Et votre empire en eft d'autant plus dangereux , Qu'il rend de vos vertus les peuples amoureux; Qu'en affujcttilTant vous avez l'art de plaire. Qu'on croit n'ccre en vos fers qu'efclave voiontairc ^ Et que la liberté trouvera peu de jour A détruire un pouvoir que fait régner l'amour. Ainfi parlent , Seigneur , les âmes foupçonneufcs , Mais n'examinons point ces qucftions fàchcufes , Ni fi c'eft un Sénat qu'un amas de bannis Que cet afyle ouvert fous vous a réunis. Une féconde fois , n'eft- il aucune voie Par où je puilfe à Rome emporter quelque jo ic? Elle feroit extrême à trouver les moyens De rendre un fi grand homme à fes concitoyens^ Il cft doux de xevoir les murs de la Patrie j ET DE POMPÉE. 383 Ccft elle par ma voix , Seigneur , qui vous en prie » C'eft: Rome. . . S E Pv T O R I U S. Le fcjo'.ir de votre Potentat Qui n'a que Tes fureurs pour maximes d'Etat } Je n'appelle plus Rome un enclos de murailles Que Tes profcriptions comblent de funérailles 5 Ces murs , dont le dcftin fut autrefois fi beau ^ K'en font que la prifon , ou plutôt le tombeau. Mais pour revivre ailleurs dans fa première force ^ Avec les faux Romains elle a fait plein divorce j Et comme autour de moi j'ai tous fcs vrais appuis , Rome n'eft plus dans Rome , elle eft toute où je fuis. Parlons pourtant d'accord. Je ne fçais qu'une voie Qui puiffc avec honneur nous donner cette joie. Uniflons-nous cnfemble, & le tyran eft bas ; Rome à ce grand deflein ouvrira tous fes bras ; Ainfi nous ferons voir l'amour de la Patrie , Pour qui vont les grands cœurs jufqu'à l'idolâtrie , Et nous épargnerons ces flots de fang Romain Que verfent tous les ans votre bras «Se ma main. POMPÉE. Ce projet qui pour vous cft tout brillant de gloire , N'auroir-il rien pour moi d'une action trop noire î Moi qui commande ailleurs , puis- je fervirfous vous î S E R T O R I U S. Du droit de commander je ne fuis point jaloux , Je ne l'ai qu'en dépôt, & je vous l'abandonne , Non jufqu'à vous fervir de ma feule perfonne. Je prétends un peu plus , mais dans cette union De votre lieutenant m'envieriez-vous le nom ? POMPÉE. De pareils Lieurenans n'ont des Chefs qu'en idée ; Leur nom retient pour eux l'autorité cé'iée , îlsn'en quittent que l'ombre , & l'on ne fçaicquec'efl: De fuivre ou d'obéir que fuivanr qu'il leur plaît. Je fçais une autre voie & plus noble & plus sûre, 5ylia, fi vous voulez, quiue fa Ditlâture, 334 ENT. DE SERTORîUS , kc. Et déjà de lui-mcmc il s'en feroic demis , S'il voyoit qu'en ces lieux il n'eîir plus d'ennemis.' Mettez les armes bas , je réponds de ['«ifuc , J'en" donne ma parole après l'avoir reçue , Si vous êtes Romain , prenez l'occafion. SERTORIUS. Je ne m'cblouis point de cette illufion , Je connois le tyran , j*cn vois le ftratagcmc , Quoi«qu'ii fcmblc promettre , il cft toujours lui-mcmç,; Vous qu'à fa défiance il a facrifié , Jufqucs à vous forcer d'ctre Ton allié. . . POMPÉE. Hélas l ce mot me tue ,'& je le dis fans feinte > O'fi: l'unique fujet qu'il m'a donné de plainte. J'aimois mon Ariltie , il m'en vient d'arracher^ Mon coeur frémit encore à me le reprocher , Vers .tant de biens perdus fans celle il me rappelle ; Et je vous rends , Seigneur , mille grâces pour elle , A vous , à ce grand coeur , dont la compaflion Djigne ici l'honorer de fa protedion. SERTORIUS. Protéger hautement les vertus malhcureufcs , C4:ft le moindre devoir des âmes généreufcs; AuHî fais-je encor plus , je lui donne un époux. POMPÉE. Un époux l Dieux, qu'entcnds-je ? Et qui , Seigneur î SERTORIUS. Moi. POMPÉE. Vous l Seic-ncur , toute fon a me e(l à moi dès l'enfance , "N'imirez point Sylla par cette violence , Mes maux font allez grands fans y joindre celui De voii tout ce que j'aime entre les bras d'autrui, SERTORIUS, Tout efl encore à vous. Fi.i du premier VolumCt y^/r /^ -:^y'^.; "m PQ. Corneille, Pierre 174^ Les chef -d'oeuvres Al dramatiques de Messieurs 17S0 Corneille Nouv. ^d. t.l PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SUPS FROM THIS POCKET UNIVERSTTY OF TORONTO LIBRARY ^■^S^-îf '•;<''